Les vrais esprits libres ne devraient pas craindre le discours d'Ayaan Hirsi Ali

La venue en France d’Ayaan Hirsi Ali a suscité, dans les milieux militants, une onde de choc dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences. Avant, la réalité était simple, en France. Il y avait ceux qui, tels le Mrap, les Indigènes de la République et quelques islamogauchistes disaient que toute critique de l’islam était forcément un racisme larvé.
Il y avait les laïques politiquement corrects, qui faisaient la différence entre l’islam, religion de paix et d’amour, qu’ils s’interdisaient de critiquer, et l’islamisme, jugé comme une perversion intégriste qui n’avait rien à voir avec la religion musulmane.
Il y avait des franges conservatrices droitières, qui, tel Philippe de Villiers, souvent accusé de critiquer la religion musulmane, pour mieux défendre les racines chrétiennes de notre société, et stigmatiser les populations arabo-musulmanes.
Et puis il y avait quelques « ultra-laïcistes » ou d’incurables athées, qui pensaient que la critique de la religion musulmane ne devait pas être abandonnée à la seule droite extrême, catholique ou païenne. Pour eux, l’ampleur de l’offensive de l’islam politique méritait une analyse nouvelle pour mieux défendre la laïcité.
Il a suffi que l’ancienne députée hollandaise vienne en France, et continue, sur les ondes et dans les salles, à dire ce qu’elle a toujours affirmé pour qu’un début de panique gagne certains milieux militants qui, hier, la soutenaient inconditionnellement.
Certes, il y a ceux qui sont restés égaux à eux-mêmes dans le sordide. Les sinistres « Indigènes de la République », ont craché sans aucun complexe sur une femme condamnée à mort, la qualifiant de « traître », montrant ainsi leur conception ethniciste de la société, et leur connivence avec l’extrême droite islamiste qui interdit l’apostat sous peine de mort (1).
Nous avons eu droit à un article de la même tonalité de Denis Sieffert, le rédacteur en chef du journal islamogauchiste « Politis ». On remarquera dans ce papier la volonté de « salir » Ayaan, et de minimiser le meurtre de Van Gogh, en dédouanant les islamistes. Que « Politis » préfère Tariq Ramadan, dont l’épouse est voilée, à Ayaan, féministe émancipée, en dit long sur la dérive d’une extrême gauche fascinée par les barbus et les voilées (2)
Dans un autre registre, Dounia Bouzar, anthropologue qui a quitté le Conseil Français du Culte Musulman, mais qui continue à légitimer le port du voile, et à en minorer les conséquences, raconte, elle, que c’est le discours d’Ayaan Hirsi Ali qui renforce les intégristes et les terroristes (3). Cela rappelle certains discours accusant les militants antifascistes de faire le jeu du Front national.

