Le développement durable ou le retour du bourrage de crâne

Le développement durable est entré en force dans les programmes scolaires de 5e. Outre le service ainsi rendu par l’ Éducation Nationale au capitalisme industriel du XXIe siècle, ce parti pris citoyenniste avec ses indignations écologistes calibrées et labellisées, vise à normaliser les esprits des futurs « écocitoyens », à en faire des écolocrates.
Après le développement industriel qui connut son apogée durant les Trente Glorieuses, la géographie officielle de l’ Éducation Nationale introduit le développement durable dans les classes de collège. « Un concept opérationnel pour analyser la gestion de l’espace », prétend-elle. En fait une appellation fourre-tout, un recyclage à la va-vite de l’ancien programme. À l’arrivée, une option idéologique très contestable, des questions ridicules et simplettes.
Sous couvert de science avec modélisations, études de probabilités, des experts auto-proclamés du développement durable annoncent leur connaissance infaillible de l’avenir à coups de prophéties par essence invérifiables. Que doivent savoir les collégiens de 5e ? Que pour sauvegarder notre planète, il faut se plier aux directives du développement durable sinon notre monde s’effondrera. Nous retournerons au chaos originel. En pire.
L’école du catastrophisme
Si dans la réalité, et malgré les dénégations des responsables de l’ Éducation Nationale, il s’agit de repenser l’enseignement de la géographie par le petit bout de la lorgnette , derrière la promotion du développement durable se cache — au-delà de l’effet de mode —une éducation au catastrophisme plus prononcée qu’auparavant. Une promotion du parti d’ Éva Joly.
Le développement durable n’est pas seulement la matérialisation de la peur de manquer (manquer de nourriture pour remplir les McDo, manquer d’eau pour les canons à neige dans les stations de ski, manquer d’air pur et de plages saines pour les séjours méditerranéens ou tropicaux), mais la mise en scène de toutes les peurs produites par toutes les écoles du catastrophisme :
— l’école apocalyptique du nucléaire (fonds de commerce de Greenpeace avec centrale explosant — heureusement qu’il y a eu Tchernobyl et Fukushima)
— l’école du réchauffement climatique qui, avec un fort soutien médiatique, en appelle à la discipline individuelle du consommateur, le flattant comme « conscient et responsabilisé », pour imposer des rationnements ou vendre cette moderne indulgence qu’est la compensation carbone permettant aux bobos citoyennistes mondialisés de voyager sans troubles de conscience.
— l’école de l’épuisement qui réclame la mise en place des énergies alternatives. Cette école spécule sur la fin des énergies fossiles, des ressources en eau, des terres arables, de la biodiversité… Sans rien pour les remplacer. Du moins, est-ce ce qu’elle prédit tout en faisant la publicité de l’éolien , du moteur à hydrogène, de la voiture électrique, des panneaux solaires, des ampoules à basse consommation et autres fumisteries. Elle veut imposer « un changement de cap », une « société plus sobre », et pour elle, instiller la terreur de l’avenir est un bon moyen d’y parvenir.
— l’école de l’empoissonnement qui lance des alertes à tout va sur les pollutions chimiques, les perturbations hormonales et génétiques, les ondes électromagnétiques, la pénétration nano technologique dans nos corps, la nocivité des vaches péteuses, des couches-culottes jetables. Récemment une alerte est apparue sur la pollution des rivières par les molécules des pilules contraceptives rejetées par l’urine de nos compagnes. Les poissons risquent l’infertilité. À quand la recommandation d’un retour de la méthode Ogino beaucoup plus naturelle ?
Les experts de cette école dénoncent des problèmes de « santé publique », multiplient les obsessions hygiénistes et sanitaires pour préserver une santé élevée au rang de mythe. Cette obsession fait déjà tourner un vaste secteur de production marchande labellisé bio. Avec emballage respectueux de l’environnement, s’il vous plaît.
