Les féministes représentent-elles les femmes ?

Tel était le sujet de l’émission de Isabelle Giordano « Service public » le matin du 20 juin sur France Inter. Depuis l’affaire DSK, on a resorti du placard des antiquités obsolètes, où on l’avait rangé, le féminisme. Diviser pour régner. On a toujours opposé les “bonnes” femmes aux hystériques féministes. Alors sommes nous des ovnis, nous les féministes, sans aucun rapport avec la gent féminine ? Des dénaturées ? Dans ce cas pourquoi les femmes et la société auraient repris à leur compte la plupart de nos conquêtes. Ou au contraire, constituons nous une sorte de peloton d’éclaireuses ? Au XIXe siècle, la revendication du droit de vote était considérée comme un délire de viragos. Quant au droit à l’avortement, c’était impensable.
Cette intéressante question était donc posée ce matin là à Benoite Groult, 91 ans, romancière connue, ( parmi ses best-seller « Ainsi soit elle » et « Les vaisseaux du cœur », vendu à 1 million d’exemplaires en Allemagne ), essayiste et féministe engagée . Elle était entourée de jeunes féministes : une dessinatrice de BD qui traduit en dessins la vie de Benoite, une représentante de « Osez le féminisme »( sous la houlette du PS ) et une dame Diallo, chef des « Indivisibles » groupe antiraciste. Cette dernière s’est tout de suite élevée contre l’idée que la lutte antiraciste se faisait au détriment de la lutte antisexiste. Même combat pour elle. Toutes les luttes devaient se mener de front. Mais un moment après, quand la question du voile a été soulevée, elle n’était pas du tout contre. C’était un signe vestimentaire que les femmes avaient bien le droit de « choisir ». L’inévitable accusation fut lâchée : n’était ce pas discriminatoire de les empêcher de porter ce voile ? Pas plus instrument de domination que la jupe, qui pouvait être, elle aussi sujet à discrimination. Elle se référait aux révélations de certaines députées, qui avaient avoué ne pas oser porter de jupe à l’Assemblée Nationale, à cause des quolibets sexistes que le port de ce vêtement provoquait.
Et voilà qu’elle faisait elle même la démonstration de ce qu’elle déniait : une certaine incompatibilité entre l’antiracisme et le féminisme. Indéniablement, aujourd’hui l’obsession antiraciste fait de l’ombre à tout autre type de combat antidiscriminatoire, et les féministes qui s’élèvent contre le voile et l’islam sont traitées de racistes et colonialistes. Par contre il y a eu de bonnes surprises dans cette émission. J’en ai retenu deux : les témoignages de certains hommes, qui se disaient féministes et déploraient la soumission des femmes en général et leur manque de combativité. Le deuxième : l’exemple de la crèche pilote Boudarias à St Ouen en Seine St Denis. On essaye là, en plein fief de la « diversité » sur fond de machisme muzz, de donner la même éducation aux garçons qu’aux filles. On entendait un jeune éducateur montrer à un petit garçon comment laver une poupée ! Et expliquer au récalcitrant pourquoi, il n’y avait aucune raison qu’il n’apprenne pas à s’occuper des enfants. De la même façon on enseignait aux petites filles les rudiments du bricolage. Les responsables de la crèche affirmaient que les enfants n’ont pas spontanément de problème de discrimination de sexe. Il y a des garçons qui n’aiment pas faire vroum vroum, il y a des filles qui n’aiment pas les poupées.
La différence est question d’individus, pas de catégorie. Il s’agit non pas de nier la différence biologique, mais de ne pas en faire une cause de discrimination et de zizanie. Élever les filles comme les garçons c’est les préparer à s’entendre mieux, à se rapprocher. Le féminisme n’a jamais eu comme but de séparer les hommes et les femmes, mais au contraire de travailler à les rapprocher. Ce sont des êtres humains et en cela ils sont plus semblables que différents.
Mais il est vrai qu’on ne démonte pas en quelques décennies un système qui depuis des millénaires est basé sur la séparation des uns d’avec les autres. Nous sommes dans un moment de transition, difficile. Les schémas anciens ne fonctionnent plus, on tâtonne vers de nouvelles manières d’être ensemble, hommes et femmes. Il y a forcément de la casse, du désarroi, du malentendu. La séduction est censée ne plus jouer plus sur les mêmes critères, et on en déduit qu’elle n’existe plus entre homme et femme. Mais heureusement la séduction a toujours été une affaire entre deux personnes. Sinon l’amour n’aurait pas existé. Heureusement elle fonctionne en dehors des schémas. Quelqu’un vous plait, vous attire pour des raisons qui appartiennent à son histoire, votre histoire, votre odorat, vos goûts, l’émotion que suscite en vous sa façon de vous regarder, sa mèche de cheveux, le son de sa voix. Vous vous sentez tout d’un coup ravi/e, littéralement hors de vous. Alors seuls comptent cette présence, ce charme qui vous entraîne. Par contre, c’est vrai, ça se complique après quand on retombe dans la réalité et ses contraintes. Alors resurgissent les différences, les vraies, les innées, et les autres, les acquises. Elles ne facilitent pas l’entente.
Cette émission avait le mérite d’éviter la caricature. La caricature colle aux basques du féminisme, comme les mouches à la vitre. Elle en empêche la juste appréciation. Le féminisme est un des meilleurs remparts contre l’obscurantisme et les fois aveugles : la Raison est sa boussole.
Anne Zelensky

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