Noël : les hommes ouvraient les huîtres et les bouteilles, les femmes faisaient la cuisine…

C’était une époque où Najat Vallaud-Belkacem et ses complices n’avaient pas encore formaté nos enfants à la théorie du genre. Le bleu était plutôt la couleur des garçons, et le rose la couleur des filles. Cela n’empêchait pas ma sœur d’être une remarquable joueuse de football à Saint-Germain (qui n’était pas encore devenu le PSG), ni mon frère de s’essayer un temps au canevas, avant de devenir un bricoleur hors pair.

Dans ces années 1980, nous n’avions plus vingt ans, mais pas encore trente, et notre génération faisait la jonction entre celle de nos parents et de nos jeunes enfants. A l’époque, Noël nourrissait des sentiments contradictoires chez moi. J’étais dans le rejet des traditions chrétiennes, et j’en étais même à me demander si c’était bien de mentir aux enfants avec cette histoire du Père Noël, c’est dire l’ampleur des remises en questions, voire de la déconstruction, qui sévissait à l’époque. Mais j’avoue que je n’étais pas mécontent que tous les ans, ma femme achète le sapin, le décore, et qu’il y ait le repas familial du 25 décembre.

L’organisation était parfaite. Les trois enfants que nous étions se retrouvaient le midi de Noël, chez mes parents, en compagnie de nos jeunes héritiers et des grands-parents. Quatre générations. Et jamais personne n’a manqué à l’appel, chaque année.

Bien évidemment, nos enfants se précipitaient au pied du sapin pour regarder ce que le Père Noël leur avait apporté. Et tout le monde était ému de la joie que ces cadeaux, souvent modestes, leur procurait.

Généralement, les menus étaient assez classiques, mais on mettait tout de même les petits plats dans les grands. Il y avait bien sûr le rituel de l’apéritif, les huîtres, les coquilles Saint-Jacques, une pintade avec des légumes, une salade, un superbe plateau de fromages et une bûche glacée. Bien sûr, les vins qui étaient sur la table étaient à la hauteur de l’événement. Parfois, on faisait le trou normand, ce qui n’empêchait pas de savourer les digestifs maison, certains servis dans des bouteilles musicales, avec à l’intérieur des danseurs de tango . En général, cela se terminait par la partie de belote traditionnelle, et on restait parfois le soir à finir les restes.

Mais c’était l’organisation de cette journée qui était touchante. Mon père, qui travaillait dur (chauffeur de car pour une entreprise transportant au travail les ouvriers des usines automobiles, qui faisaient les 3 X 8), avait plusieurs missions : celle d’ouvrir les huîtres dans la matinée, et de s’occuper de l’apéritif, des vins et des digestifs. Et bien sûr de gérer l’arrivée des uns et des autres.

Il comptait sur ses deux fils, pour l’aider à ouvrir les huitres. Nous devions donc passer à la maison vers 11 heures du matin. En général, il y avait environ 200 huîtres à ouvrir, et cela se faisait entre hommes, à la cave. A trois, il fallait environ une demi-heure. Mon père avait toujours préparé une petite bouteille de vin blanc, et trois verres. Et bien sûr, il fallait des pauses syndicales, pour récupérer de l’effort et s’hydrater comme il faut…

Et puis nous repartions chez nous chercher femmes et enfants, et revenions une heure plus tard. Ma mère mettait un point d’honneur à régenter la cuisine, où elle était la patronne incontestée. C’est elle qui appelait de temps en temps mon père pour un conseil, ou une autre femme pour une assistance. Elle avait déjà préparé la table depuis la veille au soir, cela la rassurait, c’était cela de fait.

Les discussions à table étaient parfois fort vives. Naturellement, les consignes au début du repas étaient claires : on ne devait pas parler politique avec le grand-père, qui avait tendance à s’emporter assez rapidement, après quelques bons verres de vin. Et bien sûr, à chaque fois, on en parlait. Cela s’engueulait gentiment, et finissait toujours bien.

A l’époque, il n’y avait pas les inquisiteurs de la Sécurité routière pour nous culpabiliser de boire quelques verres le jour de Noël, et cela n’a jamais empêché personne de ramener la voiture et la famille à la maison, en étant prudents. Il est vrai que nous habitions près les uns des autres.

Cela a duré des années. Et puis mon père est mort, et ma mère a voulu continuer à maintenir la tradition, jusqu’à ce que cela devienne trop dur pour elle.

Nous avons alors pris le relais, des années durant. Et pour la première fois, l’an passé, ma fille a tenu à organiser cela chez elle. Je me suis donc dit que le flambeau avait été transmis…

Je m’interroge malgré tout sur un fait. Les choses ont bien changé, depuis l’époque des Noël chez mes parents. Les femmes travaillent pour la plupart d’entre elles, et leurs époux sont à présents admis, voire sollicités, à la cuisine, et pour faire les courses. Mais, à l’époque de la théorie du genre triomphante, ce sont toujours les seuls hommes qui ouvrent les huîtres et les bouteilles…

Pierre Cassen