— l’école du chaos met l’accent sur la dislocation sociale et géopolitique du monde si l’humanité n’adhère pas au développement durable. Elle invente des zones de fracture, alarme sur la déforestation, le remplacement de la culture des céréales par le colza pour la fabrication du biocarburant (vanté par ailleurs comme plus durable que l’essence ou le fuel). Les famines de demain seront notre peste d’hier.
Toutes ces représentations catastrophiques avec leurs schémas explicatifs sont dans les manuels de géographie. Les nouvelles règles de comportement sont édictées, “ la bonne pensée ” diffusée. Les craintes affichées par les experts (« Si nous ne changeons pas radicalement notre mode de vie… ») sont devenues des ordres.
Il faut être vert…ueux
Le développement durable est devenu la nouvelle religion des sociétés modernes avec ses Églises (le GIEC — Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’ Évolution du Climat — bien sûr mais aussi tout un ensemble de comités Théodule : le CNDD (Conseil national du développement durable), le CGDD (Commissariat National du développement durable), le DIDD (Délégation Interministérielle du développement durable), le CEDD (Conseil écologique du développement durable), ses grands prêtres (l’inénarrable M. Hulot, le saint Arthus-Bertrand, le prophète Al Gore…), sa Bible (les différents rapports — celui des Nations Unies sur le Développement, ceux de Kyoto, Rio, Copenhague — et maintenant les livres de 5e).
Chacun des prophètes du développement durable aura sa place à la droite de ce Dieu, son invitation dans les émissions télés et apposera sa signature sur la couverture d’un bouquin à dominante bucolique. Les fonctionnaires de l’ Éducation Nationale collaborant à imposer le développement durable ne sont pas les derniers sur la liste. Ils publient aussi à tour de bras, recopiant les manuels anciens en ajoutant la pensée magique du jour.
Pour éviter toute contradiction, toute analyse autre que la leur, les promoteurs du développement durable ont dressé, sous le nom d’idées reçues, la liste de ce qu’il est interdit de penser.
Rappelons que les idées reçues contiennent souvent des vérités essentielles alors que les idées originales sont pour la plupart fausses, voire mensongères.
« Le développement durable, ce n’est pas une affaire de mode », serinent les représentants de l’ Éducation Nationale avec la conviction de ceux qui prétendent aller voir le spectacle des filles du Crazy Horse pour étudier la chorégraphie de Bertha Von Paraboum et les retombées économiques des prestations des call-girls.
Les problématiques posées sont d’une profondeur de Sapeur Camember : les populations des pays développés à forte espérance de vie sont-elles égales avec celles des pays du tiers-monde à faible espérance de vie ?
Oublions le thème de l’égalitarisme dont se gargarise l’enseignement depuis des décennies, pour répondre à cette question d’une manière très… développement durable.
Le Burkinabé avec son espérance de vie de 45 ans, sa mortalité infantile élevée (un enfant sur cinq disparaît avant l’âge d’un an) : ses moyens de transport naturels (l’âne ou la marche), son eau boueuse prélevée dans les mares (pas de bouteille plastique à transporter et à jeter une fois vide), ne laisse pratiquement aucune « empreinte écologique » . Heureux homme !
Alors que l’homme occidental avec son habitation chauffée ou climatisée, ses deux automobiles, son matériel électroménager, ses voyages, ses vaccins, ses stations d’épuration, ses routes asphaltées, est une abomination pour le développement durable. Le Burkinabé est donc bien meilleur qu’un Français ou un Américain. Il est un modèle de vertu écologique.
Bonne conscience, bien-pensance et autres petites accommodations avec le réel
On retrouve dans le développement durable tout le vocabulaire perfide et détestable qui a déjà pourri l’enseignement : décloisonnement des compétences entre les différents acteurs, grilles d’évaluation sur la faune, la flore et l’activité humaine, pervers principe de précaution appliqué à tout et n’importe quoi, fumisterie du milieu naturel reconnu comme patrimoine de l’humanité comme si celui-ci était figé sur le modèle des corps plastinés de Gunther von Hagens.
Pour imposer le développement durable, il faut qu’il possède un curriculum vitae irréprochable. Nos propagateurs de la nouvelle idéologie ont d’abord fait remonter sa création à 1987 . « Vous voyez comme ça ne date pas d’aujourd’hui », lance une inspectrice d’histoire-géographie qui semble avoir des repères temporelles aussi restreints que ceux des élèves.
