Municipales : comment le FN pourrait bien faire la pluie et le beau temps à Marseille
Pour bien comprendre l’enjeu des élections municipales dans la seconde ville de France en mars prochain, et donc toutes les tractations en cours à gauche et à droite, il faut tout d’abord rappeler brièvement le mode de scrutin.
L’élection se déroule par secteurs. Il y a 8 secteurs, chacun regroupant 2 arrondissements.
Dans chaque secteur, si une liste dépasse les 50% au premier tour, elle obtient la moitié des sièges, à la fois au Conseil d’arrondissement et au poids du secteur dans le Conseil municipal central. L’autre moitié des sièges est répartie à la proportionnelle entre les listes, y compris la liste arrivée en tête.
Si aucune liste ne dépasse les 50% au premier tour, seules peuvent se maintenir les listes ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés (ce qui est un seuil très bas). Des listes éligibles au second tour peuvent fusionner. Une liste qui a obtenu au moins 5% peut également fusionner avec d’autres étant éligibles. Une liste qui a obtenu moins de 5% est éliminée. La liste arrivée en tête obtient la moitié des sièges, l’autre moitié étant répartie à la proportionnelle.
Pour les dernières élections municipales, celles de 2008, on trouvera tous les résultats globaux et secteur par secteur sur cette fiche Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_municipales_de_2008_%C3%A0_Marseille
Jean-Claude Gaudin dirigeait les listes UMP-centre droit. Jean-Noël Guérini avait réussi à constituer des listes d’union de la gauche dès le premier tour (PS, PCF, Verts, PRG, LO, MRC). Il y avait aussi des listes FN conduites par Stéphane Ravier, Modem par Jean-Luc Bennahmias, extrême-gauche par Armelle Chevassu ainsi que quelques indépendants se présentant ici ou là.
L’union de la gauche dépassait les 50% au premier tour dans le secteur des 2ème et 3ème arrondissements (Lisette Narducci) et dans celui des 15ème et 16ème (Samia Ghali). Jean-Claude Gaudin dans son fief des 6ème et 8ème arrondissements. Le Front national n’avait pu se maintenir que dans le secteur des 13ème et 14ème arrondissements (Stéphane Ravier).
A l’issue du second tour, la droite avait remporté 4 des 8 secteurs et la gauche les 4 autres, avec une répartition géographique globalement Sud-Nord désormais classique à Marseille :
Par les mécanismes électoraux expliqués ci-dessus, la droite obtenait 51 des 101 sièges du Conseil municipal, la gauche 49 et le Front national 1 seul. On voit donc qu’il ne s’est fallu que d’un siège pour que l’élu FN Bernard Marandat ne joue les arbitres.
Qu’en sera-t-il en 2014 ? On connaît déjà 5 têtes de listes officiellement déclarées : Jean-Claude Gaudin (UMP-UDI), Patrick Mennucci (PS), Stéphane Ravier (FN), Karim Zéribi (EELV) et Jean-Luc Bennahmias (Modem). Il y aura sans doute des listes Front de gauche et des listes d’extrême-gauche. Il est possible que des forces de gauche fassent listes communes au premier tour. Le Modem maintiendra certainement sa candidature autonome pour des raisons politiciennes nationales.
Quels sont les rapports de force ? La dernière indication que nous avons est le sondage Ifop/Fiducial/JDD réalisé du 3 au 5 septembre 2013 sur seulement 702 électeurs potentiels marseillais, donc cela ne donne que des ordres de grandeur :
http://www.ifop.com/media/poll/2323-1-study_file.pdf
Depuis que ce sondage a été effectué, on connaît la tête de liste PS et on sait que Karim Zéribi a évincé Sébastien Barles comme tête de liste EELV.
Un Front national à 25% au premier tour à Marseille alors qu’il ne faisait que 9% en 2008, ça a fait couler beaucoup d’encre. Des indiscrétions indiquent que le FN progresse dans tous les secteurs, et qu’il dépasse partout la barre des 10% pour se maintenir. Évidemment l’UMP-UDI pourra également se maintenir partout. Ainsi que le Parti socialiste, sauf peut-être dans le secteur où Karim Zéribi se présentera et pourrait arriver en tête, certainement les 13ème et 14ème arrondissements, le fief de… Sylvie Andrieux. De toute façon la gauche fusionnera ses listes. C’est également dans le secteur des 13ème et 14ème que se présentera Stéphane Ravier et on pense que c’est le seul secteur que pourrait peut-être remporter le Front national.
