Le Coran des historiens : 3000 pages, 3 kg, 59 euros : l’apologie de l’islam !
Il n’est pas de mot plus juste que parade pour désigner l’énorme pavé qui porte pour titre Le Coran des historiens : plus de trois mille pages, plus de trois mille grammes, 59 €, moins de 17 € le kilo, à peu près le prix de la saucisse de Morteau. On parade, on fait le beau, on processionne dans les médias et surtout on pare les coups. C’est à la fois de la bouffonnerie de carnaval et de la mauvaise escrime. Dans le titre, le complément du nom Coran révèle, s’il en était besoin, les limites de l’entreprise. Ce Coran n’est pas LE Coran, ni le saint Coran, ni le Coran sacré ; ce n’est pas le vrai Coran ; ce n’est pas le Coran réel, celui qui appelle à piller, tuer, massacrer, exterminer, réduire à l’esclavage (en un mot, crimes de guerre et crimes contre l’humanité approuvés et justifiés) ; c’est le Coran des « historiens », c’est-à-dire des idéologues formatés à manipuler le passé et qui noircissent des feuilles de papier que personne ne lit, ni ne lira, surtout pas les intéressés, à savoir les musulmans, qui eux lisent le vrai Coran.
Ce Coran des historiens est une apologie, pas à la manière salafiste ou frériste à couteaux tirés ou avec des bombes, mais BCBG avec beaucoup d’onction, de prudence, de circonvolutions, de mesure, avec des successions de mais, de pourtant, de néanmoins, de cependant, de quoique, de toutefois. Sans le caricaturer, on peut le résumer en quelques courtes phrase : l’islam est bon, l’islam est beau. Ce qui l’a perverti et enlaidi, c’est l’histoire et plus encore les pouvoirs, que ce soit les successeurs de Mahomet (ou califes) ou leurs soldats armés de sabres. L’islam des origines est parfait. Le problème est qu’il n’existe plus depuis quatorze siècles et qu’il n’a sans doute jamais existé, sinon dans la cervelle de quelques illuminés.
Ne croyez pas que cette entreprise soit inédite. Cette farce a été jouée par Althusser (Aryen) sur le jeune Marx, par Trotski sur Lénine, par Mao sur Staline, par les communistes et autres sur le communisme, par Badiou sur Mao, par les collabos sur le socialisme national, par Faurisson sur Hitler, etc. C’est du négationnisme poli et raffiné. Les éditeurs ne connaissent pas le sens du nom synthèse : ils présentent ce pavé comme une synthèse – oui, une synthèse de plus de trois mille pages ! En matière de synthèse, ils ont des leçons à recevoir des penseurs classiques. Au XVIIe siècle, Furetière tenait le Coran pour « une prétendue conférence de Mahomet avec Dieu et les Anges, dont il dit qu’il a reçu sa loi » ; Thomas Corneille concluait : « c’est un galimatias continuel, et sans aucun ordre. Il y a des titres fort extravagants dans la plupart des chapitres, comme des Mouches, des Araignées, et autres semblables ». Les rédacteurs de L’Encyclopédie (1751-65) étaient capables de résumer le Livre, non pas en trois mille pages, mais en une phrase : « C’est le livre de la loi mahométane ou le livre des révélations prétendues et de la doctrine du faux prophète Mahomet ». Quant aux savants, ils doutent depuis longtemps de l’identité de celui qui est nommé Mahomet et dont on ne sait rien ; ils ignorent qui sont les auteurs de ce Livre et ils se demandent dans quelle langue il a été écrit ; ils savent que le texte a été manipulé, déformé, imposé par des chefs de guerre sanguinaires. Mme Delcambre en a montré les horreurs juridiques ; Luxenberg y a isolé d’obscures références au judéo-christianisme des VIIe et VIIIe siècles, etc.
