Le suicide est dans le pré
Ca y est, je suis de nouveau en colère. Je préfère l’exprimer rapidement que me ruiner l’estomac.
Je dédie cet article à Monsieur Edouard Philippe et à ses somptueuses dépenses, à Gerald Darmanin et à ses entrecôtes à 120 €, et à la première dame, avec ses six bureaux occupés par un directeur, un chef de cabinet, deux secrétaires ainsi que de services de sécurité. Une dépense qui serait évaluée à 278 000 euros par les magistrats de la Cour des Comptes.
Question : comment pouvez-vous encore vous regarder dans un miroir ?
Quand me prennent des velléités de régime, je fixe une photo de Kate Moss sur mon frigidaire, cela m’empêche de piller son contenu (Tiens, où est-elle cette photo? Il y a un bout de temps que je ne la trouve plus !) Je propose la même astuce pour les bureaux des ci-avant nommés. Un paysan au bout d’une corde, qu’en pensez-vous ?
En 2008 on a observé un excès de suicides de + 28 % chez les agriculteurs et en 2009, année de la crise du lait, de + 22 %. Le secteur de l’élevage a été le plus touché : le taux de suicide a été de + 127 % par rapport à la population nationale du même âge et de + 57 % l’année suivante. En 2010 et 2011, on a dénombré 253 suicides chez les hommes et 43 chez les femmes, soit près de trois décès par semaine.
Tous les deux jours, un paysan se donne la mort en France. Leur vie est si pénible que nombre d’entre eux commettent l’irréparable.
Au-delà des problèmes économiques, le monde paysan souffre d’un manque évident de reconnaissance. Nous délaissons progressivement les campagnes et avec elles notre considération pour l’agriculteur, qui a pourtant un rôle fondamental. Notre société préfère accorder plus d’importance à des considérations futiles dont on peut largement se passer, ce qui n’est pas le cas de la nourriture, besoin primaire par excellence! Nous mangeons démesurément en occultant d’où viennent nos aliments et ce que leur production demande: le travail épuisant, l’inquiétude pour les récoltes.
Puisque nous ne reconnaissons plus la valeur morale et matérielle de leur travail, ils sont désemparés et perdus. Le mal-être de nos agriculteurs, c’est également la solitude morale, leur désespoir tient aussi au surendettement auquel on les a obligés.
Un agriculteur qui élève des porcs en Normandie confiait que le fait d’être interrogé pour un reportage lui avait permis d’éviter le suicide. En fait, il avait pris la décision de mettre fin à ses jours s’il atteignait le cap des 150.000 euros d’endettement. Cet homme portait en lui un profond sens de l’honneur et un sentiment de culpabilité à l’endroit de la ferme que son père lui avait transmis. Il lui était insupportable d’échouer là où ses ancêtres avaient réussi, sans même comprendre qu’il n’en était absolument pas responsable, que les raisons de son échec lui étaient bien étrangères.
On lui achète son lait entre 30 et 35 centimes le litre pour le revendre aux alentours de 65 centimes. Or, il n’est pas normal de travailler à perte. Ce n’est pas normal d’accepter d’être dans l’incertitude quant à son salaire, qui plus est quand il est payé le quinze du mois suivant.
Certains travaillent pour des laiteries qui achètent en grande quantité mais paient tellement peu qu’ils obligent les agriculteurs à vendre à perte. Le même lait qui servira pour produire du chocolat de luxe vendu à prix d’or: cette situation est inadmissible. Certains producteurs se sont engagés à payer le lait au-dessus du prix de revient des agriculteurs: 34 centimes par litre, seuil à partir duquel les agriculteurs arrivent tout juste à vivre. Mais ce n’est qu’à 44 centimes par litre qu’ils peuvent se verser l’équivalent d’un SMIC. C’était l’enjeu des États généraux de l’alimentation: inverser la formation du prix pour que ce ne soit plus la grande distribution qui dicte sa loi mais pour partir du coût de revient de l’agriculteur. Nous en sommes bien loin !
Il faudrait en revenir à une politique agricole proche du terrain, en rémunérant les agriculteurs en fonction du nombre d’emplois qu’ils ont dans leur ferme, par exemple. Et pourquoi ne pas donner des primes à ceux qui recourent à l’agriculture écologique ?
Les paysans sont les derniers à avoir les valeurs du travail bien fait, de la conscience de la terre et de la famille. En les maltraitant de la sorte, nous avons affaibli ces valeurs. Loin d’un monde caricatural et du tas de fumier au milieu de la ferme qu’on imagine souvent, les paysans évoluent avec des repères solides. Produire du blé demande de passer des journées accroupi à ramasser des pierres, à composer avec le cycle de la nature, des saisons et du climat.
Or nous avons oublié toutes ces valeurs pour l’immédiateté, le court terme et l’éphémère. On a demandé à l’agriculteur de s’adapter et d’être polyvalent. Il s’y est empressé, a joué le jeu, mais n’a rien reçu en contrepartie. Ce sont les paysans qui assurent la satisfaction de nos besoins primaires. Une pénurie de nourriture conduirait notre société à se rappeler aussitôt de leur importance.
Ma colère n’est toujours pas éteinte….Quand je pense au souci que se font les français au sujet de la « galère » (pardon, de l’ »enfer ») de Laetitia Hallyday, du nombre de premières pages qui lui ont déjà été consacrées.
Quand je pense à ce galopin de 26 ans du nom d’Alexandre, qui monopolise les petits écrans ! Mais qu’on le flanque au trou et qu’on n’en parle plus !
Quand je pense aux migrants qui, en France, touchent plus que certains retraités et inspirent d’interminables cortèges de bienpensants et de bobos charitables qui réclament leur protection.
Alors je pense à Jean-François qui à Verneuil-sur-Vienne, abandonné de tous, n’a plus eu qu’à se procurer un bout de corde.
Adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La dame de ces biens, quittant d’un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue.
Le récit en farce en fut fait ;
On l’appela le Pot au lait.
Moi, j’appelle cela la grande injustice, la grande tyrannie, le grand abus, la grande abomination. Aujourd’hui, c’est le règne d’un prétendument grand débat. Débattons !
Anne Schubert