Le vieux pays

Comme toujours au lendemain des défaites,
Ce vieux terroir redevient un pays
Il en va ainsi depuis la Flandre du faîte
Aux pieds salés du pauvre Midi

Vous qui venez de l’Orient mystérieux
Vous trouvez au bout du terroir
La marche ondulante de l’océan furieux
Pourtant ce Finistère bat en espoir

Ainsi les damnés de la vie furent nombreux
A choisir le vieux et noble terroir
Ils bâtirent en déliés des caractères ombreux
Façonnant cette terre en un pays de savoir

Childeric le premier et Clovis à Soisson
Baptisèrent le vieux terroir mythique
En cadeau d’épousailles ils lui donnèrent un nom
Le pays des Francs et de la loi salique

Alors ce nouveau pays parût aux yeux lointains
Tel un jardin doux, homogène, heureux
Mais rien, nous le savons, est moins certain
Si le pays vit de miel, ses peuples sont belliqueux

Dame Jeanne indiqua aux Grands Bretons
« Désormais le vieux terroir se vit en pays »
Ils durent bâtir au loin leur propre maison
En son royaume le roi de France est partout chez lui

Bien sûr, le jeune pays prit de l’âge et de la déraison
Le terroir s’embellissait et fleurait bon
Le Moyen Age, la Renaissance, les religions
Agitèrent le cœur des peuples et de la nation

Les calculs géographiquement rusés de Louis le onzième
Agrandirent notoirement le vieux pays
Les arts de François, la poule d’Henri, le soleil quatorzième
Augmentèrent à l’étranger le prestige du pays

L’âme belliqueuse est souvent en gésine
Le sang de la vigne en sait le torrent
Quand apparaît une cause plus au moins digne
Le peuple de France devient un peuple sanglant

Le génie de la France, son immense talent
S’inscrit en particulier dans l’âme des nations
Ses écrivains, ses peintres, penseurs et élégants
Sont géomètres du beau, arpenteurs des raisons

Une histoire même la plus grandiose impose
De sillonner les clartés et les ombres du vieux pays
Dans la main le pain blanc de ses osmoses
Aux lèvres le calice et le boire jusqu’à la lie

Toi qui viens aujourd’hui t’installer chez nous
Sache que l’Histoire du vieux pays attend
Qu’avant d’imposer ta vision, tes envies, tes goûts
Tu fasses tiens, sa langue, sa culture, son roman

Comme beaucoup avant toi tu peux te croire vainqueur
Le vieux pays cache des ressources insoupçonnées
Et au moment de vouloir lui arracher le cœur
Tu ne pourras être que désarçonné.

Henri Lautréamont