Lettre ouverte à Mon Général d'un orphelin inconsolé

A ma petite fleur de porcelaine,
Le 18 juin, la France Libre, la voix rauque et le verbe haut brouillés par les ondes faisant du tonnerre un sanglot… Quelle arrière cour de souvenirs pour ma génération. Né en 1986, ignorant tout de la guerre sauf les images et les souvenirs embuées des anciens et des médias, je ne connais des épopées que celles des livres, films et jeux vidéos. Pourquoi écrire aujourd’hui sur cette statue trop lisse, trop grande, trop lourde pour nos épaules ? Malraux disait qu’il ne faisait pas de Politique mais de l’Histoire. Nous nous sommes délestés des majuscules en chemin. Entre l’âge de la bravoure et celui de la bravitude, nous avons fait litière joyeusement de ses siamoises perfides qui attendaient de nous quelque grandeur. Revenu à notre échelle nous célébrons notre communion fébrile et fiévreuse dans le rien, notre béatitude dans le néant, notre absolu sentant le tabac froid. Quid d’un anniversaire en forme de requiem ? Pourquoi exhumer cet appel issu du temps où l’écrit dominait l’écran ? Pourquoi nous hante-t-il, ce géant aux yeux tristes, perclus de malheur ? Pourquoi cette clamens in deserto résonne toujours à nos oreilles ? Pourquoi du tréfonds de la tombe vous ne dormez pas Mon Général ?

De Gaulle, le sacré et le verbe

Quand le désordre règne dans la cité, il ne reste que les mots écrivait en substance Cicéron. Devant la défaite, fruit de paresse et de lâcheté, que restait-il au maudit de Londres sinon le verbe. Il fut notre voix, nous rendant les mots il nous rendit un visage. Pour bien comprendre l’appel, il faut se souvenir que le 18 juin est un événement, le 22 un message. En appelant à l’Histoire, le Général de Gaulle illustre les trois vertus cardinales dont il fera une devise : « l’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la patrie ». Un portrait archaïque dira t-on, rythme ternaire et version latine. En effet, l’archaïque si les mots ont un sens c’est ce qui reste quand le vent a cessé de souffler. Pas le passé, le permanent. La redéfinition d’une frontière par le langage, d’un point d’ancrage dans la tourmente, tout l’appel se résume là : relever la tête et dire « Je ». D’où le « Moi, général de Gaulle », le verbe se fait chaire. Or, on peut dire avec Regis Debray, que ce qui dégage un nous, le sépare des autres, c’est le sacré. Pas la croyance mais le nous, passer d’un tas au tout. Magicien du verbe ou roi thaumaturge, il y a du pasteur biblique chez cet homme qui dirige et incarne.

L’incarnation et la mémoire

Nous n’y entendons rien. Même la représentation, concept médiéval, issu du droit romain et repris par le droit cannon, n’a plus la faveur du temps. Imaginez vous parlez d’incarnation durant un apéro facebook (quoique celui du 18 juin peut être). Mais dans les vapeurs d’endormissement et de soumission, n’est-ce pas que nous recherchons, une voix et un visage. Cette volonté d’affirmation d’un sujet autonome dont parlait Castoriadis à propos de la Résistance. C’est pour cela qu’il nous marque autant, Gilbert Bécaud nous avait prévenu : « tu le regretteras ». Ce n’est pas la nullité grasse de ses successeurs, lui qui n’eut pas d’héritier, qui grandit la légende magnifiée par la mort. Déchargés du poids du gaullisme politique, l’appel et l’homme nous reviennent. Ce ne fut pas un hasard si les puissants se réunirent à Notre Dame pendant que des jeunes de Collombey portaient le grand homme dans sa dernière demeure.
L’appel est une sortie du rang, ne l’oublions jamais. C’est l’œuvre d’un fou et d’un rebelle, condamné à mort. Il n’y eut jamais de grand rassembleur sauf post mortem. De Gaulle divisa avant de rassembler, aujourd’hui il reste le grand autre de nos mémoires. Cette mémoire est encore vive même aujourd’hui où nous clamons bouche en cœur et chemise ouverte que nos ancêtres sont des… salauds. La France résistante que le Général aurait inventé est un mythe où se sont ligués tous ces ennemis, de la gauche francophobe pour faire oublier les belles heures de Pierre Laval devant la Lica jusqu’à l’extrême droite et sa manie de lécher les pompes funèbres. Pour exister, une nation doit s’identifier au meilleur d’elle même disait Braudel. Nous, nous avions nos héros, notre armée des ombres d’avant la communion dans la contrition.

De la nostalgie à la Résistance

Du symbole de cette union, de celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas comme l’écrivait Aragon, de ce sacré matérialisé, de cette fraternité, nous gardons une certaine nostalgie. Conservons la. La nostalgie est le seul sentiment authentiquement révolutionnaire. Au fond de 1789 il y a une volonté de retour à un idéal civique antique, derrière Marcos il y a Bolivar. Des hommes ont traversé le monde après les Chants de Maldoror, aucun ne bouge après la Star Ac. Gardons précieusement l’appel et le souvenir de cette chevalerie d’un autre âge que fut la Résistance. L’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur, nul ne peut nous les arracher, nous ne pouvons qu’y renoncer. Relevons le glaive brisé, déjà par les mots. L’homme imposant est devenu pour nos maitres un cadavre encombrant. Ce n’est pas leur faute. Que peut dire Sarkozy devant la statut du commandeur sinon des considérations au dessous de la ceinture. Plus que tous n’oublions jamais que la France doit être voulue à chaque génération. Vous qui me lisez, c’est notre tour.
Pierre Yves Rougeyron
Merci à Roland Hureaux, Paul Marie Couteaux, Alexandre Dorna et Lucas Degryse pour les conversations qui ont nourri ce texte. A Regis Debray de la part d’un de ces débiteurs.