Préservons notre cohésion nationale !

Ce n’est pas tant le contenu de notre identité nationale qui préoccupe les Français ; ils savent en effet très bien ce qu’« être Français » signifie, et ce que « nation française » signifie. Ce qui les angoisse au plus haut point, c’est le devenir de cette identité quand leur socle de valeurs fondamentales se trouve de plus en plus contesté. Un peuple peut-il continuer d’exister si ses fondations sont démantelées ? L’identité nationale est un sujet majeur pour notre pays.
Puisque Goethe nous enseigne que tout ce qui est sage a déjà été pensé et que l’important est d’y penser à nouveau, faisons appel à Ernest Renan pour éclairer notre réflexion sur cette question qui concerne la nation française. Ernest Renan a identifié un certain nombre de conditions essentielles pour continuer d’exister en tant que nation : la fusion des populations ; le nécessaire oubli des pages sombres de l’histoire ; la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; le désir de vivre ensemble ; la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ; le partage d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements ; le culte des ancêtres, de tous le plus légitime…
Quelle conduite avons-nous adoptée au long de ces trente dernières années, pour que chacune de ces conditions finisse par poser question ? Nous avons agi à l’exact inverse de ce qu’il convenait de faire pour préserver notre cohésion nationale. En prendre conscience nous permettra d’élaborer des politiques plus respectueuses de cette cohésion.

