Lettre à mes amis laïques du mouvement « Marocains pour la Laïcité »

Je vous apporte mon soutien et j’eusse voulu vous rejoindre bien que je ne sois pas marocain, toute initiative en faveur de la laïcité, véritable socle pour la paix et un Etat de droits, méritant le soutien du plus grand nombre, le mien propre vous est donc acquis.
Cela dit, j’ai conscience que les entreprises les plus viables sont celles qui avancent prudemment et qui évitent de verser dans la précipitation. Aussi et de prime abord, j’observe un petit désaccord par rapport au second principe énoncé plus haut dans votre déclaration, à savoir, je cite : “Le citoyen a le total droit d’exercer sa religiosité comme il le veut en toute liberté”. Cette définition me semble vague pour ne pas dire dangereuse dans la mesure où son interprétation pourrait être diverses permettant ainsi aux uns et aux autres de contourner le principe de laïcité pour l’exploiter à leur guise et comme bon leur semble. A mon sens, il aurait fallu préciser que cette liberté de pratiquer sa religion se devra d’être circonscrite dans l’espace à savoir les édifices religieux propres à chaque culte qui seront tenus de respecter le caractère démocratique, républicain et laïque de l’Etat et de ses institutions et toute référence à la violence, de quelque nature que ce soit, y sera prohibée. Dans le cas contraire, l’expression « comme il veut » réservera pour sûr un large spectre d’ambiguïtés où les fanatiques de tout acabit ne se feront pas prier pour s’y imbriquer et entamer le travail de sape de cette laïcité qui n’est pas encore née du reste et qui, quand elle arrivera, ce que je souhaite de toutes mes forces, trouvera le terrain, pour le moins, miné.
Ensuite, dans votre réponse aux anti-laïques, je note, ce que j’appellerai, un dérapage sémantique et une concession dangereuse par rapport à la question du voile. Vous écrivez dans votre réponse, je cite : « La laïcité n’est pas contre le port du voile. Ce n’est pas parce que la France interdit le voile dans les écoles publiques (a ne pas confondre avec lieux publiques) et que la Turquie l’interdit a l’université (ce n’est plus le cas) que c’est un des fondements de la laïcité. Leurs lois les regarde. L’atteinte au droit de la femme de porter le voile est une atteinte aux convictions, aux choix personnels par conséquent a la liberté individuelle. Une éventuelle laïcité au Maroc ne serait pas contre le port du voile. ».
Bien que chaque pays possède ses propres spécificités ; ce qui sous-entend que chaque système politique se devra d’épouser les valeurs traditionnelles de chaque contrée tout en affichant une rigueur à toute épreuve par rapport aux principes de base, il n’est pas moins que cette liberté que vous évoquez concernant la question du voile est très controversée.
Historiquement : Le voile, la burka, le tchador… ne font pas partie de l’histoire et des traditions des pays nord-africains, pourtant, intervertissant les rôles, les islamistes qui sont un fait de ces dernières 50 années seulement, ne s’étaient pas encombrés de scrupules pour l’importer, l’imposer et le diffuser par tous les procédés imaginables et inimaginables, piétinant de ce fait cette même liberté que vous leur accordez aujourd’hui au nom, comble de l’histoire, de la laïcité !
Politiquement : Le voile qui n’existait donc guère en Afrique du Nord avant le milieu du siècle dernier, est arrivé avec la constitution des premiers groupuscules affiliés au mouvement des frères musulmans créé par Hassan Al Bana en Egypte dans les années 20. Par essence, le fanatisme a besoin de s’exhiber pour exister, contrairement à la foi qui, par définition, est un fait transcendant à l’intérieur de l’individu qui n’a nul besoin de l’exposer aux autres étant quelque chose qui ne se montre qu’à Dieu lui-même. Interdire à un fanatique de s’exhiber par ses tenues vestimentaires (voile, tchador, burka, kamis, tenue afghane…), par la pratique de la prière ou de tout autre comportement inhérent à sa religion sur la place publique, par son aspect extérieur (barbe hirsute, le khôl pour les hommes…), de s’organiser en association ou partis politiques se revendiquant de la chari’a, c’est-à-dire, de l’abolition de la nature républicaine de l’Etat et de la laïcité elle-même, cela équivaudra à une mise à mort de l’islamisme et du fanatisme, d’où le rejet de ces extrémistes de toute compromission ou compromis sur la question de la laïcité.
