Le rôle du Qatar dans le financement des groupes islamistes terroristes

Cet article de Khalil Khoury met en relief le rôle du Qatar dans son soutien au terrorisme mené par les fondamentalistes islamistes mais devrait impliquer aussi l’Arabie Saoudite, l’autre protagoniste. Ces deux pays sont en effet parties prenantes pour attiser les révolutions arabes par un soutien logistique et financier grâce aux pétrodollars, aux  « gazodollars » et même aux troupes qataries au sol, dans le but de remplacer les dictatures dites « civiles » par des dictatures religieuses et de parer à toute extension des révoltes vers les royaumes, imarats et cheikhats (1) d’Arabie, du Mahgreb et du Proche-Orient. Les laïques arabes ont mis l’accent aussi sur la complicité de l’Occident pour asseoir des dictatures fondamentalistes et barrer la voie aux courants laïques non inféodés à leurs vues car plus nationalistes. Peut-on, dans ces conditions, faire confiance à nos stratèges Sarkozy, Obama, Merkel, Cameron, Juppé et au philosophe sans frontières BHL ? 

Ce que l’on peut déduire des prémices du mouvement populaire ou de ce qu’il était convenu d’appeler, selon les médias arabes et occidentaux, « les révolutions arabes » contre les régimes despotiques et pourris de Tunisie, Libye, Bahreïn, Égypte, Yémen et Syrie, c’est que les dirigeants et les participants étaient, dans une  majorité écrasante, des intellectuels révolutionnaires, des étudiants des universités, des lycéens et des collégiens, des ouvriers, des groupes opprimés de la société, des membres actifs en politique appartenant à des partis, à des courants patriotiques, laïques, de gauche et nationalistes. Le reste, un petit nombre, était constitué de groupes s’adonnant à l’opium du surnaturel. Ce qui confirme ces déductions, c’est que nous n’avons pas vu, au début du mouvement, des manifestants brandir des slogans et répéter des mots d’ordre religieux du genre : « L’islam est la solution » ou « La charia musulmane est la source principale pour légiférer » ou « La religion de l’état est l’islam » ou « Hommes et femmes soutiennent le projet de la polygamie ».

Au contraire, nous avons vu les révolutionnaires brandir des slogans réclamant la chute d’un régime despotique, la restitution de l’argent public volé par la tête du régime et par ses hommes qui auront des comptes à rendre devant la justice, la réalisation de la justice sociale, l’instauration d’un état civil qui réalise l’égalité entre les citoyens dans les droits et les devoirs et qui garantit les libertés publiques, le pluralisme des partis, l’alternance de l’autorité, une participation populaire plus étendue dans l’élaboration des décisions politiques, économiques, tous slogans auxquels ne croient pas les groupements islamiques fondamentalistes comme les Frères Musulmans, les salafistes, les tahriris (2), les jihadistes d’al-Qaeda, et qu’ils considèrent même comme des slogans intrus et étrangers à nos sociétés musulmanes, exportés vers nous par les pays des infidèles et des associants, afin de déchirer notre tissu social et anéantir nos cultures, nos traditions sociales et politiques fondées par nos pieux anciens.

De plus, si nous nous référons à leur organisation et si nous lisons les écrits de ces groupements (islamiques NDT), l’application de ces slogans (civils NDT) ne réalisera aucune réforme sociale mais conduira à des résultats contraires tant qu’ils n’ont pas comme but d’éviter les risques de discorde consécutive aux problèmes (de la couverture NDT) des parties honteuses des femmes, d’humilier les minorités idéologiques et religieuses, de combattre les courants de gauche, les laïques, les athées, qui constituent à leurs yeux le foyer du mal et de la pourriture dans la société. C’est ainsi que, lorsque survint l’affrontement entre les appareils de répression et les casseurs d’un côté et les manifestants de l’autre, la majorité des morts et des blessés étaient des manifestants appartenant à ces courants et groupes sociaux. Une minorité appartenait aux groupes islamiques. Cela n’est pas étonnant car le rôle des islamistes intervient tardivement et dès qu’ils s’assurent que les forces des appareils de sécurité et des manifestants se sont épuisées ou peut être qu’ils sentent vers quelle direction penche la balance des forces pour se mettre en fin de compte du côté du plus fort …

Le cheikh qatari Hamad lors d’une récente réunion de la Ligue Arabe (NDT) 

L’accroissement de la force des Frères Musulmans et l’augmentation du nombre des adhérents et des actifs dans leurs organisations, qui portent le nom de « Jama’at » (confrérie) ou d’autres appellations pour dénier leur participation aux actions terroristes en Égypte et ailleurs dans les pays arabes  où la peste des Frères s’est propagée, posent des questions sur les causes qui en font de très grandes organisations, les plus disciplinées, les mieux soudées sur le plan organisationnel et les plus attirantes pour les couches pauvres et exploitées. Les causes résident-elles dans leur discours religieux qui assure que la demeure des adhérents de leur organisation, de ceux qui la soutiennent, de ses électeurs, sera dans les jardins du paradis, qui regorgent de femmes aux beaux yeux et de beaux éphèbes, où coulent des rivières de lait et de miel ? Ou bien les causes résident-elles  dans les généreux dons qui se déversent sur eux avec une générosité incomparable et qui proviennent des poches des cheikhs des cheikhats du pétrole et du gaz qui veulent investir dans des opérations jihadistes contre les régimes et les courants progressistes  et de gauche ? 