En réalité, les historiens de ce Coran enfoncent des portes grandes ouvertes et, comme dit la vieille sagesse des nations, il vaut faire confiance aux originaux (Furetière, Corneille, les Encyclopédistes, Luxenberg, Delcambre, etc.) plutôt à d’obscurs continuateurs, d’autant plus que le maître d’œuvre est… – je vous le donne en cent, en mille, en dix mille, etc. (la suite dans les lettres de la divine marquise) – un vrai croyant – vrai croyant de chez vrai croyant, fervent, ardent, grand propagateur de l’islam, mais en France seulement. Il est iranien et cet Iranien est un chiite convaincu et passionné, un spécialiste du seul chiisme – ce qui, en temps normal, suffirait à discréditer cette entreprise éditoriale qui confie à un apologiste de l’islam la défense de l’islam. A l’Université, où sévit ce chiite, ces choses-là vont de soi, dès qu’il est question d’islam. On bannit les chrétiens, on ouvre grand les portes aux musulmans pour qu’ils propagent l’islam. Nihil novi sub sole depuis 1940.
Le nouveau, car il y a du nouveau dans cette entreprise d’apologie, ce sont les éditions du Cerf, des éditions très chrétiennes, qui financent l’entreprise et essaient de sauver l’islam du désastre. Car à qui est destiné ce pavé ? Aux musulmans ? Comme ils ont le vrai Coran à un prix dérisoire, ils n’ont que faire d’un faux Coran à 60 €. Et surtout, quand les salafistes et les fréristes, tous bons sunnites, vont apprendre que cette entreprise a été menée par un chiite, ils y verront, non sans raison, l’œuvre de Satan, ce Diable ou ce Démon qui cherche à faire accroire aux musulmans que la allah ila chitaan et que Mouhammad rasoul chitaan.
En bref, les éditions du Cerf auraient dû donner à l’islam un coup de pied aux fesses pour qu’il revienne dans ses tanières, mais elles veulent prouver aux chrétiens et autres que l’islam n’est pas si terrifiant que ça, que les meurtres sont des épiphénomènes, que l’esclavage n’est qu’un détail, etc. Et pour cela, cette maison d’édition, qui ne sait plus où elle habite, parle d’une aventure inédite de l’esprit (l’esprit de collaboration sans doute), d’une somme sans précédent dans l’histoire (les rançons que versent les Français aux musulmans), d’une contribution majeure à la science (science sans conscience n’est que ruine de l’âme), d’une avancée décisive pour la compréhension mutuelle des cultures (rires)…
Rideau… Comme dirait Alceste, c’est bon à jeter aux cabinets.
Etienne Dolet
Contributeurs
- Mohammad Ali Amir-Moezzi (EPHE)
- Mehdi Azaiez (Université de Lorraine/KU Leuven)
- Samra Élodie Azarnouche (EPHE)
- Meir M. Bar-Asher (Université Hébraïque de Jérusalem)
- Mette Bjerregaard Mortensen (Université Libre de Bruxelles)
- Anne-Sylvie Boisliveau (Université de Strasbourg)
- Antoine Borrut (Université du Maryland)
- Éléonore Cellard (EPHE)
- Muriel Debié (EPHE)
- Julien Decharneux (Université Libre de Bruxelles)
- François Déroche (Collège de France)
- Vincent Déroche (EPHE)
- Guillaume Dye (Université Libre de Bruxelles)
- Frantz Grenet (Collège de France)
- David Hamidovic (Université de Lausanne)
- Frédéric Imbert (Université Aix-Marseille)
- Christelle Jullien (CNRS)
- Manfred Kropp (Université de Mayence)
- Paul Neuenkirchen (EPHE)
- Karl-Friedrich Pohlmann (Université de Münster)
- David S. Powers (Université de Cornell)
- Gabriel Said Reynolds (Université de Notre Dame, USA)
- Christian Julien Robin (CNRS)
- Carlos A. Segovia (Université de Saint Louis de Madrid)
- Stephen J. Shoemaker (Université d’Oregon)
- Michel Tardieu (Collège de France)
- Tommaso Tesei (Institute for Advanced Studies de Princeton)
- Jan M. F. Van Reeth (Faculté des sciencesPS : Mohammad Ali Amir-Moezzi, Professeur des Universités, est directeur d’études à l’École pratique des hautes études/PSL et membre de l’Académie Ambrosienne de Milan.Guillaume Dye est professeur d’islamologie à l’université libre de Bruxelles, membre du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité (CIERL).