La problématique de genre apparaît avec les médecins, John Money, Alfred Kinsey, Robert Stoller. Le concept de genre est forgé dans le laboratoire d’équipes médicales spécialisées dans le traitement d’enfants nés hermaphrodites, et la prise en charge de transsexuels. À partir de ces troubles de l’identification de sexe ou de genre, à partir de ces cas pathologiques, marginaux, des conclusions censées être universelles sont tirées. L’exception fondera la règle. Les partisans du genre reviennent toujours à ces exemples pour faire voler en éclats la norme.
Au début des années 1970, la notion de genre est introduite dans le champ des études féministes. Les études de genre apparaissent sur les campus américains. Mais le rôle de la France dans l’histoire du “gender” est essentiel.
La scission nature/culture trouve sa première formulation philosophique chez Simone de Beauvoir. Beauvoir s’inscrit dans la droite ligne de l’existentialisme sartrien : même élan, même hyperbolisme de la liberté dont les femmes ont besoin. L’homme est capable de s’extraire de tous les déterminismes, de les mettre entre parenthèses. Mais Sartre ne fait aucun droit au donné de l’existence. Il ne nous laisse pas le choix. C’est l’être ou le néant, l’essence ou l’existence, la nature ou l’histoire, la naissance ou le devenir. Beauvoir, avec Sartre, prend le parti du néant contre l’être, le néant de l’invention de soi contre l’être d’un donné. Beauvoir soustrait les femmes à l’empire de la nature. Pour elle, « la mère, l’épouse, l’amante, sont des geôlières ». Elle promet aux femmes l’évasion de cette prison. Désormais, la société ne pourra plus invoquer la nature pour assigner les femmes à résidence. Les femmes ne pourront plus se dérober à leur liberté, elles seront responsables, et non plus victimes. La formule « On ne naît pas femme, on le devient », est comprise comme émancipation à l’égard de la nature.
La déconstruction du féminin, l’indifférenciation des sexes, se trouvent déjà dans « Le deuxième sexe ». Le féminisme américain accomplira ces intuitions. Judith Butler, philosophe née en 1956, reçoit la leçon de Beauvoir : on ne devient femme que sous la contrainte, l’obligation culturelle de devenir femme. Il convient de déroger à cette obligation.
Beauvoir nous a libéré de la nature, le genre nous affranchira et de la nature et de la culture. Chacun inventera son identité sexuée et sexuelle. La dénaturation ne concerne pas que le genre, le domaine de la lutte s’étend à la sexualité. Beauvoir n’a fait que la moitié du chemin.
Le genre puise son inspiration à d’autres sources philosophiques que celle de Beauvoir. L’entreprise post-moderniste de déconstruction est initiée par des philosophes français : Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan, Roland Barthes, Gilles Deleuze.
Michel Foucault a désenchanté l’homme. Il annonce la mort de l’homme, le trans. Il est le philosophe du trans. Notre époque est l’époque du trans, une époque mutante, qui part dans tous les sens. Foucault a été libertaire, puis néolibéral. Il est passé de l’ultra-gauche à l’ultra- libéralisme, du parti socialiste au MEDEF. Il représente toute l’évolution de notre société, une alliance à front renversé entre l’école libérale et l’école libertaire. Tous ses disciples suivent ce parcours, par exemple les « nouveaux philosophes » comme André Glucksmann.
Foucault fut un apparatchik pompido-gaullien, un enragé dans les années 1970. Il a accompagné l’aventure de la 2e gauche autogestionnaire, celle que Rocard incarne en 1981. Il découvre le phénomène néolibéral.
Dans toutes ces écoles de pensée, il y a une continuité, une unité. La déconstruction-destruction est portée par une immense pulsion de mort. Cette pulsion de mort relève de la pathologie, se diffuse dans le corps social.
Foucault est un auteur nihiliste. Et notre époque est nihiliste. Sa haine principale porte sur le père. Son œuvre est un déni du nom de père, elle annonce le règne des fils sans nom, le temps des renégats. De ses livres se dégage un grand fantasme d’indifférenciation, un grand fantasme de dépersonnalisation.
Foucault est porté par une haine de la normalité. Il fait l’apologie des marges. Il déconstruit la notion de déviance. Il renverse l’appareil clinique du normal et du pathologique. Il pathologise le normal et normalise le pathologique. Il aboutit à une société qui est l’absence de normes.
