Au moment où se déroulent des évènements de « libération des peuples » de l’autre côté de la Méditerranée les médias organisent de multiples débats sur le sujet, on demande la plupart du temps aux intervenants de jouer les « Madame Soleil » et de prévoir l’avenir en répondant à la question presque unanimement et exclusivement posée : « maintenant comment pensez-vous que cela puisse évoluer et se terminer ?».
Il y a alors deux catégories de penseurs et de réponses, les optimistes qui annoncent des lendemains démocratiques qu’ils pensent radieux, car maintenant nous sommes face à la volonté populaire, et les sceptiques qui aimeraient, comme les premiers, que ça se termine bien mais qui ont des doutes parce que le passé nous a montré qu’une révolte populaire peut déboucher sur des prises de pouvoir militaire, de dictature ou d’idéologie plus ou moins totalitaire et que les forces actuellement les mieux organisées de ces pays en révolte sont les militaires et les frères musulmans. Les peuples en révolte, eux, s’accrochent au mot liberté. Qu’est-ce que ce mot peut signifier pour eux ? Y-a-t-il suffisamment d’intellectuels et de philosophes capables de les guider dans une démarche vers la liberté, liberté pour quoi faire ?
J’ai été frappée par un reportage dans un lycée de Tunis où des jeunes filles étaient interviewées et où l’une d’elle (la seule parmi une quinzaine d’autres jeunes filles) arborait fièrement un voile qu’elle pouvait enfin porter au lycée….Pour elle la liberté c’était cela, en finir avec l’interdiction du voile à l’école.
La liberté dans un pays musulman peut-elle être la liberté des uns de mettre en place un système amenant la population vers plus de religion ? La ferveur des prières régulières faites lors des manifestations peuvent faire penser que c’est une possibilité non négligeable. En Egypte les forces armées ont des contacts très serrés avec les USA et des engagements d’accords pour la paix avec Israël conclus il y a plus de 20 ans. Ces accords ayant été conclus par les pouvoirs politiques antérieurs, la rue musulmane restera-t-elle sur la même ligne ? Au nom de la liberté, certains ne vont-ils pas remettre ces accords en cause et décidé d’une autre politique internationale ?
Suivant les origines des personnes participant aux débats on sent des enthousiasmes ou des réserves dont certaines peuvent être très fortes. Ce sont les jeunes surtout qui ont commencé les manifestations en Egypte, mais combien sont actifs dans les mouvements des « frères » ? Et ce sont plutôt des vieux qui prennent les commandes de la phase transitoire. La démocratie demande ouverture, savoir-faire, équilibre et esprit critique, il a fallu un siècle, après la révolution française, pour mettre en place une démocratie réelle.
S’il semble acquis pour tous les observateurs que les mouvements actuels ne sont pas l’œuvre de complots, ourdis par les puissances étrangères, mais émanent réellement des peuples, nous avons, avant de nous réjouir, un devoir de mémoire. Nous ne devons pas oublier les terribles paroles de M Youssouf Al Qaradwi, qui déclarait il y a une quinzaine d’années que Hilter n’avait pas complètement terminé l’œuvre d’extermination des juifs et qu’il reviendrait aux musulmans de finir le travail. Que faisait cet homme le 18 février Place Tahrir à diriger la grande prière ? Etait-il là invité par des gens ignorant cette terrible position ou au contraire par des gens connaissant parfaitement son point de vue ?
Ensuite, à supposer que les forces de gauche et les forces religieuses puissent s’entendre pour créer des démocraties gardons toujours en nous l’arrivée triomphale, il y a 32 ans de l’Ayatollah Khomeyni, admiré par toutes les forces de gauche occidentales, accueilli en liesse par un peuple enthousiaste et par le parti communiste iranien alors sous le charme….. On a vu la suite…. !
Chantal Crabère