Ce qui se passe aujourd’hui en France n’est rien d’autre qu’une réaction de défense, somme toute naturelle, d’un organisme infecté par un virus qui menace sa cohésion chèrement acquise ; la révolution française et tous les mouvements philosophiques, politiques et littéraires en amont et en aval de 1789 ayant profondément inculqué les valeurs de liberté et de citoyenneté à ce pays qui, malgré les insuffisances et autres largesses de ces dernières années qui s’expliquent aussi bien par le choix de l’Elysée d’adopter la realpolitik dans son traitement de l’islamisme qui s’aligne ainsi sur la conduite communautaire de l’UE que par la méconnaissance des politiques de la nature de ce fléaux, reste une longue tradition démocratique.
La Turquie peut, quant à elle, être un exemple à méditer pour, justement éviter la ritournelle et ne pas refaire le même chemin qui est en train de transformer la patrie de Kemal Attaturk dans le sens contraire de l’histoire. La transgression de la constitution turque qui interdit à ce jour la formation de partis politiques sur la base du dogme religieux pendant que le gouvernement actuel est issu d’un parti islamiste qui lui aussi est dérivé d’un autre parti intégriste dissout par la loi, fut le début d’une descente aux enfers qui n’a pas encore montré toute sa laideur. Le kémalisme, ayant profondément imprégné la société et l’Etat turques, pourra rendre problématique l’avancée de l’islamisme dans ce pays, par ailleurs, financé par l’Internationale Islamiste, l’Iran qui rêve toujours d’exporter son modèle ainsi que l’Arabie Saoudite ; principal producteur et exportateur du wahhabisme depuis des décennies avec toutes les conséquences qu’on sait, notamment en Algérie qui n’est toujours pas sortie de son pétrin islamiste.
Ainsi donc, la question du voile est discutable dans la mesure où tout le monde s’accorde à dire que quand la fille n’est pas contrainte de le mettre par un frère, un père ou tout simplement par un entourage inquisiteur et foncièrement patriarcal, celle-ci l’est toujours par l’influence d’une atmosphère familiale trop irriguée de religiosité, par les médias lourds, l’école… qui sont, le plus souvent, pris en otage par les tenants d’un ordre moyenâgeux. A partir du moment où ces espaces seront libérés et réhabilités dans leur mission originelle, à savoir celle qui consiste à former la citoyenneté et non le militant, la femme, arrivée à la majorité (étant mineure, tout signe religieux devant être proscrit par la loi ) et jouissant de sa pleine citoyenneté qui suppose une conscience et une pleine capacité d’exercer ses droits et ses devoirs ainsi une scolarité qui l’aura dotée d’une intelligence et d’une instruction telles que le risque de contrainte et de l’influence, sera considérablement réduit, alors et seulement alors, on pourra parler du libre choix de la femme de porter le voile qui sera respecter tout naturellement sur la voie publique mais restera interdit, au même titre que tous les signes évoquant toutes les religions, sur le lieu de travail, en politique, dans les salles de sport, les écoles et les universités ainsi que dans les médias.
Encore une fois, l’espace public est par définition un espace de vivre ensemble et non celui où l’on s’adonne à la promotion des religions. Au-delà de ces aspects brossés d’une manière superficielle, eu égard au cadre dans lequel je me suis autorisé à intervenir, il est un fait que nul ne pourra dénier : le voile comme le kamis et la barbe hirsute ne constituent plus des attributs religieux (ils n’ont jamais été des attributs identitaires ou culturels en dehors de la péninsule arabique) mais sont devenus des signes d’identification et des moyens de propagande d’une idéologie fascisante. C’est la raison pour laquelle les islamistes y tiennent tant et les humanistes s’y opposent au nom de la laïcité.
Avec mes respects
Salutations laïques
Halim Akli

image_pdfimage_print