Dans cet appel d’air s’engouffre le référent minoritaire. Depuis Mai 68, les minorités ont pris le pouvoir. Nous sommes revenus à une société inégalitaire, comme avant la nuit du 4 août 1789. En fait, la suppression des privilèges n’a été qu’une transmission des privilèges à la bourgeoisie. Les minorités contraignent les majorités.
Foucault veut détruire la notion de souveraineté du peuple et imposer le référent minoritaire. Le coupable de tous les maux, c’est le majoritaire, c’est le mâle blanc hétérosexuel de plus de 50 ans. Il est victime d’un procès en homophobie, d’un procès en racisme, d’un procès en machisme. L’homme blanc européen est castré, castré non chimiquement, mais castré textuellement, médiatiquement, juridiquement. Le minoritaire a pris le pouvoir.
Foucault occupe un poste prestigieux au Collège de France. L’intelligentsia transmet ses idées. Les professeurs relaient ses discours. Et ainsi, toute une jeunesse est formatée, au lycée, à l’université. Les médias, l’enseignement, la justice, sont infectés. Le minoritaire contrôle le champ des interdits, il est souverain. Il proclame ce qui est licite ou illicite. Il dit où est le totem et le tabou.
Foucault, effaceur de normes, banalise les déviances. La déviance, c’est la personne non intégrée socialement. Pour que cette déviance soit mise au cœur de la société, il faut que la société soit désintégrée. L’œuvre de Foucault consiste à désintégrer le social. Son combat a triomphé. Les penseurs de la marge sont devenus les penseurs centraux, commandent les appareils journalistique, universitaire, culturel.
Foucault est aussi investi dans le combat anti-pénitentiaire, il a le souci de fermer les prisons. Il est investi dans le combat anti-psychiatrique, il veut fermer les asiles. Il est investi dans le communautarisme gay, fasciné par l’homosexualité de New York et de San Francisco. Il est un grand militant de la cause homosexuelle, des formes de sexualité déviante. Il s’est aventuré sur le terrain du sadomasochisme. Il a accouché des disciples au sens socratique du terme. Il a couché avec eux.
Mais Foucault ne voulait pas être récupéré par la cause gay, car l’identité gay, c’est encore une identité. Son obsession, c’est introduire un monde post-identitaire, un monde trans. Il veut dépasser les assignations identitaires, et la première d’entre elles, l’assignation biologique. D’où son attraction pour la théorie du genre, qu’on n’appelle pas encore comme ça à son époque.
Foucault nous renseigne sur le cœur de la théorie du genre. Pour lui, on n’a pas à libérer le sexe, contrairement à ce que disent les soixante-huitards. Car depuis 2500 ans, depuis les Grecs, l’Occident parle de sexe, de l’homme et de la femme, de l’amour. Car le sexe est libéré. Il n’y a pas à libérer le sexe. La libération du sexe est une ânerie des soixante-huitards. IL FAUT NOUS LIBÉRER DU SEXE. C’est ça le fin mot de la théorie du genre. La théorie du genre, c’est la phobie du sexe génital. Le sexe concerne la reproduction sexuée, le sexe a d’abord un aspect génital. Le propre de l’homme, c’est de reproduire de l’humain par l’homme et la femme.
Foucault veut sortir du sexe génital, de la reproduction sexuée. Il veut inventer une sexualité désexualisée. Cette sexualité désexualisée passe par la sexualité sadomasochiste où les zones érogènes sont partout dans le corps. LA THÉORIE DU GENRE EST EN RÉALITÉ UNE CASTRATION DU SEXE. Il s’agit de castrer le sexe, castrer les garçons et stériliser les filles pour devenir quelque chose d’autre.
On croit que la théorie du genre est une théorie permissive. Non. C’est une théorie rigoureusement, étroitement, fanatiquement puritaine. Il y a une phobie du sexe, parce que le sexe, c’est une assignation sexuelle contre laquelle on ne peut pas se défaire. On est homme ou femme. Mais on est ni homme ni femme. LE RÊVE D’UN SEXE INCERTAIN EST LE FANTASME FONDAMENTAL.
Foucault veut détruire l’illusion naturaliste, l’identité de l’homme et de la femme. Il veut dépasser l’identité, une prison dans laquelle il étouffe. L’identité, c’est son père. Fils de chirurgien, la province, la ville de Poitiers, le catholicisme, la France, la normalité. Il veut se défaire de ça, se déprendre de lui-même.
