Non, Hubert Sage, l’Eglise catholique n’est pas l’ennemie de la laïcité !

Dans un article paru sur Riposte Laïque le 21 février 2011, vous avez développé les raisons pour lesquelles, selon vous, Hubert Sage, Jean-Luc Mélenchon seul “est crédible pour défendre la laïcité”.

Indépendamment de la personnalité de Jean-Luc Mélenchon qui s’érige aujourd’hui en chantre de la laïcité après avoir oublié ce que furent les engagements du gouvernement de Lionel Jospin, y compris au plan européen, auquel il participa pourtant activement, j’avoue que les termes de votre article témoignent d’une orientation partisane, manichéenne et proche d’un sectarisme qui inquièterait nombre de laïcs convaincus.

Je parle tout d’abord d’une orientation partisane. Pourquoi ? A vous lire, Hubert Sage, le concept de laïcité ne se débattrait que sous l’angle spécifique des questions relatives à la construction et au financement des lieux de culte. Non pas que le sujet ne soit pas d’importance, loin s’en faut ! Mais pour autant, le débat sur la laïcité peut-il uniquement se résumer aux questions liées au financement des lieux de culte ? Or, en titrant votre article « Seul Jean-Luc Mélenchon est crédible pour défendre la laïcité face à Sarkozy », vous aviez, j’imagine aisément, l’intention initiale d’ouvrir le débat sur l’ensemble des questions inhérentes à la thématique de la laïcité. Dans ce contexte, pourquoi ne parlez-vous, par exemple, jamais de l’école républicaine et laïque dont vous n’ignorez pas, en fin observateur de l’actualité que vous êtes, combien elle se porte mal … et pas seulement depuis les années Sarkozy ?

Je fais ensuite référence, Hubert Sage, à une votre vision manichéenne de la société française : d’un côté, il y aurait en quelque sorte “l’axe du bien” auquel appartiendrait majoritairement l’échiquier politique de la gauche républicaine laïque et de l’autre, cette vieille France encore trop catholique à votre goût et forcément de droite, représentée par l’échiquier de la droite politique et qui incarnerait “l’axe du mal”. Cette droite à vos yeux si obstinément catholique qui, de surcroît, ne penserait qu’à “ourdir des complots” contre tous les laïcs rouges, forcément seuls héritiers de la Loi de Séparation des églises et de l’Etat de 1905. Comme si toute la droite républicaine française était de confession catholique aujourd’hui ! Comme si tous les citoyens de confession catholique votaient à droite dans la France de 2011 ! Comme si les laïcs et/ou les défenseurs de la laïcité ne se trouvaient qu’à la gauche de l’échiquier politique français aujourd’hui !

Votre parti pris, Hubert Sage, est d’une logique tellement “évidente”, voyez-vous, que Madame Aubry, Premier Secrétaire du Parti socialiste et Maire de Lille, qui, à ma connaissance et c’est tout à fait respectable du reste, se situe donc encore à la gauche de l’échiquier politique, recevait le 19 février dernier au Zénith de Lille l’ex Grand Mufti de Jérusalem, le Cheikh Ikrima Sabri, qui est l’auteur de ces monstrueuses paroles prononcées à l’occasion d’une interview proposée par le journal arabe Al Ahram al-Arabi en 2000 :

« Question du journaliste : “Est-ce pour cela que les mères pleurent de joie à l’annonce de la mort de leur fils ?”

Réponse du Cheikh Ikrima Sabri : “Elles sacrifient volontiers leurs rejetons par amour de la liberté. C’est une grandiose manifestation de la puissance de la foi. Les mères participent à la grande récompense du Jihad qu’est la libération d’Al-Aqsa”. »

Hubert Sage, pourquoi ne dénoncez–vous pas, en qualité de laïc, ces réalités politiques qui sont pourtant autant de coups de canif meurtriers portés par certains élus français à l’esprit de la loi de 1905 ?

Enfin, Monsieur Sage, vous témoignez dans le regard que vous portez sur les catholiques, d’un sectarisme préoccupant et qui semble finalement délibérément humiliant de votre part à l’endroit de milliers, de millions de personnes ou de familles de confession catholique, pratiquantes ou pas et qui ne vouent pas aux gémonies les laïcs agnostiques ou athées de ce pays :

« Ce ne sont pas donc avec les Identitaires qui refusent explicitement la liberté de culte (écouter leur interview à Strasbourg) ni avec les catholiques modérés ou intégristes qui veulent garder, voire étendre leur privilèges par n’importe quelle compromission, notamment avec le Front National de Marine Le Pen, que la lutte contre l’islamisation de la société aura une quelconque chance de succès, mais bien avec des laïques intransigeants (même s’il est vrai que pour certains il faut leur faire prendre conscience de la dangerosité des organisations islamiques qu’ils minimisent ou méconnaissent). »

Comment pouvez-vous mettre sur le même plan “les catholiques modérés ou intégristes”, sachant que l’immense majorité des catholiques français sont des catholiques modérés qui n’ont nullement l’intention de renverser les fondements de notre système laïc ? En ne faisant aucune distinction entre les catholiques modérés et les catholiques intégristes, c’est un peu comme si vous niiez aux catholiques le droit d’être tout simplement catholiques et donc d’exister. Je le regrette et je le déplore d’autant plus que vous enfoncez, quelques mots plus loin, le couteau dans la plaie si j’ose dire, en parlant de “la compromission” dont sont capables les catholiques pour “garder, voire étendre leurs privilèges”. Vous laissez donc publiquement comprendre que “tous les catholiques” se compromettent pour préserver ou obtenir des privilèges …. C’est, d’un point de vue juridique, très contestable, cette propension que vous avez là, Hubert Sage, à condamner une population donnée sur le seul critère de son appartenance religieuse. J’avoue que cette phrase me heurte profondément et je ne comprends pas même qu’un républicain comme vous ait pu l’écrire !

