Le nouveau et sinistre programme d'histoire-géo de lycée

Le nouveau programme d’ histoire-géo de Première semble bien mettre l’accent sur les « sociétés »; aux dépens des « États ». Exemple: l’étude de la Grande Guerre est envisagée dans un ensemble chronologique socio-culturel global, avec la Seconde Guerre, où il s’agit d’insister sur la notion de « guerre totale » impliquant de lourdes pertes civiles, les génocides (celui des Juifs en tête), et les « expériences combattantes ». Le professeur peut donc laisser tomber ses cartes des alliances et des fronts, et aborder les guerres en faisant abstraction de leurs causes. Ce qui compte, dorénavant, c’est la manière dont les sociétés et les hommes ont vécu et enduré le choc, la souffrance, la « brutalisation » des conflits. L’historiographie de 14/18 n’en finit plus depuis vingt ans au moins de se poser la question: comment ont-ils tenu ? Consentement patriotique ? Résignation ? Pressions socio-culturelles ? Contraintes militaires ? Le programme et les manuels semblent avoir pris le parti de l’ École de Péronne, qui privilégie, sinon la thèse du « consentement », du moins celle d’une « culture de guerre » qui s’est avérée plus forte que les initiatives et manifestations pacifistes ou révolutionnaires. Vrai pour la France, mais pas pour la Russie ni pour l’Allemagne…
La société tient également la vedette avec le premier chapitre, véritable ouverture idéologique, intitulé: « Croissance et mondialisation depuis 1850 ». En une dizaine d’heures le professeur doit évoquer autant de thèmes à caractère économique, social et culturel, qui nécessitent des « pré-requis », des connaissances préalables que la plupart des élèves n’ont pas (étant donné la médiocrité hétérogène et polyvalente des classes de Seconde). Une place de choix est faite à l’immigration, dans le cadre français; la plupart des manuels y consacrent plusieurs pages (appelées « études » ou « dossiers »). Cette nouveauté est intéressante, elle met fin à un très long silence et peut permettre aux professeurs d’histoire de rectifier un certain nombre de préjugés sur l’immigration. Cela dit, comme on pouvait s’y attendre, les manuels et le programme donnent des immigrés l’image générale d’une pauvre population exploitée et très méritante, qui a contribué largement à la croissance et à la reconstruction de la France, tout en étant socialement et culturellement marginalisée, voire victime de répressions policières (Algériens en 1961). Comme on pouvait s’y attendre également, il est écrit que l’immigration a été freinée depuis 1975 et que le pourcentage des immigrés n’a pas augmenté depuis dans la population française. Les manuels font état, bien sûr, des problèmes d’intégration, mais en insistant sur les manifestations xénophobes du Front National, et sur la dimension désormais européenne (espace Schengen) des politiques d’immigration.
J’enseigne dans un lycée d’une ambiance générale très sympathique, et j’ai pu devant mes élèves de Première apporter certaines nuances au programme et aux manuels; j’ai jugé bon par exemple de rappeler les causes de la Première Guerre, et de recourir au mode narratif (officiellement déconseillé) pour le faire. Je ne me suis pas privé non plus de commenter un document de mon manuel faisant état de « SOS Racisme » et de sa petite main jaune. J’ai indiqué que la population immigrée s’élevait aujourd’hui à 11 % de la population française (sans compter les clandestins) et non à 6-7% comme le laissent deviner certains diagrammes de manuels. J’ai mentionné que des actes et des propos racistes pouvaient venir aussi des immigrés, notamment d’origine africaine. J’ai rappelé La Marseillaise sifflée lors du match de football France-Algérie de 2001. Il m’a semblé entendre dans l’une de mes deux classes de Première une grande rumeur générale approbatrice, ainsi que des remarques en sourdine concernant les allocations familiales. Dans l’autre classe, les quatre élèves d’origine arabe et celui d’origine noire-africaine, qui s’assoient toujours ensemble dans la même rangée de la salle de cours (ce que je ne réprouve pas), ne se sont pas insurgés à l’écoute de mes modestes nuances, qui ont même fait dire à l’un d’entre eux que c’était bien de pouvoir enfin parler tranquillement de l’immigration. Tout en me félicitant de ce climat de confiance apparente, je ne me fais guère d’illusions sur ce qui peut se passer ailleurs en France et sur ce que peuvent dire la plupart de mes collègues.
De cette première partie du programme d’histoire une impression peut être dégagée, et tout me laisse à penser qu’elle sera renforcée par la suite: les questions abordées relèvent d’une idéologie historiographique plutôt sinistre, avec de forts accents morbides et victimaires. L’opposé d’un « Gai Savoir ». Autrefois, on éveillait peut-être les esprits et les imaginations des jeunes gens par des vies exemplaires, des scènes d’héroïsme, en tout cas par des leçons distrayantes et non dénuées d’humour (le lycée des années 70). A présent, on étudie des « masses » humaines écrasées, exploitées, massacrées, on présente une histoire du travail et des sociétés dominée par les contraintes et les injustices. On insiste sur le « malheur » du monde. Guernica est dans tous les manuels. Le XXe se réduit à un champ de batailles, à un immense camp de concentration, à un totalitarisme politique et social qui abolit l’individu.
C’est très inquiétant. Car c’est l’impression générale ultime que l’enseignement de l’histoire va laisser à tous les jeunes gens de ce pays. Il y a urgence à riposter.
Jean Dufeu