Le chat et les lapins

Cette année, au programme du bac, c’est le thème (ou objet d’étude) de la question de l’homme qui a échu aux candidats du baccalauréat de français. En Polynésie française, parmi les trois textes du corpus, corpus, on trouvait une fable de Fénelon tout à fait édifiante. En substance la voici.

Un chat avec de terribles griffes – bien visibles – entre un jour dans une garenne qui fourmille de gentils lapins organisés en une république représentée par d’aimables députés. Il fait le guet devant le terrier, on devine avec quelle intention. Les députés, d’une courtoisie parfaite, vont s’enquérir poliment de ce qu’il veut. Patelin et courtois, le chat répond qu’il est un philosophe végétalien épris de sagesse et de nourriture bio et qu’il se promène dans le monde pour étudier avec application les mœurs des nations… Les députés vont expliquer ça à leurs frères… Un vieux lapin rusé à qui on ne la fait pas met en garde. Las… Et nos petits lapins d’aller saluer gentiment le grave philosophe voyageur. Il en chope six d’un coup. Les autres rentrent dans le terrier, quand même un peu penauds… Le chat revient, la bouche en cœur, « il ne l’a pas fait exprès, c’était une erreur, il veut nouer une alliance éternelle ». Plein de bonne volonté, on négocie. Un petit malin qui court plus vite que les autres, à tous les niveaux, sort par derrière, et file avertir un berger voisin qui aime le lapin à la moutarde et que ça agace qu’on lui extermine son menu préféré. Il prend son arc et tel Ulysse débarquant sur son île, il te débarrasse en un tour de flèche la garenne jolie du philosophe adepte de métempsychose et de sagesse spéculative. Le chat expire dans la lucidité ce qui garantit à la fable une morale peu subtile et à vocation universelle qui n’a guère d’intérêt. Croirait-on que la morale de l’histoire portât sur la crédulité humaine, allégorisée par la garenne et ses lapins crédules ? La sagesse de la fable est une affaire de politique, pas de morale kantienne. Et la censure joue autant pour Fénelon que pour Jean de la Fontaine.

Le chat menteur aux terribles griffes, c’est l’islam qui nous berce de belles paroles sur son côté « religion de paix » mais nous enquiquine de l’autre avec son régime bio-halal et son mois de ramdam parties… Les députés, ce sont nos bavards éperdus de réalisme récitant leur partition devant une presse affolée de la défense des droits de l’homme, de la femme, du citoyen, des enfants, – mais pas de l’embryon – des baleines, des souris, du droit d’avoir ses menus préférentiels à la cantine, et j’ai oublié l’interminable liste des droits particularisés. Les lapins de la République, on l’a compris, c’est nous : tous frères…

Le pape François aurait incarné joliment le vieux docteur rusé, mais il a choisi le rôle de composition : celui de député naïf, plus crédule encore que toute l’Assemblée réunie. Il invite à ouvrir grand le terrier pour accueillir tous les chatons qui traversent la Méditerranée, et sans doute pense t-il ainsi réconcilier le spirituel et le temporel. Hélas, les lois du politique et les lois du religieux diffèrent. Surtout quand le principe de la « Loi » diffère profondément selon qu’on se trouve dans l’héritage musulman – celui de la charia – et celui de l’héritage chrétien – celui de la longue tradition de la loi naturelle, du contrat social et de la question de la source du droit, déracinée de toute source transcendante. Selon toute apparence, la charia et les lois anthropologiques nouvelles ne sont guère compatibles.

La fable a ses limites comme toute analogie. Inutile d’espérer le salut d’un quelconque berger, vînt-il de Chine ou de la sainte Russie.
Inutile de préciser non plus que le premier enseignant qui oserait proposer cette transposition hardie se mettrait en grave danger. Un quadruple danger. Le plus immédiat, les élèves musulmans dans sa classe. Puis, son administration. Les plus féroces. Le troisième, la presse. Je préfère ne pas parler du quatrième : ses collègues. N’empêche, la puissance argumentative de la fable est peut-être là où l’Education nationale prétend la laisser dormir.

Mais alors, seraient en droit de demander nos élèves : Fénelon serait-il un homme de droite ?

Laure Fornes
Professeur de lettres