Le ciel pleure : Jean-Pierre Marielle est mort…

« Ce matin, le ciel pleure », me dit ma compagne en entendant tomber la pluie. On se regarde, on se souvient. Quelqu’un s’en est allé que nous aimions.
Marielle c’était tout, au cinéma comme au théâtre. Au cinéma, il passait des Galettes de Pont-Aven (Joël Séria) à Tous les matins du monde (Alain Corneau). Au théâtre, il allait d’Hibernatus (Jean Bernard-Luc) au Partage de midi (Paul Claudel).

On appelle ça un comédien, espèce rare à l’heure où « de jeunes peigne-cul nous montrent leur derrière », comme chantait Brel, et s’imaginent du génie.
La haute silhouette de Marielle semblait planer au-dessus de tout et sa voix si reconnaissable captait immanquablement l’attention, quel que fût le temps alloué dans un film. Il aimait ce qu’il faisait, ne sombrant jamais dans la caricature mélodramatique insupportable de l’artiste tourmenté. Il savait se tenir et cela ne l’empêchait pas d’atteindre les cimes du talent. Pour s’en convaincre, il suffit de voir, entre autres, Que la fête commence (Bertrand Tavernier) où il interprète un marquis de Pontcallec inoubliable.

Qu’importait, donc, la place qu’il occupait dans un film, Marielle jouait, donnant tout ce qu’il fallait pour honorer son personnage et ce, dans tous les registres : Le Marielle de la comédie potache Pétrole ! Pétrole ! (Christian Gion) n’est pas celui de l’exceptionnelle Controverse de Valladolid (Jean-Daniel Verhaeghe) où il campe un Bartolomé de las Casas totalement convaincant. Il aura même osé un petit rôle dans l’adaptation du célébrissime roman de Dan Brown, Da Vinci Code, réalisée par Ron Howard. On n’oubliera pas non plus l’exactitude avec laquelle il s’est approprié le personnage d’Archambaud, dans le très ironique Uranus (Claude Berri), d’après le prodigieux roman de Marcel Aymé.

Et tous ces rôles, qu’il se soit agi de faire marrer, pleurer ou penser, d’un franchouillard extraverti ou d’un cérébral introverti, Marielle les appréhendait avec le même professionnalisme. La marque d’un grand comédien, sorti du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, où il tissa des amitiés avec, notamment, Jean-Paul Belmondo, Jean-Rochefort, Claude Rich, etc., « la joyeuse bande du Conservatoire » qui, «  au sein de l’école, [va] vite se reconnaître et former un groupe aussi créatif qu’explosif, réuni par une solide amitié et la même soif de modernité » (Le Point).


Marielle en deux répliques, ce serait : 1/ « Qu’il s’agisse de rasoirs, de clés de voiture ou de femmes, j’ai tout en double » (Comment réussir quand on est con et pleurnichard, de Michel Audiard) ; 2/ « Monsieur, j’ai confié ma vie à des planches de bois grises perdues dans un verger, à… au son des sept cordes d’une viole… à mes deux filles. Mes amis sont les souvenirs. Ma cour, ce sont les saules, l’eau qui court, les goujons, les fleurs du sureau. Vous direz à Sa Majesté que son palais n’a rien à faire d’un sauvage » (Tous les matins du monde, d’Alain Corneau).

Aujourd’hui, certaines saillies seraient d’ailleurs inconcevables, dans cette boue politiquement correcte : « C’est un beau petit morceau, hein… elle vaut bien son coup de chevrotine » (Comme La Lune, de Joël Séria).

À titre d’information édifiante, voici quelques noms de réalisateurs ayant dirigé Jean-Pierre Marielle : Claude Berri, Philippe de Broca, Alain Corneau, Henri Decoin, Claude Miller, Marcel Ophuls, Yves Robert, Claude Sautet, Bertrand Tavernier, Henri Verneuil. Pas mal, non ?
Quand certains, tels des Narcisse au rabais, se pâment dans leur reflet insipide, Marielle, lui, disait ceci : « Certains trouvent que j’ai une tête d’acteur, moi pas. J’ai une tête de rien. Au fond, c’est peut-être mieux pour être comédien, avoir une tête de rien, pour tout jouer. » Humilité des immenses que les petits ne sauraient comprendre puisque, précisément, ils sont petits !

