Les trahisons d’une université catholique américaine

Venant d’une université, et de plus catholique, Marquette University aux USA, il est quand même surprenant qu’un professeur soit suspendu pour avoir voulu préserver le débat sur le mariage homosexuel :

http://www.medias-presse.info/un-professeur-dune-universite-catholique-suspendu-pour-avoir-critique-le-mariage-homosexuel/95090/

Bon, d’accord, le mariage homosexuel a été légalisé et les homosexuels ont le droit de se marier. C’est un fait. Grand bien leur fasse d’ailleurs, à une époque où l’on se marie de moins en moins et où l’on divorce de plus en plus. Le mariage n’est pas, et n’a jamais été, un sentier tissé de fleurs et de romance.

Cependant on devrait dans nos démocraties avoir le droit de critiquer le mariage homosexuel, et d’en débattre. Ce n’est pas parce qu’une loi existe qu’elle est morale et juste. On doit pouvoir critiquer la loi et les règlements, comme on peut critiquer les taxes foncières ou les limitations de vitesse, l’existence du Sénat, les normes imposées par l’Europe…

Le mariage pour tous est un texte de loi comme les autres, cette loi peut très bien changer, évoluer, être supprimée peut-être, sans vouloir offusquer personne, comme n’importe quelle loi, et de toute manière le débat doit exister. Car il y a de sérieuses réserves morales et juridiques concernant cette loi.

Celui qui refuse de débattre refuse de penser. Confisquer la liberté d’expression est un moyen d’empêcher de penser.

Qu’est-il donc arrivé à ce malheureux professeur de sciences politiques, John McAdams ?…Un étudiant a, dans un cours d’éthique, contesté un professeur stagiaire, qui soutenait qu’on ne peut pas s’opposer au mariage homosexuel.

Le professeur stagiaire a demandé à l’élève de se taire et de sortir, premier dérapage. Car une telle demande signe une incapacité du professeur à se montrer simplement pédagogue. Etre pédagogue, pour un professeur, c’est d’abord écouter raisonner ses élèves, pour ensuite les faire avancer. On doit pouvoir tout dire dans une salle de cours, surtout à l’université.

C’est là que notre professeur, John McAdams, est intervenu en prenant la défense de l’étudiant, publiquement. L’université l’a alors suspendu pour sept mois, sans salaire. Second dérapage de l’institution. Car un professeur, comme un étudiant,  devrait toujours avoir le droit d’exprimer une opinion.

(John McAdams)

Venant d’une institution catholique, ce refus du débat, car c’est bien cela la question, est d’autant plus surprenant et incohérent.

Une précaution d’abord : ce n’est pas être homophobe que de décrire la position de l’Eglise catholique…

l’Eglise catholique différencie l’homosexualité et les personnes homosexuelles. Les tendances homosexuelles sont pour elle involontaires, mais les actes homosexuels, eux, sont à proscrire.

D’un côté l’Eglise prône l’amour du prochain, et donc l’amour des homosexuels, qui sont nos frères, leur accueil sans restriction. De l’autre, officiellement sa doctrine dit bien que les relations homosexuelles sont un désordre intrinsèque. Elle pense que les homosexuels doivent vivre dans la chasteté.

Véronique Margron, théologienne, professeur de théologie, spécialiste des questions sexuelles, estime que le mariage pour tous est une erreur et que le magistère catholique ne peut, même pour faire plaisir aux homosexuels, accepter les relations sexuelles que dans le mariage hétérosexuel, indissoluble et fécond.

https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Homosexuel/Eglise-et-homosexualite

Mais l’Eglise n’est plus à l’époque lointaine où l’on devait faire pénitence, s’enduire de cendres et porter le cilice. Ce qu’elle enseigne, elle essaie de le faire dans le respect de chacun et la pédagogie.

Les institutionnels catholiques et autres clercs devraient respecter une cohérence entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Ou changer de métier.

Un prêtre catholique, Christophe Charamsa, professeur à Rome, ayant fait publiquement son coming out, le 3 octobre 2015, la veille du synode sur la famille… a été suspendu de toutes ses charges pour manque de cohérence et prié de ne plus célébrer de sacrements. Très bien de sa personne, il avait, et a toujours, il faut le dire, un don certain pour la provocation.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Krzysztof_Charamsa

Ne pas pouvoir critiquer le mariage homosexuel dans une université laïque, c’est déjà stupéfiant. Ne pas pouvoir en débattre heurte notre entendement. Car on est à l’université pour se former, et la formation passe par le débat. On doit pouvoir débattre dans le respect de l’autre et avec courtoisie, même en cas d’opinion divergente.

Mais avoir affaire à une université qui se réclame du catholicisme mais ne l’enseigne pas, ou a renoncé à l’enseigner, c’est encore plus stupéfiant. Et il ne s’agissait pas de stigmatiser les homosexuels bien entendu, seulement d’un débat d’opinion !

De la part de Marquette, exiger d’un professeur et d’un étudiant qu’ils montrent des idées opposées à ce qui est censé fonder Marquette, cela ressemble à de la schizophrénie.

Lorsqu’on apprend de plus que cette université catholique  est une université jésuite, donc proche en principe du jésuite pape François, on croit rêver. Les jésuites nous étonneront toujours par les manières de certains d’entre eux de biaiser le débat sans avoir l’air de rien et d’arriver  par des lignes courbes à leurs fins discutables.

John Mac Adams a été réintégré dans l’université après sept mois de suspension sans salaire, par la cour suprême du Wisconsin :

https://eu.jsonline.com/story/news/education/2018/07/06/marquette-professor-john-mcadams-prevails-academic-freedom-case/759800002/

Le président de l’université, sûr de lui et loin d’avoir des remords, voulait même que John McAdams s’excuse, car il aurait par ses critiques exposé le professeur stagiaire à des attitudes hostiles, mais l’arrêt a tout balayé.

John McAdams a raison de dire que l’université Marquette est de moins en moins une université. La richesse d’une université, c’est le débat. En France et en Angleterre nous avons le même problème, des professeurs démissionnent parce que l’université n’est plus à leurs yeux un lieu de débat.

John McAdams dit aussi que Marquette est de moins en moins catholique. Il a raison encore. C’est un comble de devoir rappeler à une université catholique ce qu’elle est censée défendre. Mais on est à peine étonné lorsqu’on voit ce qu’on voit.

En somme, cette université catholique n’est plus université, et n’est plus catholique, elle a cédé aux diktats de l’air du temps.

De petite trahison en petite trahison, de renoncement en lâcheté, on cesse d’être ce qu’on était.

Et on abandonne ce qu’on avait : la liberté d’expression.

Sophie Durand