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Les structures et les mécanismes de la corruption généralisée

Derrière le chaos qui se profile avec la crise financière, économique, politique, sanitaire, culturelle, environnementale… c’est la fin d’une civilisation qui se manifeste par divers symptômes.

Les forces lucides et saines font ce qu’elles peuvent pour contenir ce flot mortifère mais, avant de se poser la question du quoi faire, ne conviendrait-il pas de poser un diagnostic (si possible) sur l’origine de la maladie afin de mieux orienter le traitement ?

Nous avons tous beaucoup de pistes pour étayer ce diagnostic et force est de constater que nous ressentons un certain sentiment d’impuissance, comme des pompiers qui verraient des démarrages de feu un peu partout dans la forêt et qui n’auraient ni assez d’eau, ni assez d’effectifs pour faire face à cette puissance destructrice.

Tout ce que nous faisons pour éteindre ces multiples feux semble dérisoire quand les pyromanes tiennent les commandes et disposent de moyens gigantesques et d’une armée de mercenaires serviles pour poursuivre leurs rêves mégalomaniaques.

Je n’ai évidemment pas la solution mais simplement des éléments de réflexion pour avancer dans la recherche.

Il me semble que le facteur commun à toutes les pathologies qui conduisent à la dégénérescence de nos sociétés et de la civilisation est celui de corruption qui avance comme un cancer qui produirait des métastases un peu partout, de sorte que cette généralisation réduise ce qu’il reste de vie à une peau de chagrin qui s’amenuise de plus en plus rapidement.

En fait, nous avons trop tendance à désigner les coupables tels les Bill Gates ou autres Soros, ou les ultrariches et leurs valets, à savoir les politiques et tous ceux qui mangent à la gamelle (et ils le sont mille fois), sans vraiment voir que nous avons affaire à une structure de corruption qui s’édifie et progresse sur toutes les couches de la société, y compris sur les masses manipulables qui soutiennent ladite structure par leur passivité, leur ignorance, ce qu’ils croient être leur intérêt immédiat…

Un exemple montre pour moi le processus de corruption dans sa genèse.

Les 577 députés du Parlement français sont élus au suffrage universel, sur la base d’une connaissance des individus qui me paraît le plus souvent tenir de l’impression ou de l’adhésion émotionnelle que de la réflexion et/ou de la connaissance réelle. Une fois élu, nous oublions presque ce député qui va non pas honorer son mandat mais plutôt servir la machine de son parti, et/ou gérer ses intérêts personnels de mille et une façon. Affranchi du contrôle du peuple, le député verra inéluctablement la porte de la corruption s’ouvrir d’elle- même à un moment ou à un autre. Et pourquoi n’en profiterait-il pas, c’est si simple et si facile, il n’y a qu’à se servir.

Or on voit ici que la corruption s’invite dès qu’il y a un manque de contrôle du peuple sur sa destinée. Si le député était mandaté directement en assemblées régulières par le peuple, et s’il avait à rendre des comptes au cours de ces assemblées, au risque d’être destitué, la saine démocratie viendrait amoindrir les possibilités de corruption. Qu’un député fasse vraiment le travail pour lequel il a été élu : ce serait un événement inouï.

Un texte du philosophe Günter Anders, tiré de “l’obsolescence de l’homme”, écrit en 1956 mérite d’être cité longuement ici, tant il me semble brûlant d’actualité.

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.

En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir » (fin de citation).

En rendant le peuple corruptible, le corrupteur s’assure d’avoir de beau jours devant lui, si toutefois il n’arrive pas à être entraîné dans la débâcle dont il aura été l’initiateur.

Je propose une réflexion collective sur le thème :
“Les structures et les mécanismes de la corruption généralisée”.

Pierre Carré