Racisme et sexisme : deux poids et deux mesures

L’amalgame entre racisme et critique de l’islam est une menace pour la liberté d’expression. Mais c’est aussi une façon d’introduire une hiérarchie entre sexisme et racisme car l’une des critiques majeures à l’encontre de l’islam est la question du statut des femmes imposé dans tous les pays qui appliquent la charia.

Qui n’a pas constaté la coïncidence entre l’existence d’un statut inférieur pour les femmes , confirmé par les observatoires internationaux les plus impartiaux et les racines islamistes des systèmes juridiques en cause ? Ne faut-il pas arrêter de se raconter des contes de fées comme ceux que propageaient dans les années qui ont suivi l’indépendance algérienne, les dirigeantes de l’Union nationale des femmes algériennes citées par Wassyla Tamzali ( cf le livre « une éducation algérienne » ) :

« Elles voulaient me démontrer que le Coran avait été pendant treize siècles mal interprété par les musulmans de toutes les latitudes, vivant sous tous les climats, sous toutes les formes ».

D’où vient ce refus de s’indigner ? Est-ce parce qu’on ne voit pas ou parce qu’on voit mais qu’on n’est pas choqué ?

En fait la réponse est sans doute à chercher ailleurs. Certains intellectuels suivent la même voie que ceux qui les ont précédés au cours des années noires du communisme niant l’existence de goulags, des procès iniques, des meurtres par millions, de bains de sang dans lesquels plongeaient les révolutions culturelles. La priorité était de faire triompher le communisme international. Aujourd’hui, face au modèle matérialiste et marchand porté par les Etats-Unis, ces intellectuels ont le sentiment que seuls les islamistes, quel que soit leur extrémisme– ou grâce à cet extrémisme- sont en mesure de faire basculer le monde dans un autre modèle.

Que pèse face à cela la condition de millions de femmes à travers le monde ?

Des femmes islamistes prennent conscience de cette situation et pensent pouvoir modifier de l’intérieur leur statut. Elles organisent des congrès internationaux dont la presse se fait l’écho à intervalles réguliers et déclarent qu’elles veulent elles aussi avoir le droit de choisir leur vie tout en reconnaissant que « ce sera long » ! Elles se trompent comme se sont trompées les femmes algériennes. Accepter que la cause des femmes soit seconde par rapport à celle d’une soi-disant révolution idéalisée est toujours interprété par les oppresseurs comme un acte de soumission dont les opprimé(e)es ne se relèvent jamais.

Au-delà du débat sur la misogynie des religions en tête desquelles se place l’islam, il faut se poser la question de la difficulté dans laquelle nous nous trouvons de donner au sexisme sa véritable dimension d’atteinte aux droits des personnes. Au même titre que le racisme.

Pourquoi, lorsque la loi contre le racisme a été votée en 1972, un mot a été oublié parmi les différentes sources de discrimination , le mot » sexe », ainsi que le signalait dans une tribune du journal le Monde le professeur de droit, Jean-Jacques Delpeyroux. C’est à partir de ce constat que la Ligue du Droit des femmes, alors présidée par Simone de Beauvoir, lança une campagne pour compléter la loi, dénonçant exemples à l’appui les appels à la violence contre les femmes à travers les écrits, les images, les publicités,…

Pourquoi, lorsque Yvette Roudy, alors ministre du droit des femmes de Mitterrand , voulu faire passer ce projet de loi, s’est-elle heurtée à une levée de boucliers sans précédent de la presse, des communicants de tous poils et plus largement des intellectuels de gauche ou de droite qui hurlèrent à la censure des créateurs ! Courageusement le gouvernement s’inclina et ne donna pas suite au projet. La lutte contre le sexisme se limita au doit du travail. Il aura fallu attendre un terrible fait divers dont la victime était un homosexuel, pour que soit votée en une loi contre l’homophobie dans laquelle, presque en catimini, la ministre du doit des femmes de l’époque, Nicole Ameline, ajoute le mot « sexiste ».

Pourquoi, – prenons un fait d’actualité dont toute la presse s’est fait l’écho, la mort d’ « un génie américain », Norman Mailer – pourquoi verse-t-on des tonnes de fleurs sur celui que tout le monde appelle l’enfant terrible de la littérature américaine, parce qu’il détestait Busch et ses semblables, quitte à lui pardonner qu’il ait voulu poignarder l’une de ses femmes et qu’il ait été connu pour sa misogynie au point de s’être attiré les foudres des féministes américaines et notamment de Kate Millett.

Pourquoi, lorsque Cantat est libéré toute la presse se précipite-t-elle pour diffuser des images de sa sortie ? Le scandale n’est pas tant qu’il sorte, si telle est la loi, mais c’est cette quasi auréole que l’on commence construire autour de lui, sorte de poète maudit qui a tué celle qu’il aimait d’un amour passion, alors la mère de Marie, Nadine Trintignant, apparaît comme celle qui ne sait pas pardonner.

Soyons clairs, la notion de sexisme n’est toujours pas comprise. Notre société malgré les progrès accomplis continue à refuser de reconnaître que le sexisme est aussi grave que le racisme. Alors, quand il s’agit de limiter la liberté d’expression, on veut bien le faire pour des choses importantes, la lutte contre le racisme mais pas pour ce qui apparaît encore à beaucoup comme futile ou de l’ordre de la liberté individuelle.

Annie Sugier

Présidente de la Ligue du Droit international des Femmes

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