Foucault a parasité, colonisé le système. Il pose des jalons nuisibles, il annonce l’agenda du gauchisme. Le gauchisme évacue la question sociale pour lui substituer la question sociétale. La question sociétale pourrit nos vies depuis les années 1960. En Mai 68, on liquide deux questions, la question sociale et la question nationale. On vomit et on élimine les communistes et les gaullistes, et tous ceux qui gravitent autour d’eux. On les remplace par les gauchistes au sens marxiste-léniniste du terme. Le gauchisme prend le pouvoir et ignore la question sociale. Le gauchisme est accaparé, obsédé par la question de la parité, par la lutte contre l’exclusion, par la parité des genres.
Foucault entre en résonance avec notre époque, est au cœur de notre actualité. Foucault a déplacé le curseur du social vers le sociétal, dans une apparition et une manifestation de l’individu libéral, dès lors « libéré ». Avec lui, l’axe de rotation de la raison occidentale a basculé. Il a investi et légitimé toutes les formes de déviance avec pour ambition d’ériger ces formes de déviance en norme ultime, la norme d’absence de normes, la norme de l’anormal.
Le refus des assignations sexuelles, les études de genre, la politisation du corps, la revanche des minorités, la déconstruction de la notion de déviance, C’EST FOUCAULT. Foucault est l’incubateur, le nid et l’accélérateur d’une nouvelle ère. En lui, le libertaire fusionne avec le libéral.
D’où l’alliance gauche-capital-islam. Un mariage en apparence incompatible. En fait les deux termes libertaire-libéral sont compatibles et assortis. « Enrichissez-vous » a dit François Guizot (1787-1874) ; « de vos différences », ajouterait Jacques Derrida. Guizot + Derrida = Foucault.
À la croisée de la « French Theory » et des « Chicago boys », s’opère la jonction du gauchisme chic et du néolibéralisme. L’œuvre de Foucault se situe quelque part entre le marquis de Sade, « l’apôtre des assassins », selon Michelet, et Friedrich Hayek, le pape des néolibéraux, entre la liberté de l’arbitraire et l’arbitraire de la liberté, l’une et l’autre sans limites. Sade et Hayek travaillent en profondeur cette pensée à la poursuite d’un seul et même but : l’avènement d’une société où les singularités dans leur différence inimitable et leur indifférence triompheront du collectif, les majorités.
Foucault préfigure un moment historique. Il est l’auteur d’un nouveau contrat délibérément asocial. Il liquide le principe de souveraineté, la souveraineté populaire. Il avertit : « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une philosophie politique qui ne soit pas construite autour du problème de la souveraineté, donc de la loi, donc de l’interdiction ; il faut couper la tête du roi et on ne l’a pas encore fait dans la théorie politique ». Le pouvoir ne disparaît pas pour autant. Ce qui disparaît, c’est le concept de volonté générale.
Il n’y a plus de foyer légitime du pouvoir. Les majorités sont mises sous séquestre. Foucault renverse « la domination sereine du Bien et du Mal ». Désormais, les minorités maîtrisent le champ symbolique des interdits, l’univers de la mode et de la culture, l’industrie de la publicité, l’industrie du divertissement.
Jean Saunier
Merci pour cet excellent article !
Bel exposé. Vous auriez avantage pour résumer la situation philosophique (née aux XVI-XVII è siècles en Europe – Descartes) à lire “Nous n’avons jamais été modernes” de B. Latour 1994 La Découverte.Aussi “Pascal la proposition chrétienne” de P. Manant
un homme a une pomme d’adam, une femme a un bassin plus large que celui d’un homme !
Foucault, Derrida, Deleuze, tous les apôtres et parangons de la “french theory” qui n’a pas fait recette en France en son temps mais qui a fait florès dans les universités américaines, nous est revenue en pleine poire comme un boomerang pour notre plus grand malheur, tant les pseudo-intellectuels qui ont squatté l’université française sont des admirateurs béats de la société amerloque. Je n’en reviens toujours pas de la vitesse à laquelle la contagion a gagné l’Europe. Je crois que l’éducation nationale y est pour beaucoup tant elle a décervelé les élèves depuis une bonne vingtaine d’années notamment.