Les curieux oublis de certaines recherches féministes sur les violences faites aux femmes…

Les violences faites aux femmes sont décrites par les mouvements féministes et la recherche universitaire qu’ils ont générée, comme manifestation de la domination masculine qui s’exerce collectivement ou individuellement sur les femmes.

Les communications aux colloques et les articles spécialisés répertorient des violences ou domestiques ou sur les lieux de travail ou dans l’espace public. On peut en dresser une typologie :
– violences physiques : atteintes au corps de la femme (coups, crachats, brûlures, etc.).
– violences sexuelles : viol, inceste, sévices sexuels, prostituer l’autre contre son désir, etc.
– violences verbales : violence du langage, insultes, ton autoritaire, ne pas écouter, etc.
– violences économiques : salaire féminin considéré comme un appoint, ne pas disposer de carte bancaire, devoir demander de l’argent au conjoint, ne pas payer la pension alimentaire, à travail égal salaire inégal, etc.
– violences psychologiques : remarques vexantes, infériorisation, dévalorisation, contrôle des amis et des fréquentations, comportement dicté, culpabilisation, etc.
– violences morales ou symboliques : mise en doute des capacités, allusions désobligeantes, se moquer d’elle publiquement, etc.

Parallèlement, de nombreuses études historiques, sociologiques, littéraires montrent comment les mythes et les récits fondateurs ont inculqué l’inégalité sociale des femmes en socialisant femmes et hommes dans cette représentation. Songeons à Pandore, la première femme façonnée par Héphaïstos (Vulcain des latins) et qu’Hermès (Mercure latin) dota de la fourberie, de l’art de tromper et d’une curiosité si dévorante qu’elle ne put s’empêcher d’ouvrir le couvercle de la jarre qui lui avait été confiée, libérant ainsi tous les maux de la Terre. Dans le christianisme, la première femme n’est pas mieux lotie : tous les péchés du monde incombent à Eve (cf. la pomme et le serpent). Le mal est naturellement féminin : ce schéma de pensée est bien connu ! L’analyse sociologique traque également les processus de la fabrication patriarcale des femmes dans la littérature romanesque, la littérature-jeunesse, la BD, les publicités commerciales, l’offre de jouets pour les filles et les garçons, etc.

Pourtant, malgré toutes ces recherches de déconstruction des préjugés et des stéréotypes, de nombreux travaux féministes et universitaires sur les violences faites aux femmes persistent curieusement à en ignorer certaines : l’imposition du voile islamiste, du tchador, de la burka, etc. Pourquoi l’enfermement du corps des femmes musulmanes vivant en France avec ces pièces de tissu plus ou moins grandes n’est-il pas inscrit sur la liste des violences faites aux femmes ? Pourquoi ce « deux poids, deux mesures », ce « deux poids, deux statuts féminins » ? Pourquoi, en France, la conception islamiste de la femme ne serait-elle pas passible de la même déconstruction critique que le conservatisme catholique ou l’athéisme machiste ?

Rompre avec les prénotions (préjugés) n’est-il pas le premier principe des « Règles de la méthode sociologique » énoncé par Emile Durkheim en 1895 et que chaque étudiant en sociologie se doit d’apprendre dès son entrée en formation ? Mais également tout élève en « Sciences économiques et sociales » de la filière SES du Bac dans les lycées français. Pourquoi ce qui est vrai dans tout l’enseignement de la sociologie ne l’est plus pour la question du voile islamiste, du tchador, de la burka et, de surcroît, en France ? La réponse n’est assurément pas d’ordre méthodologique, ni épistémologique. Alors, quelle est la motivation qui se cache derrière cette posture anti-sociologique, anti-scientifique ?

Ce refus d’appliquer la déconstruction des préjugés pour les femmes musulmanes en France tant dans l’espace domestique que dans l’espace public, alors que cette déconstruction est pratiquée pour les autres femmes (catholiques, protestantes, juives, athées), pose sérieusement question.

Quelles pistes d’explication convient-il d’avancer ? Comme elles ne sont pas d’ordre scientifique, elles ne peuvent qu’être d’ordre politique. Bien-pensance ? Amnésie pour éviter les conflits avec les intégrismes islamistes ? Concession en France pour des avantages géostratégiques et économiques dans les pays musulmans ? Communautarisme conscient ou non qui conduit à convertir l’oppression des femmes en traits de culture, en droit à la différence ethnico-religieuse, en identité immuable qui finalement serait « nature » ?

Cette dernière posture est totalement incohérente scientifiquement quand par ailleurs on affiche vouloir traquer les préjugés, les stéréotypes du féminin et du masculin pour faire apparaître le construit, la culture, le social. Projet politique instituant une société française à deux vitesses avec un monde des femmes non-musulmanes et un monde des femmes musulmanes ? Une sorte d’apartheid ? Avec l’émancipation pour les non-musulmanes, mais la disqualification sociale des femmes musulmanes par leur relégation dans une stigmatisation requalifiée comme liberté de faire le « choix » de se voiler, de se tchadoriser, de se burkaïser tant dans l’espace domestique que dans l’espace public ?

N’est-ce pas accepter, en France, la distinction entre deux types de femmes, celles qui ont droit à l’émancipation et celles qui en sont indignes parce que de sous-rang et sous domination masculine ? N’est-ce pas signifier que ces femmes musulmanes ne seront jamais de vraies Françaises et, par conséquent, qu’elles seront régies par un autre régime social et juridique qui serait lié à une « culture d’origine », à une « culture de pays de départ » qui serait éternelle et naturelle ? Cette posture est intenable dans un cours de sociologie au lycée comme à l’Université. Pourquoi le serait-elle dans certains mouvements féministes, dans certaines études sociologiques ?

On ne peut pas, d’une part, citer la phrase célèbre du « Deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir, « On ne naît pas femme, on le devient », et, d’autre part, ne pas compter la discrimination par le voile, le tchador et la burka comme violences faites aux femmes. On ne peut pas, en France, citer le « De la servitude volontaire » de La Boëtie dans certaines occasions et parler de liberté individuelle pour les femmes musulmanes qui clament leur choix de porter le voile islamique, le tchador ou la burka. On ne peut pas chanter avec Jean Ferrat et Aragon « La femme est l’avenir de l’homme » et accepter l’enfermement voilé, tchadorisé ou burkaïsé d’une partie des femmes en France. La déconstruction des stéréotypes sur le genre féminin et le genre masculin et les recherches sur les violences faites aux femmes ne sont pas à géométrie variable. L’accepter serait de l’inconséquence scientifique et du racisme en matière de choix citoyens, donc politiques.

Pierre Baracca

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