Dans certains milieux, il fut longtemps de bon aloi de présenter l’Espagne musulmane du Moyen-Age comme un paradis, dans lequel les cultures chrétienne, juive et musulmane vivaient en bonne entente sous l’autorité bienveillante d’un calife débonnaire.
Ce catéchisme, présenté comme vérité historique, avait l’avantage de faire croire que les joies du multiculturalisme étaient possibles, puisqu’ayant existé plusieurs siècles. De plus, il permettait de désamorcer les critiques qui présentaient l’islam tel qu’il a toujours été, intolérant à l’égard des non-musulmans que le coran présente comme impurs.
Faux, rétorquait-on à ces critiques, toutes ces manifestations islamiques intolérantes que vous évoquez ne sont pas le fruit du vrai islam. Car celui-ci fut mis en œuvre en Andalousie au Moyen-Age, et tous chrétiens, juifs et musulmans y vivaient en harmonie.
C’était une façon habile de dédouaner l’islam de ses responsabilités criminelles, tout en soulignant a contrario que les chrétiens de la même époque étaient particulièrement intolérants par leur maniement de l’inquisition.
L’autre dédouanement classique consistait et consiste toujours à nous pointer la fausse distinction entre islam et islamisme. Ou autre variante, l’islam, c’est le bien, mais le problème ce sont les musulmans incapables de mettre en œuvre le vrai islam.
Cela nous rappelle le coup équivalent qui consistait à nous dire qu’en URSS et dans les pays de l’Europe de l’Est, ce ne fut pas le vrai communisme, car le communisme c’est autre chose. On attend toujours d’ailleurs. D’ailleurs on attendra aussi éternellement pour observer le fonctionnement du « vrai » islam.
Donc l’invocation de ce paradis islamique andalou fut longtemps une aubaine destinée à mystifier les naïfs et les ignorants qui, faute de connaissances, ne faisaient qu’opiner. L’informé qui essayait de s’opposer à cette vulgate de faussaire était immédiatement suspecté d’être un méchant islamophobe.
Pour mieux amadouer les jeunes générations de Français aux joies futures du multiculturalisme, les pontifes de l’Education nationale avaient été jusqu’à intégrer dans le programme d’histoire de 2°, au début des années 2000, un chapitre sur les 3 civilisations (catholique, orthodoxe et musulmane) autour du bassin méditerranéen au XII° siècle, dans lequel afin de renforcer les horreurs des croisés forcément dépeints comme des barbares, on insistait sur la douceur d’Al-Andalus.
Le négationniste antisémite, défroqué communiste converti à l’islam, Roger Garaudy, avait complété le leurre, en fondant à Cordoue, le musée des Trois cultures, dans lequel des centaines de milliers de collégiens et de lycéens européens, en visite dans l’ancienne cité romaine, furent endoctrinés à la douceur de vivre en terre d’islam.

Or, bonne nouvelle, parallèlement à l’effondrement en cours de la thèse d’un islam tolérant, le mythe du paradis andalou vacille. Quoi de plus symbolique que ce soit celui qu’on présente comme une « conscience de gauche » qui fasse un mea culpa sur le sujet. Dans son dernier article, intitulé ni plus ni moins que « L’illusion andalouse », Jean Daniel confesse que la construction historique de certains de ses amis historiens, « savants transformés en militants » avait bien été « un mythe de fraternité ».
Jean Daniel « [crut] longtemps que “l’esprit de Cordoue” avait durablement régné en dépit des conflits » [entre juifs et musulmans]. Affirmant qu’il y eut « des plages de répit et des phases de bienveillance réciproque », il reconnaît a contrario que ce furent les exceptions. Enfin, poursuivant : « Mais c’est à cette époque au contraire que le concept de pureté musulmane (ou chrétienne) et de souillure par le sang juif est apparu. », le soi-disant Eden se révèle donc, ayant été un enfer où régnaient les ferments d’une pensée totalitaire.
Sincère dans son constat tardif de ce concept de pureté musulmane, Jean Daniel montre cependant sa méconnaissance de l’idéologie mahométane, puisque ce concept n’apparaît pas seulement à cette époque andalouse. Il est constitutif du coran, qui dissocie les purs fidèles à l’islam des impurs mécréants ou qui, par exemple, établit le mangeur de porc comme étant impur.
Bon, Jean Daniel a encore du travail pour comprendre l’islam en tant que religion. Il est vrai qu’il ne la réfléchit que comme civilisation, d’où ses errements. A son compte, il reconnaît dans le même article, suivant les auteurs d’un livre (“Histoire des relations entre juifs et musulmans”), que le sentiment antisémite dans l’islam « [est] né des différentes guerres que le prophète a menées », et que ce sentiment est en « recrudescence ».
Mais sans doute impressionné lui-même de son audace de décrire Mahomet comme un guerrier hostile aux juifs, ce qui pourrait le faire soupçonner d’islamophobie, il rajoute aussitôt comme pour minorer : « Mais il n’est jamais question chez nos auteurs d’un islam génétiquement hostile aux juifs. » Eh là, il ne faudrait pas essentialiser !
Donc en attendant une évolution de l’islam aux calendes grecques, les semblables de Jean Daniel préféreront se bercer d’illusions. Surtout que Jean Daniel avoue préférer prendre des libertés avec la vérité de l’Histoire. « […] Avec la seule vérité, on risque d’être tenté de se résigner. », dit-il, juste après avoir précisé que ce mythe andalou a été mis en place avec l’intention « de donner un fondement solide à une entente possible » entre les civilisations. Bigre, quel aveu ! On pourrait donc manipuler l’histoire pourvu que ce soit pour la bonne cause ? Laisse-t-il entendre que la résignation évoquée serait le conflit de civilisations, conséquence de l’hostilité islamique ?

Déformer l’histoire en inventant un paradis islamique andalou n’a pas permis de déformer l’islam et ses visées impérialistes. Pourtant Jean Daniel persévère dans l’erreur. S’il n’évoque plus un paradis andalou, il évoque maintenant un islam poétique.
A la fin de l’article, il est, en effet, étonné de constater que l’islam qu’il a connu chez certains de ses amis musulmans de sa jeunesse diffère de l’islamisation actuelle qui imprègne la vie quotidienne des fidèles. Il ne comprend pas que l’islam qu’il a vu auparavant comme « pacifique et poétique » relève de la foi du charbonnier de musulmans isolés de la pression d’imams, moins prégnants dans un contexte colonial ou nationaliste des années 30, 40 ou 50.
Jean Daniel ignorerait-il que l’islam a la prétention de gérer la totalité de la vie de l’individu mahométan ? Le contrôle de quelques rites quotidiens ne suffisant pas, l’alimentation, l’hygiène, la sexualité, par exemple, sont totalement sous contrôle. L’islamisation de la vie quotidienne ne devrait pourtant pas le surprendre, car c’est l’islam, tel que demandé dans le coran sous peine d’aller en enfer.
Ne pouvant plus pérenniser ce mythe andalou qui s’effrite devant les témoignages historiques, et n’en ayant même pas achevé le deuil, Jean Daniel ne peut s’empêcher de le substituer par un ersatz d’islam poétique. Le paradis contre la poésie. Dormez braves lecteurs, tout va bien dans le meilleur des mondes islamique. Incorrigible.
Jean Pavée