Puis, le ridicule ne tuant pas, ils font maintenant appel à la loi Jules Ferry de 1882 sur l’école laïque, gratuite et obligatoire, à Colbert, à Philippe VI, à Philippe de Valois avec son ordonnance de 1348 sur l’administration des forêts de la couronne. Et pourquoi pas aux chasseurs-cueilleurs de la préhistoire.
Tout cela pour camoufler que le développement durable est une idéologie dont l’ Éducation Nationale est le cheval de Troie. Le but non avoué est de conquérir la cervelle des élèves, d’en faire de bons petits manipulés, et si possible des délateurs de leurs parents comme au bon vieux temps des régimes fascistes (noirs et rouges). « Hier maman n’a pas fait le tri sélectif », entend-on déjà dans les écoles à l’heure de l’entretien de socialisation du matin .
Selon Hannah Arendt, le problème de la domination totale est de fabriquer quelque chose qui n’existe pas : à savoir, une sorte d’espèce humaine qui ressemble aux autres espèces animales et dont la seule “ liberté ” consiste à “ conserver l’espèce ”.
Le développement durable est la solution.
Il dicte les commandements modernes et écologiques de la vie quotidienne de chacun : tu prendras une douche plutôt qu’un bain ; tu jetteras ta bouteille de bière dans la poubelle jaune, (ou rouge ou verte ou bleu ou marron) et ainsi sauveras la planète, tu rempliras ton bac à compost avec tes épluchures de pomme, tu éteindras les lumières en sortant d’une pièce, tu imprimeras tes feuilles recto verso, tu accepteras la dématérialisation en courriel de tes factures d’eau, d’électricité, (même s’il faudra ensuite les imprimer chez toi car le numérique étant fragile, le papier reste le plus sûr, mais c’est toi qui paieras l’imprimante et les cartouches d’encre hors de prix), tu te nourriras bio…
Les idéologues du développement durable se servent du chantage pour s’imposer.
Ils n’hésitent pas à asséner qu’il est fasciste de penser qu’il puisse y avoir trop d’habitants sur la planète, soupçonnant ceux qui tiennent un tel propos de vouloir exterminer une partie de la population mondiale . Qui pense encore cela ?
Ils matraquent que les fortes densités de population des pays en voie de développement (durable ?) ne sont pas responsables de la dégradation de leur environnement. Ce sont les populations occidentales qui le sont. Ce raisonnement tordu repose sur la fameuse « empreinte écologique » dont nous avons déjà parlé. Puisque les populations africaines ont une faible empreinte écologique (ce qui n’est évidemment pas plus démontré que le battement d’ailes d’un papillon déclenchant un cyclone), ce sont les citoyens des pays à IDH (Indice de Développement Humain — non durable ?) élevé qui le sont. Pour appuyer le bobard : images de longues cheminées crachant leur sanie noirâtre, de poissons morts dans un cours d’eau, de décharges publiques à ciel ouvert.
Moralité : il faut changer de comportement.
Changement qui s’effectue au profit des installateurs de panneaux solaires et d’éoliennes subventionnés, et surtout des Etats et des communes qui taxent, créent de nouveaux impôts écologiques et des péages à l’entrée des grandes villes.
Évidemment toutes ces mesures sont prises sous prétexte « d’améliorer la qualité de vie » de chacun d’entre nous.
Pari pascalien ou manipulation globale
Pour ses zélateurs, le développement durable serait une sorte de pari pascalien. Donc un pari sur l’avenir. Ils prônent la vertu de l’exemple : c’est aux habitants des pays riches d’abandonner leur automobile pour la marche à pied ou le vélo, de renoncer à se chauffer, de trier leurs déchets et ainsi, demain, les mauvais élèves que sont les Chinois, les Indiens, les pays émergents, voudront nous imiter.
Remarquons également que le développement durable sanctifie les animaux et installe sur le pilori les êtres humains (spécialement les moins favorisés d’entre eux).
