Le Point vient de présenter en France « le ‘’manifeste’’ de quatre intellectuels musulmans appelant à relancer la réflexion critique sur l’islam, aujourd’hui mis à mal par les dictateurs et les extrémistes ». Il s’agit de Ghaleb Bencheikh, Anwar Ibrahim, Felix Marquardt, Tariq Ramadan[1].
« Nous devons prendre les prétentions de l’État islamique et celles de Boko Haram de pratiquer un islam rigoureux pour argent comptant : se contenter de dire que leur barbarie n’a “rien à voir” avec l’islam n’est pas sérieux.»
Très bien, mais la signature de Tariq Ramadan, représentant des Frères Musulmans en Europe, mouvement interdit récemment en Egypte qui a toujours prôné la dictature de l’islam et pratiqué la terreur contre ses opposants, enlève toute crédibilité à ce texte, lequel ne fait que pointer l’inconfort de certains penseurs musulmans lorsque les tueries commises au nom de l’Islam ne se passent plus seulement en Arabie saoudite, au Pakistan, au Soudan, et dans les 54 autres pays musulmans, mais en plein Paris.
Ce texte est encore moins crédible, lorsque sans doute sur la suggestion de Tarik Ramadan, l’on se permet de critiquer, sans le nommer (quel courage !) le seul dirigeant du monde arabe à avoir appelé les théologiens d’El Azhar à entreprendre dare dare la réforme de l’Islam, c’est à dire le Président Sissi[2], présenté par les signataires comme un ‘’dictateur’’ :
« Les dictateurs peuvent appeler à réformer l’islam tant qu’il leur plaira ; qu’il n’y ait aucune ambiguïté : nous ne sommes pas et ne serons jamais du même bord ».
Enfin ce texte perd le peu de la crédibilité qu’il lui restait lorsqu’au lieu de braquer les projecteurs sur les textes et les pratiques de l’islam à réformer de toute urgence, les signataires préfèrent reprendre à leur compte la chansonnette de la victimisation : « Et lorsque la liberté et la démocratie souffrent, ils souffrent aussi, tout comme les bouddhistes, les sikhs, les chrétiens, les hindouistes ou les juifs. ».
Comprendre ainsi : quand l’islam tue, ce sont les musulmans qui souffrent !
Sans oublier le refrain de l’islamophobie, en évitant soigneusement de prononcer ce mot : « Ceux qui cherchent à diviser l’humanité se servent de raccourcis malavisés pour associer l’islam et le barbarisme… »
Et en fin de compte, le texte s’anéantit de lui-même de sa propre contradiction. D’un côté, en introduction, on nous dit que la barbarie a « à voir avec l’islam », puis en conclusion, exactement le contraire, lorsqu’au lieu de s’en prendre à toutes les nomenklaturas théologiques, l’on préfère dénoncer ceux qui «insinuent qu’il y a une violence intrinsèque dans notre religion »
Ces intellectuels et/ou théologiens qui affichent une bonne volonté devraient donc nous expliquer clairement d’où provient la violence dans le monde musulman, contre les femmes et les Noirs, contre les homosexuels et les lesbiennes, contre les libres penseurs et les athées, contre les Chrétiens et les Juifs…
Est-ce vraiment parce que les musulmans ne mangent pas bien, ou que l’occident ne les flatte pas assez, ou encore à cause du conflit israélo-arabe ?
N’est-ce pas plutôt parce que pas un seul pays musulman n’est encore arrivé au stade de la démocratie qui signifie que l’on peut s’exprimer sans avoir peur pour sa vie, et que sans doute l’islam, en tout cas tel qu’il est aujourd’hui, dans ses textes, ses lois, et ses pratiques, n’y incite pas vraiment, c’est le moins que l’on puisse dire… ?
Si les intellectuels n’ont que le choix du silence, de la complaisance, ou de l’exil, si l’on coupe les mains des voleurs et la tête des femmes accusées d’adultère, si l’on a condamné à mort la pakistanaise chrétienne Asia Bibi parce qu’elle ‘’a bu de l’eau d’un puits musulman’’, si tant d’autres avanies font souffrir plus d’un milliard de citoyennes et citoyens du monde musulman, est-ce vraiment à cause de l’impérialisme américain ou du complot judéo-sioniste ?
Ne serait-ce pas plutôt parce que les 57 pays musulmans de la planète sont régis par une loi, appliquée plus ou moins rigoureusement selon les pays, qui a un nom bien précis : la charia ?
Ne serait-ce pas plutôt parce que ces pays ont cru bon adopter à l’unisson une ‘’Déclaration des Droits de l’homme en islam’’ (notez bien ‘’en islam’’ !), où à presque chaque article l’on se réfère expressément à la ‘’charia’’.
Curieux quand même que ces quatre théologiens aient fait l’impasse sur ce mot-clé : la charia !!! Car, s’ils avaient voulu que l’on prenne un tant soit peu au sérieux leur appel à réformer l’islam, n’était-ce pas par là qu’ils auraient dû commencer ?
Car il est évident que même s’il y avait, ô miracle, un désir réel de tous les théologiens du monde musulman de réformer en profondeur l’islam, dès aujourd’hui, cela prendrait des décennies pour ne pas dire plus. Or le véritable défi à relever, ne serait-ce pas plutôt de mettre fin le plus rapidement possible à toutes les pratiques barbares qui mutilent le quotidien de tous les citoyens du monde musulman et depuis ces dernières décennies aussi du monde non-musulman ?
Si ces quatre intellectuels musulmans étaient vraiment soucieux de la bonne image de l’islam, pourquoi n’ont-ils pas appelé les théologiens du monde musulman à modifier la charia, et à proposer une charia compatible avec la modernité, et la nécessité d’établir l’égalité entre les femmes et les hommes, entre les Blancs et les Noirs, entre les hétérosexuels et les homosexuels, entre les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, la liberté d’expression pour toutes et tous, enfin l’interdiction des pratiques les plus condamnables en pays d’islam, et notamment l’abolition des châtiments corporels, voire même de la peine de mort ?
Au lieu de quoi les signataires ont cru bon s’attaquer au seul dirigeant du monde arabe, le Président Sissi, qui, yeux dans les yeux de tous les théologiens d’El Azhar, a osé le 28 décembre dernier, ainsi conclure :
« Je le répète : Nous devons révolutionner notre religion… Honorable imam (le grand cheikh d’Al-Azhar), vous êtes responsable devant Allah. Le monde entier est suspendu à vos lèvres, car la nation islamique entière est déchirée, détruite, et court à sa perte. Nous sommes ceux qui la mènent à sa perte…. ».
Désolé, mais ce texte n’honore pas l’intelligentsia des pays musulmans. Des intellectuels qui se sont prononcés pour la réforme de l’islam, de ses textes et de ses pratiques, il y en a, mais ils ne font pas partie de ces quatre-là.
Jean-Pierre Lledo
[1] Le Point – le 10/02/2015 – http://www.lepoint.fr/societe/tribune-musulmans-democrates-de-tous-les-pays-unissons-nous-10-02-2015-1903863_23.php
[2] Vidéo du discours du Président égyptien Sissi du 28 décembre 2014 : http://www.memri.org/clip/en/0/0/0/0/0/0/4704.htm