Par ailleurs, loin de reconnaître votre erreur, par la suite vous confortez votre point de vue en cautionnant, cette fois-ci, la nécessité de combattre “l’islamisation de la société …. avec des laïques intransigeants”. Monsieur Sage, l’intransigeance, c’est l’antichambre de l’intolérance et c’est à partir de là que s’ouvrent progressivement toutes les portes qui mènent à l’intégrisme. Or, on ne combat pas un intégrisme avec et par les moyens d’un autre intégrisme, fut-il laïque. En conséquence, ce sont tous les laïques modérés et en aucun cas quelque intégrisme que ce soit qui combattront, avec les armes légales que leur donne prioritairement la loi de 1905, l’islamisation de notre société.

En fin de compte, je déplore, Hubert Sage, qu’un esprit cultivé comme le vôtre, se trompe de siècle en décrivant une guerre “ourdie sous forme de complot” à la fois par certains élus politiques et par certaines autorités de l’Eglise catholique, du moins à vos dires, et dont le seul objectif serait de mettre un terme à la Loi de Séparation des églises et de l’Etat de 1905.

Non, croyez-moi, l’Eglise catholique romaine a, contrairement à ce que vous affirmez, parfaitement intégré l’idée que personne, à l’exception d’une toute petite minorité d’intégristes catholiques qui n’ont pas encore compris que nous ne vivions plus en 1905, n’accepterait d’ouvrir la Boîte de Pandore et de signer, au final, sa perte définitive en prenant le risque d’ouvrir une guerre civile qu’elle sait perdue d’avance car, en vérité, ni les laïcs ni les catholiques n’ont l’intention de se faire la guerre en France. C’est pourquoi je ne peux pas vous rejoindre dans votre analyse quand vous affirmez que l’Eglise catholique a pour dessein de “casser cette loi de 1905” au motif qu’ “elle l’empêche de construire de nouvelles églises dans des villes nouvelles sur de l’argent public”. Pensez-vous sérieusement qu’il y ait une augmentation si significative du nombre de fidèles catholiques en France que l’Eglise catholique de France ait, par voie de conséquence, observé un manque de places dans ses églises qui justifierait la construction d’églises supplémentaires ? Si les messes du dimanche connaissaient un tel regain d’intérêt, croyez-moi, cela se saurait et pas seulement de l’Eglise de France d’une part. L’Eglise catholique n’aurait, d’autre part, pas attendu d’entendre les organisations islamiques réclamer un moratoire de la loi de 1905 pour se manifester depuis déjà très longtemps auprès des autorités politiques françaises si elle souhaitait que ce moratoire soit réellement effectif.

Vous savez, Hubert Sage, l’Eglise est une vieille dame plus que millénaire en France. Elle existait bien avant que la religion musulmane ne s’y implante. Elle n’a donc nullement besoin de se faire dicter sa conduite par les organisations d’une autre religion, fut-elle musulmane et je ne comprends pas que vous puissiez voir, à chaque intervention d’une autorité catholique, “un complot ourdi contre la laïcité par l’Eglise catholique et l’Islam”.

N’imaginez pas, Hubert Sage, que je défende en quoi que ce soit l’Eglise catholique romaine. Non, voyez-vous, celle qui vient de vous écrire la présente lettre n’a jamais été baptisée et n’a été élevée dans l’esprit d’aucune religion. Ce qui ne m’empêche pas d’être parfaitement à l’aise à la fois avec les règles de la laïcité dans l’espace public et d’être profondément attachée aux valeurs de la religion chrétienne dans mon espace privé. Et voyez-vous, mon attirance pour la religion chrétienne que je souhaiterais adopter par ailleurs, ne me conduit et ne me conduira pas davantage, à l’avenir, à me “compromettre” avec quiconque ! J’essaie simplement d’être objective et de vivre avec mon temps.

Or, aujourd’hui, non seulement je pense que les chrétiens et les laïcs ont des valeurs communes qui devraient les conduire à se rapprocher plutôt qu’à poursuivre une guerre devenue, à bien des égards, aussi stupide qu’anachronique. Mais, de surcroît, ce n’est pas la religion chrétienne mais l’idéologie obscurantiste véhiculée par certaines des organisations islamiques que vous citez dans votre article, Hubert Sage, qui est le véritable danger que tous les républicains et démocrates, qu’ils soient laïcs ou pas, quelle que soit leur religion, leur couleur de peau, leurs convictions philosophiques et/ou leur orientation politique, devraient s’atteler à combattre de toute urgence. C’est ce défi là que nous devons tous relever. Celui là prioritairement.

Bonapartine

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