Mahomet ou Mohammed?
(calligraphie arabe du nom “Muhammad”)
Comme certains d’entre vous le savent, je fais des études d’Histoire, et à l’instar de toutes les disciplines, il nous faut faire des exposés sur un sujet donné devant nos camarades.
Comme l’une des matières que j’étudie est “l’Histoire de l’islam et de la civilisation arabo-musulmane”, il me fallait parler dans mon exposé des premières années de l’islam (610-622), et donc immanquablement présenter une brève biographie de Mahomet, le prophète de l’islam.
C’était cet après-midi, et franchement, j’ignore si j’ai satisfait aux exigences académiques; notre professeur ayant pour habitude de griffonner sans mot-dire quelques mots dans son carnet.
Quoi qu’il en soit, je sortis du cours avec le souhait de regagner au plus vite mes pénates. Je marchais dans le couloir qui mène vers les escaliers quand soudain…
“Hé mon frère!” entendis-je m’interpeller… Moi qui me croyais jusque là fils unique, vous comprendrez ma surprise. Je me retournai et je vis un jeune homme brun de grande taille, maigre, vêtu d’un jean et d’un pull-over noir, avec un keffieh rouge et blanc autour du cou. Que me voulait-il donc?
Il engagea la conversation, me félicitant pour mon exposé qu’il avait trouvé “super”. Ensuite, il commença à parler de l’islam, qui était manifestement sa religion. Il me dit qu’il reprochait “juste un truc” à mon exposé: c’est que j’avais plusieurs fois dit “Mahomet” en parlant de leur prophète. Je lui demandai alors quelle dénomination j’aurais dû utiliser, je n’allais quand-même pas employer la formule musulmane qui consiste à dire “Paix et Bénédiction sur Lui” dès qu’on mentionne son nom. Le jeune homme me dit que non, seuls les Musulmans étant astreints à cette formule, mais que par respect pour leur religion il fallait prononcer le nom du Prophète “de manière correcte” c’est-à-dire en disant “Mohammed”.
Le jeune homme n’était ni agressif, ni haineux, et semblait être animé d’une envie sincère de corriger ce qu’il prenait pour une erreur, j’ai moi aussi évité d’être trop incisif; mais ce n’est pas dans mes habitudes de repartir sans avoir dit ce que j’ai à dire. Je lui ai donc poliment expliqué que les noms communs, comme les noms propres changeaient selon les langues et les idiomes. Par exemple, dans ma langue maternelle, mon prénom se dit “Nikoloz”; pourtant, à mon arrivée en France, ma famille a fait le choix louable de franciser ce prénom en “Nicolas”, dans un souci d’assimilation. Comme je vis que cet exemple ne le convainquait guère, j’ai pris celui de Jésus: appelé “Issa” par les Musulmans, son nom juif était “Yeshoua bar Yosef”, pourtant, chaque langue varie la prononciation de son nom.
Puis j’enchainai directement avec l’exemple du prénom “Mohamed”, qui se dit “Mahmoud” en Iran, “Mehmet” en Turquie, “Mamadou” en Afrique noire, “Magomet” en Tchétchénie et même “Mohand” en Kabylie.
Le jeunot tenta alors de balbutier quelque explication, notamment en arguant que les variations du prénom “Mohammed” concernaient certes les gens qui le portaient, mais que ce nom devait rester dans sa forme originelle quand il s’agissait du Prophète, et que pour ce qui est de Jésus, Mohammed avait lui-même écrit que ce dernier s’appelait “Issa ibn Mariam”.
Bref, nous parlâmes un peu et nous dîmes au revoir. L’échange s’est passé en toute cordialité, malgré la divergence manifeste d’opinions.
Une fois rentré chez moi, je voulus mettre les points sur les i, et donc j’ai effectué quelques recherches sur internet.
Figurez-vous que ce jeune homme n’est pas le seul, il y a tout un mouvement “intellectuel” qui vise à arabiser le nom de Mahomet dans la littérature française et dans les manuels d’histoire. Sur les forums, il y a une vraie rhétorique visant à “rectifier” le nom du prophète. L’argumentaire est que “Mohammed” signifie “le Loué” en arabe, tandis que “Mahomet” pourrait être assimilé au contraire de cette affirmation dans la mesure ou “Ma-houmid” signifierait “celui qui n’est pas reçu” ou le “non-agréé” par la négation “ma” synonyme du “a” privatif en latin. Les Musulmans sont donc encouragés à “corriger” ceux qui disent “Mahomet”, même le clergé musulman de France en est là. Une pétition a même été adressée aux membres de l’Académie Française afin que soient “épurés” les manuels d’Histoire, les livres d’orientalistes ainsi que la littérature française où la translitération française devrait être remplacée par la forme arabe!
Pour ma part je suis Français; je parle la langue de Molière, et non celle d’Averroès. Que ceux qui veulent se coucher devant l’enlaidissement langagier et la défrancisation le fassent. En ce qui me concerne, lorsque je vais en vacances en Allemagne, je visite “Aix-la-Chapelle” et non “Aachen”; quand je réveillonne, c’est la naissance de Jésus-Christ que je commémore et non celle de Iessos-Khrestos (en grec) ou Yeshouah bar Yosef (en hébreu). Oui, je pratique l’interpretatio gallica qui nous fait changer Julius-Caesar en “Jules César”, Zarthosht en “Zoroastre” et Muhammad en Mahomet.
Nicolas Krikitadze