Victoire définitive de Nif-Nif et Nouf-Nouf, leurs maisons en paille et en bois étant bien plus développement durable que la maison en dur de Naf-Naf surtout depuis que les loups (comme les ours et les requins) ne sont plus de dangereux prédateurs mais de quasi animaux de compagnie.
Tout ce battage autour du développement durable, sa promotion par l’ Éducation Nationale  et les médias et les ONG , n’ont pas marqué un arrêt de la croissance capitaliste, mais l’engagement du capitalisme (et principalement de l’oligarchie mondialisée) dans une nouvelle phase. Non seulement le capitalisme spécule sur les matières premières (blé, riz, pétrole), mais, depuis le sac qu’il nous vend pour porter nos achats dans ses supermarchés jusqu’à la production de nouvelles énergie en passant par la transformation en marchandises des éléments nécessaires à la vie comme l’eau, l’air et le soleil, il accroît la globalisation et la mainmise idéologique sur les populations.
Les travailleurs chinois, vietnamiens, indiens, bangladais, doivent continuer à fabriquer des produits merdiques pour les chômeurs occidentaux mais en étant les uns et les autres des acteurs conscientisés du développement durable.
Marcus Graven
Lectures conseillées :
– A qui profite le développement durable ? de Sylvie Brunel (Larousse 2008, réédition 2010)
– Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable de René Riesel et Jaime Semprun (Editions de l’Encyclopédie des nuisances, 2008)
Un exemple de bourrage de crâne :
l’écoquartier de BedZED
BedZED, acronyme de Beddington Zero Energy (fossile) Development (une des villes du district de Sutton) apparaît dans les manuels de 5e comme la neuvième Merveille du monde.
Ce quartier au sud du Grand Londres, grâce à la communication efficace de ses promoteurs, est le nouveau paradis sur Terre. Un exemple du développement durable.
Demain toutes nos villes seront des BedZED nés des agendas 21 .
Toits recouverts de végétation formant des jardins arrosés par l’eau de pluie récupérée, isolation parfaite des logements réduisant de 90% la consommation électrique, pas d’automobiles mais des vélos et une desserte parfaite par les transports en commun, des aérations très colorées. Les manuels scolaires sont dithyrambiques. Pas une fausse note. 2500 m2 de bureaux certifiés développement durable avec à la clé, 200 emplois. Une centrale électrique de cogénération. Un centre médicosocial, un complexe sportif, une crèche, un café et un restaurant.
Histoire-Géographie 5e – Hâtier 2010
Sauf que les 2500 m2 de bureaux ont été transformés en logements, que des climatiseurs ont été installés dans les appartements invivables en été tant l’isolation est performante. Sauf que l’entreprise qui gérait la centrale de cogénération a fait faillite (non rentable) et que le quartier est maintenant relié au réseau électrique traditionnel. Sauf que la crèche a fermé faute de subventions. Sauf que l’automobile classique sensée disparaître au profit du vélo, des transports en commun et de véhicules électriques gérés en commun s’est imposée. Tous les ménages du quartier en ont acheté au moins une. Ces voitures sont garées dans les rues adjacentes d’où des conflits avec les gens des quartiers entourant BedZED. Ils se considèrent comme envahis par les automobiles du quartier écolo. Sauf que la majorité des BedZEDois sont des bobos mondialisés, cadres londoniens à hauts revenus qui travaillent et s’amusent à Londres, n’utilisant aucun des services du quartier (salle de sports, restaurant…). Sauf que ces bobos vivent non seulement séparés des autres habitants de Beddington mais aussi des familles occupant les quelques logements sociaux. Ces familles refusent de se plier aux multiples contraintes de vie du quartier qu’elles n’ont pas choisi d’habiter (logements attribués par la municipalité au nom de la mixité sociale). Sauf que les appartements coûtent 30% plus chers que les appartements de même standing.
Sauf que BedZED est un écolomusée que les gogos du développement durable visitent, mais pas un vrai quartier d’une vraie ville. Évidemment rien de tout cela dans les manuels scolaires.