Il disait encore que « le talent ne suffit pas pour qu’il soit agréable. Il faut qu’il y ait une rencontre quasi-amoureuse ». Cet amour, nous en avons longtemps récolté les fruits, mais l’arbre n’avait plus de sève et, après une lutte contre cette maladie d’Alzheimer – la plus injuste peut-être pour un homme rempli de tant de souvenirs –, Jean-Pierre Marielle s’en est allé retrouver beaucoup de ses amis, qui l’attendaient là-haut, dont Philippe Noiret et Jean Rochefort. Les Grands Ducs (titre d’un film de Patrice Leconte où les trois compères interprétaient des acteurs ratés) sont à nouveau et définitivement réunis.
Au revoir, Monsieur Marielle, et merci…

Charles Demassieux

Jean-Pierre Marielle chante la Paris de jadis…

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32 Commentaires

  1. merci de cet intermède culturel: et oui, nous ne sommes que de passage. on ne peux pas envoyer des scuds tous les jours et toute l’année . on reverra longtemps ces films cultes, et c’est bien

  2. Merci Charles, pour ce joli texte qui met du baume à nos coeurs attristés et endeuillés.
    De Marielle on aurait pu faire la même remarque que pour Piaf : même en récitant le bottin, il aurait encore été génial.
    C’est très bien qu’entre deux tirs de skuds sur nos félons dirigeants, nous trouvions du temps pour honorer les vrais grands de ce monde… qui ne sont pas toujours ceux qui le prétendent…

  3. Le Dernier des Mohicans…. Le “Cinéma” est mort avec lui…
    Interprétation, diction, situations….
    Que reste-t-il de mes nuits blanches ? Des Galettes…

  4. Moi aussi, j’adorais Jean Pierre Marielle. J’aurais même regardé avec plaisir un navet à la seule condition qu’il y jouât. Mais j’ai lu qu’il avait fait partie du comité de soutien de la candidature d’Anne Hidago à la mairie de Paris. Et d’un seul coup, j’ai été très triste.

    • En effet c’est une erreur, mais alzheimer c’est pas bon pour rester lucide.

      En tout cas, encore un monument Français qui disparaît et c’est encore un très bel hommage que Charles lui a rendu.

      Quand tout ce qu’on a de plus beau et de meilleur disparaît, on se sent orphelins et le vide immédiatement remplacé par le moche et le mauvais s’installe. Pauvres de nous, ils vont bien se bidonner à nous voir aussi hideux et lamentables les compères du cinoche…

    • On peut apprecier des artistes, meme quand ils ne sont pas de notre bord politique.

  5. Vous vous trompez sur le titre, nous nous pleurons, car nous perdons un immense comédien, mais le ciel se réjouit car il récupère une de ses étoiles qui rejoint ses amis pour continuer encore pendant longtemps à illuminer la tristesse de notre temps et de sa médiocrité. plongés dans les abysses. Merci Mr MARIELLE .

  6. Seulement fr3 à rendu Hommage a ce Grand Acteur ,qui nous manqueras !

  7. Merci M Demassieux pour ce rappel; n’est-il pas mieux maintenant là où il est que de voir les jours sombres qui vont nous tomber dessus ???

  8. mes meilleurs souvenirs , Galabru et Marielle dans ” les poissons rouges ” de jean Anouilh…….extraordinaire……si quelqu’un peut trouver la vidéo , inexistante sur Google

  9. Je viens de regarder à nouveau “comme la lune”. Quelques citations moins connues mais tout aussi savoureuses :
    “Quand t’es près de moi, j’ai citron qui déconne… T’es vraiment bien bidochée, on dirait une Cadillac. Salope ! Oh ce cul, ce cul ! J’v’ais t’fourrer, j’vais te fourrer ! ”
    Effectivement c’est très vulgaire, mais l’outrance de cette gauloiserie est très vivifiante en ces temps de sexualité à la fois débridée mais très contrôlée version politiquement correct.

