L'affaire Strauss-Kahn est humiliante pour la France

Dès lors que la défense de M. Strauss-Kahn plaide le consentement de la plaignante, à partir du moment où, quels que soient les élément du dossier que l’instruction et les procès feront apparaître, le fait brut d’une coucherie avec une soubrette (consentante ou non) est avéré, il est licite, pour le simple citoyen que je suis, de s’exprimer.
Cette affaire est un désastre pour la France. Les politiques, qui marchent en ce moment sur des œufs de cristal, euphémisent là-dessus avec leur vocabulaire habituel, leur exquise et très mondaine manière. A part Madame Le Pen et quelques parlementaires aussitôt distanciés, tous manient l’incantation avec des prudences de cardinal. Cornaqués, je suppose, par leurs chargés de communication, ils cherchent la voie la plus sûre pour se tirer, seuls ou en groupe, d’un monstrueux guêpier.
C’est leur problème. Mon propos se situe un peu plus loin que ces calculs d’autruches fuyant les fauves lâchés en meutes. Un seul mot pour le résumer : la France.
Qu’un possible, voire même probable, Président de la République, ait pu de cette façon faire passer ses appétits physiques avant l’intérêt même de son pays, qu’il se soit laissé aller à une addiction apparemment connue de ses pairs (ah !Les courageux de tous bords, qui, à défaut de la révéler au public, ne sont pas parvenus, entre initiés, à la botter en touche avec son propriétaire !), qu’il ait failli aussi stupidement au moment où il allait prendre la route pour un triomphe annoncé, tout ce cirque pitoyable étalé au grand jour montre à quel point nos gouvernants sont éloignés de leur peuple. Car enfin, comment peut-on arriver collectivement, droite et gauche confondues, à cette catastrophe nationale lorsque l’on a entre les mains tous les pouvoirs, et notamment celui de protéger les citoyens contre la survenue de telles humiliations ?
Humiliation. Je pèse le mot que « l’altération de l’image de la France » édulcore a volo. Associés au mot « french », les qualificatifs généreusement accordés à Monsieur Strauss-Kahn par la presse américaine, et par les autres, résonnent comme autant de gifles données tant à chaque citoyen français qu’à la nation dans son ensemble. Ainsi notre malheureux pays semble-t-il promis, depuis quelque temps et en gros une fois par an, à divertir la planète par ses bizarreries multi-culturelles, ses pathologies sociales grillées au barbecue automobile, sa vision très spéciale du sport de haut niveau et, aujourd’hui, par cette pièce commencée sous la plume de Feydeau et se poursuivant transitoirement sous celle de Bukovski.
Peut-être Monsieur Strauss-Kahn aperçoit-il, telle une ombre dans sa cellule, la statue du Commandeur pourfendant la mécanique sexuelle de Don Juan. C’est là aussi son problème. Moi, je distingue, derrière l’opacité d’un sordide vaudeville, l’abaissement de mon pays, la veulerie de ses cadres et cette terrible impossibilité dans laquelle ils sont, depuis des lustres, de fixer un cap moral tenable à leurs concitoyens.
Je sens, derrière leur désarroi, un mépris endémique pour les gens, né d’un demi-siècle d’élevage sous serres à l’abri de la pollution populaire, de copinage post-universitaire, d’arrangements permanents et d’une angoisse névrotique de la dépossession. Eberlués, impuissants, démasqués, ils contemplent à l’heure qu’il est l’iceberg géant qui vient de crever la coque de leur navire ; sous la partie émergée du monstre, le système qu’ils ont mis en place et qui, par la grâce d’un coup de tabac de force 20, leur revient dessus. Pour ces géants formés à la domination, le choc est rude ! Ces hommes et ces femmes sont pour de bon des extra-terrestres.
Ah ! Comme doivent se réjouir, nombreux, attentifs et prêts à becqueter le cadavre, tous ceux qui nous aiment tant, compatriotes ou étrangers, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays! Comme la valse des pantins à laquelle nous assistons ces jours-ci doit faire vibrer de plaisir tous ces tenants d’une France coupable, repentante et soumise, à genoux et domestiquée une bonne fois pour toutes ! Ceux-là, on les connaît, on les devine. Il sont sans pitié, affamés, attirés par la puanteur humaine comme des mouches bleues par un étron fumant. Ils ne nous décevront pas. C’est du caviar qu’on leur donne là. Qu’ils se gobergent, si cela les aide à vivre ! Quant à la bourgeoisie d’affaires, sourde, muette et aveugle à condition qu’on ne dérange pas ses petites entreprises, quelle belle apatride fierté doit-elle ressentir au spectacle du plus illustre des siens compromis d’une telle manière!
Maintenant, les dagues vont à nouveau sortir des fourreaux, et les spadassins des recoins d’ombre où ils sont prudemment allés s’abriter. L’étripage pré-électoral reprendra très vite le cours cahotique quoique normal de ses embuscades, de ses traquenards, de ses reptations et de ses trahisons. C’est la règle du jeu. Cette fois, cependant, une bien étrange aura va envelopper la chose, et pour longtemps. Déjà, la censure que les gens ordinaires s’imposent sur cette histoire dans leurs banales relations de la vie courante, montre bien la honte collective née de ce fait divers. La honte, oui, bien calée désormais dans nos têtes.
Voilà où j’en suis d’une colère et d’une détresse à la mesure des images subies depuis le Dimanche 15 Mai 2011. Je sais que beaucoup de Français, qui ne sont pas de stupides ricaneurs avides de scandales, partagent ces sentiments, et une très grande tristesse aussi. Un coup de plus vient d’être donné à la France, un sale coup tiré dans une chambre d’hôtel de New York. Simple acteur d’un flash amoureux partagé, ou violeur incapable de maîtriser ses pulsions, piégé ou non par Dieu sait quel adversaire pour Dieu sait quelle obscure raison, Monsieur Strauss-Kahn, dépouillé, infiniment fragile devant son armure en morceaux à ses pieds, serre un peu plus le couvercle de la marmite ou clapote la déconfiture française.
Alain Dubos

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