Qui agresse qui ?

Le 2 octobre, un procès haut en symbole va se dérouler au tribunal d’Epinal. Objet : le gîte des Vosges. Cette affaire a fait quelque bruit il y a un an. Fanny Truchelut, la propriétaire du gîte aurait refusé à deux femmes voilées l’accès à son gîte. Elle est poursuivie pour refus de la fourniture d’un bien ou service. Pour motif ethnique, racial et religieux. Ca, c’est la version officielle, orchestrée par les deux femmes voilées assistées de leur beau-frère, sympathisant de l’idéologie islamiste, et le média local L’Est Républicain.

Quels sont les faits ? Faisant leur choix par Internet, les deux femmes voilées ont contacté par téléphone la propriétaire du gîte. Elles ont beaucoup insisté pour louer le gîte, alors qu’il était en partie en réfection. Fanny Truchelut a fini par accepter. Elles ont envoyé des arrhes. Quand Fanny a vu arriver les deux femmes voilées, elle leur a demandé de ne pas arborer leur voile dans les parties communes de l’établissement, par respect pour les convictions d’autres occupants et pour les siennes. Colère des deux femmes qui exigent le chèque d’arrhes et s’en vont. Menaces du beau-frère au téléphone « Ca ne se passera pas comme ça ! ».

Comment en est-on donc arrivé, dans un pays laïc, à poursuivre, au motif de racisme et de discrimination religieuse, un acte qui, en refusant l’exhibition dans un lieu public d’un signe revendiqué comme religieux par celles qui l’arborent, témoigne au contraire du respect des convictions de chacun, ainsi que le stipule la loi de 1905 ? Qu’il y ait provocation de la part de l’accusation paraît probable. Ce n’est pas la première fois que les sympathisants de l’islamisme utilisent à leur profit les lois de la République pour défendre des signes ou comportements qui sont la négation des principes et conquêtes démocratiques. En l’occurrence le port du voile.

Ce n’est pas un signe religieux indiscutable – toutes les musulmanes ne portent pas le voile ! – pas plus qu’il n’est un signe révélant systématiquement l’appartenance à une race ou une ethnie – il est porté à travers le monde par des femmes appartenant à certaines races et ethnies, mais toutes les femmes de ces ethnies ne le portent pas ! La question soulevée par l’affaire des Vosges n’a donc rien à voir avec une discrimination raciste, ethnique ou religieuse.

Refuser que dans l’espace public un tel signe soit arboré n’est pas plus une atteinte à la liberté d’expression. Soyons précis. La liberté d’expression est une conquête de la presse, de la création littéraire et artistique dans les pays démocratiques. Aura-t-on oublié ce qu’est la démocratie moderne ? La démocratie est d’abord un régime qui tente d’instaurer l’égalité entre ses membres, femmes et hommes. Or le port du voile n’est pas un signe anodin. C’est un symbole. Celui de l’exclusion des femmes du champ public, de leur infériorité et de leur asservissement. La démocratie s’appuie sur la laïcité, qui instaure la séparation du politique et du religieux, condition de la paix civile et du respect de toutes les convictions. C’est bien parce que la laïcité n’a pas été respectée que nous en sommes venues à débattre du sens d’un signe, que certains veulent assimiler à une religion dans son entier. Où est la liberté d’expression dans les pays soumis à la « charia » – la loi religieuse ? Dans les interdictions imposées à la presse, aux créateurs, aux femmes ? Dans la police des mœurs, les lapidations, les châtiments corporels ? Avons nous des leçons de liberté d’expression à recevoir de gens qui pratiquent de telles horreurs ? Le port du voile, dans l’espace public est donc en contravention profonde avec les fondamentaux de la démocratie et le tolérer là revient à les bafouer.

Le voile est en fait le porte-drapeau de l’islamisme politique militant, dont la conception du droit des femmes et de la mixité est en contradiction totale avec la nôtre. Jusqu’à ces dernières années, personne n’avait jamais vu l’ombre d’un voile, d’une burqa, d’un chadri, d’un tchador ou de toute cette panoplie de tissus noirs ou de couleur, plus ou moins couvrants, toujours ostensibles, qui sont une façon de narguer le combat des femmes pour la liberté et l’égalité. Ce bout de chiffon est bien autre chose justement qu’un « simple morceau de tissu ». Pourquoi faire semblant de ne pas le voir ? Pourquoi, à la différence de la croix gammée ou de l’étoile jaune, feindre de ne pas savoir déchiffrer ce que nous dit l’histoire ? Des milliers de femmes sont mortes pour avoir refusé de porter ce signe, va-t-on rendre leur sacrifice inutile ? Aujourd’hui, de par le monde, des milliers de femmes sont contraintes de le porter, au risque d’être tuées. Et on voudrait nous faire croire que porter le voile « ce n’est pas grave » ?

Considérer, comme dans l’affaire des Vosges, que le refus de ce symbole dans les lieux publics constitue une atteinte à la religion ou la race, est le fruit d’une manipulation des lois républicaines au profit d’une idéologie qui en est la négation. La vraie question est : qui agresse qui ? Nous sommes des milliers de femmes et d’hommes dans ce pays à être viscéralement agressés par la vue de ce signe. Il nous jette à la figure le souvenir d’un long passé douloureux, en nous renvoyant à des temps pour nous heureusement révolus, ceux de l’oppression, il annule symboliquement les longs combats que nous avons menés pour en sortir, il est une véritable insulte à notre liberté, chèrement conquise.

Oui, le port du voile dans l’espace public est une atteinte à notre dignité de femme en voie de libération. Il relève du trouble à l’ordre public, dans la mesure où il bafoue symboliquement l’ordre républicain. Toute société humaine fonctionne sur des symboles. Y toucher conduit à mettre en péril ses bases mêmes. Où va nous mener une conception erronée de la tolérance face aux signes de l’intolérance érigée en système ? Il a fallu une loi sur les signes religieux à l’école pour en réaffirmer la neutralité. Il faudra poursuivre sur ce chemin afin de répondre à l’indignation muette de nos concitoyen(nes), atteints quotidiennement dans leur dignité par le spectacle de plus en plus courant de ces voiles. Et refuser leur prolifération. Mais, au nom d’une tolérance de façade, qui ne repose sur aucune analyse des injustices qu’elle recouvre, nous n’osons pas exprimer notre colère. Ce sentiment d’injustice refoulé nous perturbe gravement. Un jour il peut donner lieu à des réactions de violence et à la récupération, par d’autres, des conséquences de l’aveuglement de ceux qui ont le pouvoir d’agir.

L’exhibition du voile dans l’espace public constitue donc un trouble à l’ordre public, car il remet en cause les bases de cet ordre : le non affichage des convictions privées. Continuera-t-on hypocritement à considérer son rejet comme un acte antireligieux ou raciste, pour éviter de prendre ses responsabilités démocratiques ? Les prendre consiste à défendre l’espace qui nous est commun contre les incursions de l’obscurantisme.

L’affaire des Vosges pose clairement le problème. Fanny Truchelut a eu le courage de s’opposer à l’invasion sournoise d’un signe incompatible avec nos idéaux. Il faut la soutenir. Il y va de notre liberté d’expression et de l’avenir de notre démocratie.

Anne Zelensky et Annie Sugier

Samedi 8 septembre 2007, paru dans le numéro 2

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