  10. Il y a à peine quelques mois, je l’ai rencontré , accompagné de son épouse, dans un petit village du Maine et Loire. Il venait de garer sa voiture juste à côté de la notre. Il en est sorti avec un sourire et empreint de prestance, mais, hélas , totalement “changé” physiquement ! J’en garde le souvenir car je l’appréciais beaucoup ….

  11. Il y a à peine quelques mois, je l’ai croisé en Maine et Loire, dans un petit village, en compagnie de sa femme, actrice elle aussi . Il garait sa voiture juste à côté de la notre. Toujours imposant, mais hélas, totalement :changé ” !!!
    J’en garde un souvenir, parmi les tous les autres…

  12. le ciel ne pleure pas puisqu’il va récuperer ce grand Monsieur,qui nous manquait déjà depuis quelques annees avec sa maladie.

    • Oui vous avez raison pour le bout France qui s en va .
      Aujourd hui les acteurs Francais ne sont que des bougnes ou des noirs le cinéma africain en quelque sorte.

  13. “Ah, l’admirable cholestérol qu’on va se payer !” “Tant qu’y a pas de produits chimiques, y’a pas de contre-indications !” “L’intérêt avec le sucre, c’est que ça donne de remarquables caries, surtout le soir, ça macère toute la nuit, ça attaque bien l’émail..”

  14. Un très grand comédien d’une France hélas révolue. Votre « ouillouilloullouille » que vous avez répété dans’ « la valise » à la regrettée Mireille D’arc est resté dans’ ma mémoire. Reposez en paix Mr Marieille…

  15. Putain de bordel de merde, Jean-Pierre qu’est ce
    que tu nous a fait là… tu ne nous fais pas rire tu
    sais…

  16. Un comédien unique, comme l’étaient les Rochefort, Noiret, Serrault, Gabin, Carmet, Blier et tant d’autres, sans oublier leurs homologues féminines. Des géants du cinéma . Des monuments. Rien à voir avec toutes ces nouvelles stars( et starlettes) sans épaisseur, sans charisme, narcissiques, juste bons à virevolter devant les caméras comme les papillons de nuit dans la lumière des réverbères.
    Désormais, nous n’en trouverons plus de pareils: le moule est définitivement cassé.

    • Et comme je l’ai déjà dit, comme la France était belle au temps de leurs films !

      • @Pussycat Comme vous avez raison, merci pour votre commentaire J’ai regardé hier soir les “Galettes de Pont Aven”. En plus du talent de Jean Pierre Marielle, il y a toutes ces images de la France d’avant et ça m’a fait un bien incroyable de les voir. Tout n’était pas parfait mais quand on voit au point où l’on est, on est en droit de se demander si nous avons avancé dans le bon sens.

  17. Jean-Pierre Marielle n’est plus. Sa belle et inoubliable voix au timbre de violoncelle s’est tue pour toujours et avec sa mort c’est encore un peu de notre patrimoine artistique qui se délite.

  18. C’est le moment de passer et repasser “Calmos” pour faire chier les féministes !
    Et tous les films de Marielle, Charlie et ses deux nénettes, Comme la lune, Les galettes de Pont-Aven, etc.

    • Heureuse époque où l’on pouvait sortir des gauloiseries et se foutre de la gueule des féministes sans risquer un procès par Marlène.”Ton cul, c’est mon génie !”

    • @à la poubelle : Il est certain que l’humour de ces films ne doit pas plaire aux néo-féministes. Heureusement, à l’époque de leur sortie, les féministes n’étaient pas hystériques et fadas comme celles qui sévissent aujourd’hui et qu’ils ont pu échapper aux ciseaux rageurs de ces mégères. J’imagine bien J.P. Marielle envoyant promener énergiquement de sa belle voix grave une Schiappa : allez, zou, ! Comme il le fait dans son rôle de curé dans le film Pièce Montée vu ce soir sur France 3 !

  19. Cher monsieur Demassieux,
    Vous servez notre cause, comme tous les auteurs de RL, certes, mais avec une élégance qui vous est propre. Merci.

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