Les journalistes de guerre sont devenus des proies en terre d'Islam

Le métier de reporter de guerre n’est pas classable dans la vaste catégorie des professions ordinaires. Ceux qui choisissent d’informer leurs contemporains sur les conflits qui ensanglantent la planète savent qu’ils prennent là des risques majeurs. Adultes et responsables, libres d’agir, ils œuvrent aujourd’hui pour l’éphémère, tant l’accélération des événements et l’extemporanéité de leur révélation fait d’un présent vite regardé un passé aussitôt oublié. Et partout, la séquence-portable des badauds remplace le dangereux travail des professionnels.
Il fut un temps, pas si lointain, où la souffrance et la mort de ces hommes et de ces femmes étaient liées à des faits bruts de guerre. Pilonnages d’artillerie, voitures piégées, échanges de tirs entre factions, mines. Ainsi Robert Capa fut-il tué par l’un de ces engins, dans une rizière du Tonkin. Ainsi la plupart des journalistes morts en reportage le furent-ils pour avoir traversé, à un moment donné, l’espace où le plomb remplaçait la parole.
Ces gens-là en étaient conscients. Ils firent le pari sublime, et perdu, que la bonne étoile qui veillait sur eux ne s’éteindrait pas.
Je pense à eux au vu de ce qui est de nos jours le destin chaque semaine signalé davantage des reporters en situations extrêmes : butin de guerre. 
Ils ne sont plus les témoins privilégiés (par leur courage) à qui l’on confie le soin de diffuser le plus loin possible le malheur, le chagrin, la douleur morale et physique, la solitude apeurée des vaincus et la morgue des vainqueurs. Ils sont, à leur tour, des cibles et, dans le cas inaugural de l’ Égypte, ils sont devenus des proies.
Certes, cette situation n’est pas nouvelle. On se souvient de ce cameraman visé et tué froidement par un soldat de Pinochet, à un coin de mur de Santiago et dont l’appareil, continuant à filmer, fixait le ciel. Mais au moins confiait-on alors aux serviteurs armés des tyrans la basse besogne de la censure par le fer. 
Ces temps sont révolus. Le changement s’annonça en Afrique, dans les années 90, quand des enfants drogués, endoctrinés à la va-vite et rêvant de gloire pour dix dollars, exécutèrent quelques imprudents au bord des fossés de l’Angola, du Zaïre ou de la Sierra Leone. Ils sont définitivement enterrés sous nos yeux, au Caire, en place publique, là où des obsédés sexuels, des clones du Prophète obligés de se masturber jusqu’au soir de leurs noces, des érectifs compulsifs illuminés par l’interdiction de jouir, peuvent enfin, en toute liberté, toucher, peloter, pétrir et pénétrer, si affinités, la belle chair impie jusque là réservée à l’étranger haï, au mécréant, au promis des douleurs de l’Enfer. Haine et luxure, c’est le dîner des fauves, dans la beuglée immonde des primates.
Les images de la Place Tahrir, séquences dégueulasses mais nécessaires au centre desquelles une charpie blonde se débat pour ne pas mourir, montrent une curée, une catharsis libérant des frustrations entretenues par des années d’un conditionnement quotidien, d’une absurde, cruelle et méthodique mise en perspective. Les chiens ont été lâchés, peut-être un artifice du dressage les empêche-t-il encore de dévorer la biche jusqu’à l’os, mais déjà, il est clair que l’étape suivante est toute proche : ce sera l’exécution publique une fois que la proie aura été vidée comme il convient de sa substance humaine, par le viol.
“Elle l’a peut-être bien un peu cherché” déclare un nazillon coranique sur l’antenne d’une radio française. Du fond de son trou mental, le zombie a instruit, jugé et condamné. Sans doute regrette-t-il ne ne pas avoir été convié au festin. L’ignoble rejoint d’un coup la désinvolture, cette compagnie-là n’a pas fini de nous en apprendre sur la connerie assassine tolérée par les démocraties. 
Je me souviens de Catherine Leroy et de Françoise Demulder, aujourd’hui disparues, côtoyées au Liban dans les années 80. Ces femmes n’avaient pas froid aux yeux. Photo-reporters, elles appartenaient à la famille fort peu nombreuse des gens capables de se montrer à découvert pour appuyer sur la détente d’un Pentax ou d’un Nikon. Quand beaucoup se faisaient livrer l’information à l’hôtel, devant un verre de raki, elles, et d’autres comme Poveda ou Morvan, devaient, à un instant donné, sortir de derrière le sac de sable ou le coin de rue pour “shooter”. La seconde de vérité de fous admirables. Chapeau!
Leurs pareils d’aujourd’hui n’ont pas moins de courage, la question n’est pas là mais plutôt, concernant le monde musulman, dans la balance entre l’intérêt de l’image rapportée par eux et le risque de se faire mettre en morceaux par ceux-là mêmes qui devraient en principe tirer bénéfice de leur présence. Nous sommes là au-delà de l’absurde, dans une dimension nouvelle dont l’exploration expose à des aléas jusqu’ici inconnus. Les compagnes de route dont j’évoque la figure évoluaient dans un monde guerrier qui, bon-an mal-an et quel que fussent ses divisions inconciliables, respectait leur travail. Cette règle est désormais caduc, dès lors que le viol collectif remplace, bestial, la simple conscience d’être regardé, écouté et sans doute compris.
Vu sous cet angle, Le Caire est pour de bon à la porte de Paris. Une sorte de banlieue où s’expérimente un art original d’informer. Ici, chez nous, les ferments de ces ignominies bouillonnent à quelques encablures des salles de rédaction où l’on glose sur la nécessité ou non d’envoyer des femmes en reportage. Comme si le fait d’être un homme portant un badge et tenant un micro ou une camera suffisait à protéger quiconque du coup de grâce après sodomie!
Les derniers prélats de Constantinople inventèrent le surréalisme en débattant du sexe des anges au moment où les Turcs enfonçaient les portes de leur ville. En France, borgnes et malentendants, nous allons nous empoigner à propos du genre des envoyés spéciaux, quand le printemps arabe accouche, heure après heure, d’une créature islamiste étalée de Rabat à Sanaa, laquelle créature a d’ores et déjà réglé la discussion. 
On cherche ici ou là un métier d’avenir? Il est trouvé : prothésiste sensoriel. 
Alain Dubos

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