Lettre ouverte d’un médecin français de Wuhan à ses compatriotes

Bonjour, je suis le docteur Philippe Klein.

Je vous parle depuis Wuhan, où nous avons subi cette terrible épidémie de Coronavirus. Je dirige dans cette ville une clinique internationale.

Cela fait maintenant deux mois et demi qu’a débuté à Wuhan une épidémie que les autorités scientifiques chinoises ont rapidement imputé à un nouveau virus qu’aucun système immunitaire ne connaît sur la planète, en l’occurrence un nouveau Coronavirus.

C’était pour nous une situation inédite avec un ennemi inconnu et invisible, et il a fallu s’adapter jour après jour et lutter dans une véritable “course contre la montre”.

Cette lutte a rapidement pris la tournure d’une guerre, guerre que nous avons menée avec un courage, une solidarité et un esprit de sacrifice collectifs.

Maintenant, je veux prendre la parole, je veux prendre la parole pour expliquer aux Français ce qui s’est passé ici afin qu’ils comprennent ce qu’il faudra faire chez nous pour arriver au même résultat.

Même si la Chine vous semble très loin, même si les Chinois vous semblent différents, il s’agit du même virus et ce virus s’attaque de la même façon à tous les êtres humains.

Malgré tous les efforts réalisés en Chine pour arrêter cette épidémie, le virus est aujourd’hui en train de se répandre et de se multiplier en Europe, chez nous.

J’ai vu sur la télévision française des spécialistes dire qu’il ne fallait pas s’inquiéter, alors que la situation se détériore rapidement maintenant en France. Ils se rappelaient, ces spécialistes, tout à coup, que le virus était passé par la Chine, que l’épidémie était maintenant finie en Chine et qu’il allait en être de même en France, peut-être sans trop rien faire.

Alors il s’agit là d’une méconnaissance totale de ce qui a été fait ici à Wuhan et dans le Hubei, de cette guerre implacable qui a été organisée contre le Coronavirus dans l’optique de protéger la Chine continentale et le monde, d’éviter une surmortalité et de permettre aux habitants de reprendre une vie sociale normale le plus rapidement possible.

Écoutez-moi bien. Les Chinois vont gagner cette guerre. Ils vont gagner cette “guerre contre la montre” en trois mois. Mais il faut que vous sachiez à quel prix. Vous devez absolument le savoir.

Les premières alertes d’une probable épidémie à Wuhan sont arrivées fin décembre 2019.

Puis le cas ont augmenté jour après jour pour s’accélérer après que l’on a eu l’annonce que la transmission pouvait être entre les êtres humains.

Les autorités chinoises ont alors réagi en mettant en quarantaine la province du Hubei où se situe la ville de Wuhan. Cela veut dire mettre en quarantaine 56 millions de personnes. Elles l’ont fait le 23 janvier 2020.

Au début, il s’agissait d’arrêter les transports en commun, les commerces, fermer les gares et fermer l’aéroport international, fermer les frontières de la province.

En ce qui concerne les écoles, fort heureusement, elles étaient déjà fermées depuis plus de deux semaines, car nous étions au moment du Nouvel An chinois.

Les gens pouvaient à ce moment-là toujours se déplacer pour aller s’acheter à manger ou bien pour se promener.

Pour nous, les médecins, il fallait absolument s’adapter à cette nouvelle situation. Nous manquions de masques, nous manquions de protection, nous manquions de lits.

À ce moment, les patients présentant des symptômes peu marqués, c’est-à-dire 85 % des personnes dans le cadre de cette infection,étaient confinés à leur domicile.

À la mi-février, les autorités chinoises ont constaté que toutes ces mesures étaient insuffisantes. L’épidémie n’était pas contrôlée après trois semaines de quarantaine. Et donc il fallait absolument intensifier la guerre.

Et donc c’est à ce moment-là que les autorités chinoises ont pris deux mesures radicales qui ont changé le cours des choses, deux mesures radicales qui ont permis de finalement contrôler en quatre semaines l’épidémie.

La première chose a été qu’ils ont imposé un confinement strict à toute cette population de 56 millions de personnes, c’est-à-dire la nécessité de rester dans ses appartements. Et ceci a été permis parce qu’il y a eu une solidarité autour d’une chaîne logistique pour alimenter toutes ces personnes, pour leur apporter à manger.

La deuxième mesure qui a été déterminante, c’est la nécessité, l’obligation pour les personnels médicaux de caractériser tous les cas de patients présentant le Coronavirus, c’est-à-dire de sortir de la population ne présentant pas le Coronavirus tous ceux qui étaient infectés, de façon à arrêter l’épidémie.

Ceci a été permis grâce au travail des médecins qui ont isolé les patients présentant le Coronavirus et les gens au contact de ces sujets sur des critères cliniques, sur des critères scannographiques essentiellement, car on sait que ce Coronavirus donne des pneumonies avec des images tout à fait caractéristiques au scanner thoracique.

Et puis ils ont aussi réalisé des tests PCR, mais ils se sont rapidement rendu compte qu’il y avait beaucoup de faux négatifs. Donc ils ne se sont pas totalement concentrés sur ces tests PCR.

À partir de là, les sujets qui présentaient le virus et présentaient des formes graves, c’est-à-dire à peu près 15 % des cas, ces sujets-là ont été bien entendu hospitalisés.

Les sujets présentant des formes mineures, donc 85 % des cas, ont été placés tous ensemble en confinement dans des stades.

Et les sujets-contacts ont été, eux, placés dans des hôtels.

Je peux vous dire que la population chinoise a adhéré avec courage, avec patience, avec solidarité parce qu’elle a rapidement compris la gravité de la situation et la gravité des enjeux.

Au prix de ces efforts que je viens de vous décrire et de ces procédures implacables, la Chine va maintenant contrôler l’épidémie sur son territoire en trois mois, avec entre 4 000 et 5 000 décès, malheureusement et 80 000 et 100 000 cas de personnes infectées.

Mais que sont ces chiffres par rapport à une population d’un milliard et demi de personnes ?

Je vous parle ici parce que j’ai la conviction intime, pour l’avoir vécu dans ma chair, pour avoir vécu toute cette crise sanitaire ici à Wuhan en Chine, que toute mesure moins performante que celles appliquées en Chine entraînera un plus grand nombre de morts et des conséquences économiques désastreuses dues à une épidémie plus longue dans le temps.

Je vous exhorte donc, vous Français, à appliquer à notre façon, dans un souci de santé publique et dans un souci de protection des individus, les règles de maîtrise efficace prouvées ici par la Chine, et cela le plus vite possible, et de façon implacable.

J’ai une pensée énorme pour les patients qui souffrent en France, pour mes collègues médecins et les infirmières, ainsi que pour toute la population.

Je vous soutiens de tout mon cœur parce que je suis passé par là.

Philippe Klein

Retranscription :

Julien Martel