Il est certain que leur discours religieux n’a jamais été un facteur primordial pour attirer une couche sociale et pour avoir ses suffrages. Si c’était la cause de l’accroissement de leur force, les Frères Musulmans n’auraient pas été l’une des plus faibles organisations en nombre d’adhérents avant la flambée pétrolière et leur impact idéologique l’un des plus faibles sur une large partie de la société ; je peux dire même qu’elles étaient des organisations rejetées et même suspectes dans les années 50 et 60 du siècle dernier,  c’est-à-dire avant l’effervescence pétrolière. Seuls adhéraient  les fanatiques et ceux qui ne parvenaient pas à s’adapter au système des valeurs civilisationnelles modernes. Ces organisations n’ont pris du poil de la bête et leur force ne s’est accrue qu’après la poussée pétrolière. Nous disons que les bienfaiteurs et les donateurs des Frères Musulmans sont représentés par les cheikhs du pétrole et du gaz.

Qui de ces cheikhs sont les plus généreux pour pomper les revenus du gaz vers les Frères Musulmans, surtout à la période qui a coïncidé  avec ce qu’on appelle les révolutions du printemps arabe ?

Il n’y a pas de doute que le cheikh du cheikhat du Qatar, Hamad Ibn Khalifa, est dans une phase de bouillonnement populaire contre les régimes despotiques. C’est bien lui qui soutient et aide le plus la Confrérie des Frères Musulmans, en argent et même en  approvisionnant leurs milices en équipements et en armements. Il fait cela non pas parce que, par sympathie, il soutient les révolutions du printemps arabe qui brandissent des slogans réclamant la démocratie, l’alternance de l’autorité, la réalisation de la justice sociale, qui n’existent pas dans le cheikhat de Qatar et dont le cheikh Hamad est l’un des pires ennemis, mais pour que les Frères emploient cet argent pour attirer le  prolétariat pauvre et les c
ouches sociales non politisées en les soudoyant par des dons généreux en nature et en espèces.

Le but est de récupérer leurs votes dans les élections représentatives ou de les jeter, le moment propice, dans n’importe quel mouvement populaire portant des slogans pour faire chuter l’autorité et dévier le mouvement loin de ses objectifs de liberté et l’orienter vers les objectifs religieux que les Frères Musulmans envisagent d’appliquer après avoir  pris le pouvoir.

Le cheikh Hamad n’a pas dilapidé une grande part des revenus du gaz qatari pour soutenir les organisations des Frères Musulmans sans une acceptation préalable de la Confrérie : qu’elle soit sa monture pour étendre son influence sur plus d’une place arabe, pour qu’il devienne un acteur principal et qu’il domine la ligne de la Confrérie. 

En se fondant sur cette vérité, il est possible de dire que, sans le soutien financier du cheikh qatari au mouvement palestinien Hamas, branche des Frères, ce dernier n’aurait pas pu embrigader des combattants dans les rangs du mouvement ou acheter des armes puis réaliser son coup d’état contre l’Autorité Palestinienne, désarmer les supporters de l’Autorité et instaurer l’imarat de Hamastane à Gaza. Il n’aurait pas pu attirer une grande partie de citoyens palestiniens et gagner leurs suffrages aux élections parlementaires qui ont abouti à sa victoire avec les deux-tiers des sièges au Parlement palestinien. 

De même, il n’aurait pas été possible aux Frères de Tunisie, « le parti Annahda », qui n’avait aucune présence publique sur la scène politique ni une influence sur la population jusqu’au déclenchement de la révolution tunisienne ni un rôle pour en attiser le feu, d’attirer un grand pan de la population tunisienne ou de créer des centaines de sièges du parti dans les villes et dans la campagne tunisienne et aussi des centres de santé qui offrent des services gratuits aux pauvres, sans que le parti ne reçoive un grand soutien du cheikh des bienfaiteurs, le cheikh Hamad. D’autant que, le cheikh Rashed al-Ghannouchi a rendu sa dernière visite au cheihkat du Qatar où, après avoir rendu son devoir d’allégeance et d’obéissance au grand bienfaiteur, son parti est allé amender radicalement la Constitution et, par conséquent, faire de l’islam la religion d’état et de la charia la source principale de la législation.