Quant à Rachida Dati, le moins qu’on puisse dire est qu’on ne sent pas chez elle un grand intérêt pour le sort de la bête noire des islamistes (4). Caprice de diva irritée par la qualité du discours de Rama Yade ?
Mais c’est du côté de celles et ceux qui ont applaudi, à gauche, le discours d’Ayaan, qu’apparaît le plus fortement la volonté de s’en démarquer, parfois grossièrement, parfois plus subtilement.
Nous avons épinglé, la semaine dernière, Ségolène Royal, qui, de manière très donneuse de leçons, s’est permis de qualifier le discours de l’ancienne députée de « propos excessifs et déplacés » (5). Rien de surprenant de la part de cette femme, qui n’a jamais montré que la défense des principes laïques, et surtout du droit au blasphème, faisaient partie de ses priorités. La question est de s’interroger : que faisait-elle là, si ce n’est de la récupération politicienne encouragée par quelques organisateurs ayant voulu instrumentaliser cette soirée.
Mais la réaction de Caroline Fourest est également des plus intéressantes (6). Nul ne peut nier, depuis toujours, l’investissement de la responsable du site Prochoix dans la défense d’Ayaan, qu’elle a toujours défendue avec talent, dans ses articles ou sur les plateaux de télévision. Mais, à notre connaissance, l’auteur de « Frère Tariq » ne s’est jamais, à ce jour, opposé au discours, violemment hostile à l’islam, de la jeune femme, qui est pourtant fort éloigné de l’orientation de Prochoix. Opposée à toute critique religieuse trop virulente, risquant de gêner les musulmans laïques et démocrates, combattant durement l’attitude de Fanny Truchelut et de ceux qui la soutiennent, défendant l’idée des accompagnatrices voilées à l’école (7), elle craint que tout ce qui va au-delà de la loi du 15 mars 2004 ne fasse le jeu des intégristes islamistes. Malgré tout, elle se montre intransigeante dans la défense d’Ayaan, tout en prenant, de manière discrète et courtoise, ses distances avec ses prises de position, de manière beaucoup moins brutale que Ségolène Royal.
Enfin, autre type de réaction, celle de Mohamed Sifaoui (8). Il avait expliqué, la semaine dernière, les raisons pour lesquelles il ne serait pas présent au meeting de soutien à Ayaan, accusant les organisateurs de vouloir instrumentaliser cette soirée au profit de la gauche. Cette semaine, il a attaqué, de manière étonnante, notre journal, et nous a reproché, avec un ton parfois virulent, d’être complaisants avec les propos d’Ayaan Hirsi Ali, qu’il qualifie de « niaiserie rare sur l’islam ». Notre collaborateur Pascal Hilout, ainsi que Pierre Cassen, répondent, dans ce numéro, à notre détracteur et néanmoins ami.
En effet, les débats posés par les propos de l’ancienne députée hollandaise sont incontournables pour tous les laïques, héritiers de l’esprit critique et avant-gardiste. Ils le sont d’autant plus qu’ils interviennent à un moment où la police danoise vient de déjouer un attentat visant un des douze caricaturistes. En solidarité,
dix-sept journaux danois ont publié la caricature la plus controversée, représentant le Prophète avec une bombe sur la tête. Cela a déclenché des émeutes dans une dizaines de villes, et des manifestations de fanatiques hurlant “Allah akbar” en déployant des drapeaux noirs. De quoi interpeler tous ceux qui refusent de voir la réalité des choses, ou qui sous-estiment la montée de ce fascisme religieux, dans le monde et au coeur de l’Europe.
Nos divergences ponctuelles avec des militants comme Caroline Fourest ou Mohamed Sifaoui, que nous respectons, ne nous feront jamais tomber dans une attitude hostile et sectaire vis-à-vis d’eux. Nous souhaitons maintenir avec eux un vrai débat, fraternel bien que vif, dans la meilleure tradition des laïques. Nous ne sommes pas obligés d’être d’accord sur tout, que cela soit la critique de l’islam, notre définition de la République, le communautarisme ou certaines revendications d’une minorité de la communauté homosexuelle. Mais ce qui nous rassemble, dans la défense de la laïcité, est bien plus important que ce qui nous divise ponctuellement, tant les enjeux sont énormes.
En effet, nous traversons une époque décisive, parce que le président de la République a agressé la laïcité, par ses propos à Rome, en décembre, puis par ceux de Ryad en janvier. Il a annoncé sa volonté de toiletter la loi de 1905, pour le plus grand profit de l’islam, dont il veut faire financer les mosquées par les contribuables, à la grande joie de l’ineffable recteur liberticide Boubakeur.
Les religieux se sentent donc le vent en poupe, et redoublent d’agressivité contre les laïques et l’ensemble de la société.
Renforcés par le discours de Sarkozy à Alger, parlant d’islamophobie, beaucoup de religieux musulmans, dans la foulée de l’affaire Redeker et des caricatures, voudraient nous interdire toute critique de l’islam. Pourquoi, dans ce contexte, devrions-nous nous démarquer d’Ayaan ?
Pourquoi, alors que des religieux juifs réclament des aménagements à l’école publique le samedi, que les évangéliques, dans la foulée des islamistes, veulent en finir avec l’article 2 de la loi de 1905, que les scientologues s’y mettent, que, derrière le Vatican, tous les responsables religieux nous qualifient de « laïcards », nous interdirions-nous toute critique, même radicale, de l’influence néfaste des religions et de certains de leurs textes ?
Pourquoi le discours d’Ayaan devrait-il effrayer les esprits libres ? Nul ne propose d’interdire la pratique du culte, prévue par l’article 1 de la loi de 1905. Nul n’insulte les croyants, dont la foi est respectable.
Nous continuerons, sans aucun complexe dans ce journal, à défendre une personne comme Ayaan Hirsi Ali, qui tient courageusement un discours athée et féministe, très hostile à un livre religieux dans lequel elle voit la vraie cause de la montée de l’islamisme dans le monde.
Ce faisant, nous avons l’impression d’être les héritiers d’une double histoire. Celle des libre-penseurs, qui, il y a plus de cent ans, proféraient des propos très virulents contre la religion catholique, contribuant à démystifier le sacré, et à émanciper le peuple français de l’omniprésence catholique.
Nous avons également le sentiment, en dénonçant le fascisme islamiste, fléau de ce début de 21e siècle, de poursuivre le combat de ceux qui ont lutté inlassablement contre les modèles totalitaires qui ont privé de liberté de conscience des centaines de millions de citoyens, au siècle dernier.
Les vrais esprits libres n’ont pas à rougir de ces deux héritages.
(1) http://www.indigenes-republique.org/spip.php?article1241
(2) http://www.politis.fr/Manipulations-antilaiques,2956.html
(3) http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/02/15/l-erreur-d-ayaan-hirsi-ali-par-dounia-bouzar_1011872_3232.html
(4) http://fr.youtube.com/watch?v=stUZc9BWsK0#GU5U2spHI_4
(5) http://fr.youtube.com/watch?v=bFMiMovvuR4
(6) http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/02/14/les-dissidents-de-l-islamisme-par-caroline-fourest_1011375_3232.html
(7) http://www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2005/06/04/308-attention-a-ne-pas-ridiculiser-la-loi-sur-les-signes-religieux-par-caroline-fourest
(8) http://www.mohamed-sifaoui.com/article-16659161.html

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