Le sondage donne au second tour 40% à la droite, 38% à la gauche et 22% au FN. Donc un match serré entre droite et gauche, perturbé par le FN.
Les états-majors des partis se sont évidemment aventurés à faire des calculs savants secteur par secteur en fonction des résultats de 2008 pondérés par les résultats du sondage. D’après mes informations, on reste sur un partage moitié-moitié des secteurs entre droite et gauche. Avec un Front national à 22% en moyenne, j’ai fait ma projection personnelle et j’obtiens le résultat suivant pour le Conseil municipal : environ 46 élus de droite, 44 de gauche et 11 du FN. Et je crois savoir que tout le monde en arrive peu ou prou aux mêmes ordres de grandeur.
Alors qui sera maire de Marseille ? Ce sont les 101 conseillers municipaux qui seront chargés de l’élire et ce sont ceux donc du Front national qui pourraient faire basculer le vote soit pour Jean-Claude Gaudin, soit pour Patrick Mennucci. Comme le scrutin est à bulletins secrets et qu’on sait qu’il y a parfois des traîtres dans un camp ou dans l’autre – cf. l’élection inattendue du socialiste Eugène Caselli à la présidence de la communauté urbaine –, les pressions, les arrangements et les marchandages iront bon train. Les soupçons et les rancœurs aussi.
Et Marseille pourrait être ingouvernable, puisqu’à chaque décision où droite et gauche ne seront pas d’accord, ce seraient les élus du Front national qui trancheraient. Dans l’hypothèse où Stéphane Ravier ravit à la gauche le secteur où il se présente, ça ne changerait pas la donne : Le FN aura davantage de conseillers, la gauche moins, mais la droite n’obtiendrait pas la majorité absolue au Conseil municipal pour autant.
Pour s’assurer d’éviter que le Front national ne joue les arbitres de la vie politique marseillaise pendant 6 ans, droite et gauche n’ont qu’une possibilité : prendre au moins un secteur (et si possible plusieurs) à l’adversaire sans en perdre d’autres pour autant.
On comprend alors toute l’importance des négociations qui ont déjà démarré, à l’UMP-UDI comme au PS, pour désigner les têtes de liste des secteurs « sensibles » où le match sera le plus serré (1). Il est encore trop tôt pour vous décrire cette tambouille complexe où il faut doser le pour et le contre, tenir compte des ambitions des uns et des autres et aussi des choix de l’adversaire. Vaste jeu de billard à plusieurs bandes… (2)
On aura bientôt le résultat des courses – et des négociations à gauche – puisque la campagne droite-gauche-FN est maintenant lancée depuis l’élection de Patrick Mennucci à la primaire socialiste. Signe annonciateur : dimanche dernier, à l’heure du dépouillement, les affiches de Patrick Mennucci et de Samia Ghali étaient recouvertes par celles de l’UMP à la gloire de Jean-Claude Gaudin et de ses principaux lieutenants.
Roger Heurtebise
(1) Les secteurs où le résultat final risque me semble être le plus indécis sont :
– Celui des 1er et 7ème arrondissements, détenu par la gauche et fief… de Patrick Mennucci, qui ne l’avait emporté qu’avec 1,5% d’avance en 2008.
– Celui des 4ème et 5ème, détenu par la droite avec 2,9% d’avance (Bruno Gilles, patron de l’UMP à Marseille).
– Celui des 11ème et 12ème, également détenu par la droite avec une avance plus confortable de 8,8%. Mais le maire de secteur Robert Assante ex-UMP puis ex-UDI vient de claquer avec fracas la porte de Jean-Claude Gaudin dont il était pourtant l’un des plus anciens et fidèles lieutenants. Robert Assante laisse planer le doute : ralliement à la gauche, au FN ou liste(s) autonomes(s) ?
(2) On m’informe d’ailleurs qu’au PS marseillais, ça commence à se battre pour les places de tête de liste. Patrick Mennucci doit envoyer des cadors dans les secteurs tangents pour les conserver ou les faire basculer, mais les barons préfèrent évidemment aller là où ils sont sûrs d’être maire de secteur. Et ce n’est guère plus réjouissant à l’UMP…