Aurait-il été possible aussi aux révolutionnaires libyens soutenus par l’OTAN de renverser le despote, le colonel Mouammar Kadhafi, sans le cheikh Hamad qui a garanti la prise en charge du coût de la campagne atlantique sur la Libye par les revenus du gaz qatari. Peut-on en douter, après les déclarations de sources occidentales affirmant que les forces atlantiques qui ont participé à cette campagne n’ont dépensé aucun centime pour couvrir les frais de plus de quarante mille raids aériens dont le but était la destruction de l’armée libyenne et de plus celle de centaines d’édifices de services et de production libyens ?? Il n’y a pas de doute non plus que le cheikh Hamad est à l’origine du financement des groupes islamiques armés et tout spécialement du groupe d’un chef éminent de l’organisation d’al-Qaeda, Abd el-Karim Belhaj, à qui il a fourni des armes, comme l’ont confirmé des responsables de l’OTAN et des membres libéraux et nationalistes du Conseil de Transition Libyen. Pas de doute non plus que les avions de l’Armée de l’air qatari n’ont cessé de leur fournir des armes que lorsque les pays occidentaux ont adressé un avertissement au cheikh du Qatar. 

Il y a quelques jours, les médias arabes et étrangers ont rapporté que le grand bienfaiteur et soutien des Frérots, le cheikh Hamad, a déclaré qu’il est prêt à couvrir les frais de toute campagne militaire destinée à renverser Bashar al-Assad  et à offrir protection aux civils syriens. Quand nous entendons le cheikh émettre de telles menaces, un observateur a-t-il besoin de chercher des preuves pour affirmer que les caisses du cheikh Hamad sont la source principale du financement des groupes armés des Frères opérant sur la scène syrienne sous l’étiquette de ce qu’on appelle l’Armée Libre de Syrie ? Sans ce soutien, les Frères Musulmans ne pouvaient pas exécuter leurs opérations terroristes qui ont entraîné la mort de 2.500 personnes syriennes, civils et militaires. Il aurait été difficile aussi à Burhan Ghalioun de constituer son conseil d’opposition stambouliote qui cherche à hériter du trône sur lequel est assis Bashar al-Assad depuis onze ans.

Au cours des derniers mois, des dizaines de lieux de cultes chrétiens et musulmans (ont été l’objet d’attaques NDT) qui ont fait des centaines de victimes parmi les fidèles musulmans et chrétiens, comme l’a publié, il y a quelques jours le Centre Catholique des Médias dans un rapport par lequel il confirme que les groupes fondamentalistes armés à Homs ont tué 164 chrétiens en moins de 3 mois (3).

A la lecture de ce rapport, peut-on croire Burhan Ghalioun et d’autres symboles de l’opposition stambouliote quand ils prétendent que l’agitation en Syrie est pacifique et que ces révolutionnaires sont aptes à édifier un état civil alors que leurs actions criminelles reflètent une orientation vers un état voyou et despotique.

Et enfin, ces actions terroristes ne sont-elles pas des preuves tangibles que les Frères, les salafistes et d’autres groupes fondamentalistes ne portent pas seuls la responsabilité des troubles mais que c’est aussi le cheikh bienfaiteur qui leur fournit argent et armes afin de réaliser ses rêves  impériaux ? Comme les parents et les proches des victimes de ces actions terroristes connaissent les criminels et le grand Satan qui les approvisionne en argent et en armes, pourquoi brandissent-ils un doigt accusateur vers les seuls Frères Musulmans ? Pourquoi n’adressent-ils pas un mémoire au Tribunal Pénal International réclamant l’arrestation du grand Satan, sans le soutien financier duquel on n’aurait pas assisté aux explosions des édifices cultuels, sans le soutien financier duquel la Syrie, le Liban et l’Irak n’auraient pas été des champs de bataille dans lesquels les terroristes fondamentalistes circulent et commettent des agressions, pour le traduire en justice en tant que criminel de guerre comme ils comptent juger Omar el-Bashîr (4) et Sayf el-Islam (5) pour les crimes d’extermination collective de leurs peuples ?   

Traduit de l’arabe

par Bernard Dick

(*) Auteur : Khalil Khoury, (23/11/2011)

http://ssrcaw.org/ar/art/show.art.asp?aid=284637

Notes du traducteur :

(1) Cheikhat : terme français peu usité équivalent au terme anglais sheikdom : territoire sous l’autorité d’un cheikh (chef tribal). En arabe mashyakhat.

(2) Quelques jeunes Frères Musulmans ont participé au Caire, Place Tahrir, à la révolution sans se référer aux consignes de leurs chefs

(3) On signale aussi qu’à Homs des hommes armés, cagoulés, arrêtaient des bus à la recherche d’Alaouites. On dit aussi en Syrie que l’armée américaine en Irak aurait libéré 400 jihadistes avec, pour feuille de route, de s’introduire en Syrie …

(4) Omar el-Bashîr, président du Soudan depuis 1993, réclamé par le CPI pour génocide, crimes contre l’humanité et des crimes de guerre au Darfour à l’ouest du Soudan

(5) Sayf el-Islam Kadhafi, un des fils du dictateur libyen qui devait lui succéder et qui est célèbre par ses frasques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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