Au lieu de rassembler les citoyens autour d’un idéal commun qui puise sa source dans l’identité du peuple français, nous avons érigé le différentialisme au rang de politique publique et l’avons mis en œuvre en tous lieux, à commencer par l’école. Ainsi, l’école a cessé d’être un lieu privilégié d’intégration et d’adhésion au projet collectif. À un moment de notre histoire où il devenait indispensable de semer, au plus vite, les graines de l’unité en transmettant, à tous, les règles du bien-vivre ensemble de notre société, nous avons opté pour le culte de la différence. Or, les normes collectives ne sont que la traduction de la culture du peuple français. C’est pourquoi nous assistons désormais, impuissants, à un choc de normes.
Au lieu de veiller à l’indivisibilité du peuple français, nous avons glorifié l’avènement d’un peuple qui serait multiculturel, célébrant ainsi, sans même en mesurer les conséquences, l’avènement de plusieurs peuples sur un même territoire. Nous avons vu les « accommodements déraisonnables » gagner toujours plus de terrain, à l’école, dans l’entreprise, dans l’armée et dans tous les lieux qui avaient pourtant vocation à constituer des espaces de socialisation. Beaucoup, ignorant la réalité du bien-vivre ensemble de la société française, se sont alors présentés portant en bandoulière leurs propres revendications pour s’affranchir des règles (parfois tacites) de notre société. La satisfaction de ces demandes de contournement de nos règles entraînera leur prolifération jusqu’à ce que la cohabitation harmonieuse ne soit plus possible.
Au lieu de maintenir le cap de l’égalité républicaine et du respect du mérite (principes conquis dans la fureur de la révolution française), on a introduit, sans même en référer au peuple français, la prise en compte de l’ethnie et de la race pour accéder à des emplois et des formations.
C’est faire preuve d’une bien courte vue que d’instaurer un avantage concurrentiel à se rattacher psychologiquement et moralement à une communauté particulière, au moment même où il apparaît clairement que c’est justement ce réadossement à certains systèmes de valeurs que la communauté française ne reconnaît pas comme partie intégrante de son patrimoine culturel, qui empêche l’intégration et donc la fusion des populations. Si j’évoque la nécessité d’en référer aux Français, c’est parce que les difficultés rencontrées par l’État à défendre nos principes fondamentaux ont largement contribué à la crispation que nous observons actuellement. Nous avons là aussi, sans réfléchir aux conséquences, envoyé le signal que ces principes fondamentaux pouvaient être contournés, voire abandonnés. Comment s’étonner ensuite que la République soit sans cesse testée, et qu’il devienne ainsi de plus en plus difficile de se rassembler ?
S’il ne s’agit pas de nier l’existence de pages sombres de l’histoire, il est toutefois indispensable de comprendre qu’il nous faut nous concentrer sur l’avenir, si nous voulons construire un destin collectif. Or, qu’avons-nous laissé faire ? Nous avons laissé le passé se déverser tel un torrent de boue dans les espaces publics. Chaque page sombre a été instrumentalisée pour être érigée en mur de séparation. Ces manipulations de l’histoire n’avaient qu’un seul but : culpabiliser les Français, pour exiger ensuite la repentance de la France. Non seulement ces procès ont terriblement meurtri les français, qui se sont trouvés privés de droit de réponse, mais ils ont dans le même temps profondément marqué les enfants issus de l’immigration, dont un grand nombre sont désormais convaincus que la société française leur est hostile et les exclut. Cela a conduit une partie d’entre eux à refuser, de façon désormais ouvertement assumée, de s’intégrer au projet collectif.
Jean-François Copé a évoqué une « nation qui se fissure en silence ». La nation ne se fissure pas en silence. Elle se fissure à grand bruit, et ce bruit résonne déjà depuis de longues années. Alors, que faire pour permettre l’éclosion d’une conscience collective, prélude à l’émergence d’une volonté de destin partagé ? Que faire pour que la France redevienne la terre d’intégration qu’elle a cessé d’être ? Pour avoir une chance de réussir, nous devrons veiller en tout premier lieu à ce que le contrat moral et social qui lie les Français entre eux soit non seulement connu de tous, mais aussi respecté de tous. Il n’y a pas d’exemption possible. C’est la seule voie qui conduira à ce que les principes et valeurs de la société française – qui sont, faut-il le rappeler, des valeurs de tolérance et d’ouverture : Liberté-Égalité-Fraternité-Laïcité – soient peu à peu intériorisés par tous, et perçus par chacun comme l’héritage qu’on a reçu indivis, l’héritage que l’on transmet à sa propre descendance.
Il est d’autant plus important de rappeler cette obligation de respect des principes de notre société, que cela aidera de très nombreux enfants à se construire de façon à ne pas s’en exclure. Je pense notamment aux élèves qui, selon la sociologue Nicole Mosconi, rencontrent sur leur chemin des « conflits identificatoires » qui les amènent à échouer à l’école car « l’enfant qu’ils sont dans sa famille s’oppose à l’élève qu’ils doivent être à l’école ». Nous sommes ici bien loin d’un échec dont la responsabilité serait imputable à l’école ou à nos enseignants. C’est là que se trouve la clé de la difficulté d’intégration, et certainement pas dans la question économique ou sociale, qui n’est en vérité que la plus petite pièce du puzzle de l’intégration. Lionel Jospin a payé un lourd tribut à cette erreur d’appréciation. Avons-nous, depuis, tiré quelque enseignement de son échec ?
C’est dès l’école maternelle que nous devons venir en aide aux élèves qui rencontrent ces problèmes identificatoires, problèmes qui les conduisent à s’enfermer dans la spirale de l’échec puis de l’exclusion. Cela requiert une véritable intensification des moyens dans les premières classes (maternelle-CP-CE1), dont les effectifs doivent nécessairement être réduits. C’est dans ces classes que la plus grande attention doit être accordée à la transmission de la langue française et du référentiel culturel de notre société. Car c’est bien dans les premières classes que l’effet de levier est le plus important, et c’est donc là que les graines de l’ouverture à d’autres possibles doivent être semées afin d’en maximiser les chances de germination. Venir s’inquiéter du sort de ces élèves à leur entrée en 6ème dénote d’une grande ignorance de la réalité des difficultés auxquelles ils doivent faire face et des défis qu’ils sont, très jeunes, amenés à affronter. Au collège, c’est souvent trop tard. Leur personnalité, leur vision d’eux-mêmes, leur vision des autres sont en grande partie édifiées et parfois déjà figées.
Les évolutions apportées à partir de ce stade ne pourront être que dérisoires. La grande majorité ne sera en effet plus réceptive au pacte qui leur sera proposé. Ainsi, on comprendra aisément qu’il ne faut s’attendre à aucun miracle de la part du service civil, qui intervient à l’âge adulte. De même, la focalisation des moyens et de l’attention publique sur l’élite (classes préparatoires aux grandes écoles) est surréaliste. Si nous souhaitons vraiment apporter des solutions pérennes aux problèmes qui se posent à notre société, et qui menacent de faire volet en éclat notre cohésion nationale, c’est aux élèves les plus en difficulté que nous devons venir en aide. Gardons-nous donc des politiques élitistes qui ne sont en réalité que des miroirs aux alouettes.

L’examen de notre identité, qui est dans le même temps un examen de notre projet de société, est douloureux mais essentiel. Nous n’avons d’autre choix que de réussir à maintenir notre nation vivante en renouvelant notre volonté de vivre ensemble. Si nous avons la fortune d’avoir reçu la France en héritage, elle ne nous appartient pas ; elle appartient à nos enfants.
Je forme le vœu que ce débat sur notre identité soit sincère, et ne se révèle pas au contraire une simple mise en scène, prélude à exiger du peuple français qu’il prenne acte du fait que la France serait devenue plusieurs « Frances » ; que la France serait devenue porteuse de plusieurs socles de valeurs fondamentales qui concourraient à la définition du projet collectif. Si tel était le cas, il est fort à craindre que l’immense espoir suscité par ce débat, et dans lequel les Français se sont engagés avec grande passion, ne se transforme, tôt ou tard, en « raisins de la colère ». J’espère vivement que nos hommes et femmes politiques en ont pleine conscience.
Malika Sorel
Membre du Haut Conseil à l’Intégration et auteur du “Puzzle de l’intégration”
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