Le sport a-t-il un sexe ?

Face aux prouesses de « Lightning Bolt », les médias et les athlètes se félicitent d’avoir pu assister de leur vivant à l’envol d’un pareil phénomène. Les qualificatifs sont impuissants à rendre compte de l’admiration qu’il suscite : « la légende Bolt », « le prodige Bolt », « celui qui a marqué à jamais l’athlétisme », « un ouragan », « un phénomène aux compas de géant emmenant un braquet jamais vu dans l’histoire de l’athlétisme »… Sous le titre « l’encombrant M.Bolt », l’Equipe note que « De Green à Bailey, de Pérec à Johnson, ils sont unanimes : l’extraterrestre n’a pas de rival ».
Toute autre est la tonalité des réactions face aux performances de la Sud-Africaine Caster Semenya. Les commentaires passent très vite de l’admiration – (elle a « assommé la concurrence ») à la suspicion : et si c’était un homme ? Sa voix, son corps, ses poils, tout y passe, y compris son style de course qui serait masculin. A l’exception notable de l’Anglaise Jennifer Meadows, l’une des dauphines de la jeune Sud-Africaine lors du 800 mètres, les autres concurrentes interviewées n’hésitent pas à alimenter les rumeurs. Ainsi, l’Italienne Elisa Cusma, 6e dans la course, s’emporte avec virulence déclarant « On ne devrait pas laisser ce genre de personne courir avec nous ».
Bref, « l’invraisemblable gamine de 18 ans (qui) a plané, mercredi 19 août sur la piste bleue des Mondiaux de Berlin », comme l’a décrit Le Monde, sera donc soumise à des tests de féminité. Que peuvent signifier les tests de féminité auxquels va être soumise la jeune Sud-Africaine dès lors qu’ils sont le résultat d’un processus complexe mélangeant biologie, génétique, mais aussi psychologie et endocrinologie ? Quel est le bon équilibre qui définit immanquablement l’appartenance à un sexe ou à l’autre ?
Avec cette affaire douloureuse, nous voilà revenus aux temps que l’on croyait oubliés où le sport pour les femmes faisait peur car il risquait de « viriliser » leur corps. Pour séduire les foules – donc les sponsors – le sport doit-il accuser les stéréotypes ou les dépasser ? Prises dans la tourmente, les femmes elles-mêmes se trahissent, d’abord en rejetant celles qui risqueraient d’éclabousser l’image qu’elles s’efforcent de construire (« sportive et féminine »). Ensuite en jouant sur cette image pour attirer les médias. L’exemple le plus récent étant les Bleues – et oui les footballeuses – qui pour faire connaître l’existence de leur équipe ont cru bon de jouer la carte glamour. Quatre d’entre elles, d’une beauté époustouflante, ont posé nues espérant ainsi qu’on viendrait les voir jouer. Peine perdue, note Le Parisien, « les Bleues devront trouver d’autres arguments ».
Il fallait casser les clichés, disent-elles. Ne les ont-elles pas plutôt renforcées ?
Le sport est censé apprendre le respect des autres, n’est-il pas devenu une immense machine à produire de la ségrégation ? Ségrégation entre garçons et filles, ségrégation entre valides et handicapés ? Ségrégation entre riches et pauvres ? Il est aujourd’hui de notre devoir de protéger les droits fondamentaux de Caster Semenya qui ne sont pas inférieurs à ceux d’Usain Bolt mais aussi de veiller à l’éthique du sport. Pour ce faire ne confondons pas contrôle anti-dopage et test de féminité lié au délit de faciès ! Expliquons à nos jeunes sportives que le droit les protège de toutes humiliations et autres propos sexistes et que l’enjeu pour elles doit rester une pratique du sport saine sans prises d’hormones mâles.
Rappelons également que la pratique intensive du sport peut provoquer chez la femme des modifications hormonales importantes et chez l’homme, parfois, une caricature de la virilité. Le problème est complexe, même les scientifiques se contredisent, alors ne nous laissons pas aller à la vulgarisation des sentiments si fréquents dans notre société moderne.
Le cas Caster Semenya doit servir d’exemple pour prouver encore une fois que les femmes ont des droits fondamentaux identiques à ceux des hommes.
Pour cela condamnons fermement le jugement facile et la calomnie sur l’apparence physique, l’identité, l’absence de grâce et autres pratiques sexuelles assimilable à des actes de racisme, condamnables cette fois ! Certes, Caster Semenya ne correspond pas aux canons habituels de l’athlétisme féminin. Certes ses performances sont impressionnantes, mais celles d’ Usain Bolt ne le sont-elles pas ? Oserait-on remettre en cause les performances d’un sauteur efféminé dont la légèreté et la grâce lui permettrait de repousser les limites de la performance ? Le soumettrait-on à un test de masculinité ?
La vérification de l’identité sexuelle est très incertaine mais surtout elle peut être très humiliante, voir indigne et laisser des séquelles irréparables. Elle n’a pas non plus fait ses preuves dans la détection de tricheur à la différence des tests anti-dopage ! Elle a même été stoppée lors de la Conférence mondiale du CIO sur les femmes et la santé en 1996, alors ne faisons pas marche arrière. Soumettons Caster Semenya à des analyses et des contrôles médicaux renforcés liés à la prise de produits dopants comme tous les autres athlètes.
Annie Sugier
Présidente de la Ligue du Droit International des Femmes et
Julian Jappert
Directeur du Think Tank Sport et Citoyenneté

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