Recrudescence des condamnations pour blasphème en Égypte

Theodore-II-et-Al-SissiMalgré les nombreuses paroles et actes du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui lui ont valu tant de louanges de la part des pays chrétiens et des modérés, celui-ci donne très clairement satisfaction au projet des islamistes en autorisant la loi controversée sur la diffamation des religions, plus connue sous l’appellation de « loi contre le blasphème », visant Chrétiens et modérés, et de façons sans doute pires que sous le régime de Morsi et des Frères musulmans.

En février, trois adolescents chrétiens ont été emprisonnés pour cinq ans pour infraction à la loi sur la diffamation des religions. Un quatrième accusé âgé de quinze ans s’est vu infliger une peine de détention pour mineurs d’une durée indéterminée. (1) Ils furent incarcérés auparavant pendant quarante-cinq jours et soumis à des « mauvais traitements », comme l’a déclaré un groupe de défense des droits de l’homme.

Leur crime est d’avoir réalisé une vidéo de 20 secondes sur un téléphone mobile ridiculisant l’Etat islamique – acte qui fut interprété comme une moquerie de l’islam. Dans la vidéo, on voit les garçons riant et plaisantant en faisant semblant d’être des membres d’ISIS priant et égorgeant.

La Commission égyptienne pour les droits et les libertés, un groupe indépendant de défense des droits, a confirmé que les quatre adolescents jouaient des scènes « imitant les massacres perpétrés par des groupes terroristes ». Malgré tout selon l’avocat de la défense, Maher Naguib, les jeunes chrétiens « ont été condamnés pour outrage à l’islam et incitation à l’affrontement sectaire… Le juge n’a fait preuve d’aucune indulgence. Il a prononcé la peine maximale ».
Étant donné que même l’université égyptienne Al-Azhar – la plus prestigieuse du monde islamique – a refusé de dénoncer l’Etat islamique comme étant non-islamique, il n’est pas étonnant que la moquerie d’ISIS soit assimilée à celle de l’islam.

Les jeunes chrétiens ont fait la courte vidéo en janvier 2015 alors que trois d’entre eux étaient âgés de dix-sept ans et l’un de quinze ans. On pense que le tribunal a mis de côté le traitement de leur dossier jusqu’à ce que ceux qui avaient dix-sept ans atteignent leurs dix-huit ans, de sorte qu’ils pourraient se voir appliquer la peine entière réservée aux adultes. Leur professeur qui apparaît aussi dans la vidéo avait déjà été condamné à trois ans de prison.
Plusieurs autres chrétiens ont été poursuivis sous le mandat de Sissi pour insulte à l’islam et envers les musulmans. Un jeune chrétien a été condamné à six ans de prison pour avoir « liké » une page Facebook en arabe administrée par des musulmans convertis au christianisme. Une femme chrétienne et professeur a été emprisonnée pendant six mois après que ses parents musulmans l’ont accusée d’avoir insulté l’islam et pour volonté d’évangéliser. Selon son avocat, Bishoy Armia Boulous, musulman converti au christianisme, reste derrière les barreaux sur fausses accusations de blasphème.

Tandis que les minorités chrétiennes sont les plus susceptibles d’être visées par la loi sur le blasphème, les penseurs et les écrivains musulmans laïcs figurent aussi sur la liste noire. En janvier, l’écrivain musulman Fatima Naoot a été condamnée à trois ans de prison après avoir critiqué l’abattage sadique des animaux qui eut lieu pendant la fête islamique Eid al-Adha. Le mois précédent, l’animateur de télévision al-Behairy avait été condamné à un an de prison pour avoir remis en question la validité de certaines paroles (hadiths) attribuées au prophète musulman Mahomet.

Bien que la Constitution égyptienne interdise la « diffamation des religions », le pluriel indique qu’avec l’islam, le judaïsme et le christianisme sont protégés. En réalité cependant, la loi est presque exclusivement utilisée pour poursuivre les minorités chrétiennes et les musulmans laïques. Malgré le fait qu’il y ait beaucoup plus de musulmans que de chrétiens en Égypte, il est rare que les islamistes soient arrêtés et poursuivis pour diffamation du christianisme.

En cela l’Égypte devient davantage comme le Pakistan. Bien que le pays interdise aussi la diffamation des religions – ce qui techniquement inclut la chrétienté – seuls les Chrétiens et les musulmans modérés sont visés et emprisonnés. Certains comme Asia Bibi chrétienne de cinquante ans, mère de cinq enfants, sont condamnés à mort. A l’inverse, les musulmans qui diffament ouvertement le christianisme – et ils sont nombreux – sont régulièrement innocentés d’une façon ou d’une autre. Il y a quelques semaines, un musulman a fait irruption dans une église et a commencé à y brûler les Bibles. Bien que plusieurs chrétiens l’aient saisi et qu’ils l’aient remis à la police, il a déclaré qu’il était mentalement instable et ne pouvait donc pas passer en jugement. Dans une autre affaire, un commerçant musulman s’est mis à vendre des chaussures reproduisant la croix chrétienne sur les semelles. Les chrétiens l’ont prouvé, mais la police n’a rien fait.

Le 26 janvier, peu après la condamnation de l’écrivain Fatima Naoot, un autre musulman modéré de la télévision égyptienne, Ibrahim Eissa a vertement critiqué le gouvernement Sissi notamment en disant que « il y a eu plus de dossiers de blasphèmes et de condamnations à l’époque de Sissi que pendant l’ère Morsi ».

Il a poursuivi :
« Il n’y a pas de plus grande contradiction entre ce que l’Etat dit et revendique et la réalité sur le terrain… L’Etat égyptien est schizophrène parce qu’il dit ce qu’il ne fait pas… Il est incroyable et déconcertant de voir un état dont le président prône régulièrement la nécessité d’un discours religieux et du renouveau – et pourtant, pendant les 18-19 mois du mandat de Sissi, le pays a été témoin de plusieurs signalements, d’affaires et de condamnations d’écrivains au nom de la diffamation des religions que pendant une année de mandat du président des Frères musulmans… La révolution (Sissi) a laissé tomber la Fraternité mais a maintenu inchangée l’idéologie. »

En réalité, quelle que soit la motivation de Sissi, – qu’il soit un islamiste caché pacifiant les islamistes, ou qu’il ne contrôle pas tous les membres de son propre gouvernement – cette progression de cas de blasphème contre les chrétiens et les musulmans modérés indique finalement que Frères musulman ou pas, l’islamisme reste en Égypte un pouvoir d’absolutisme.

Raymond Ibrahim

The Gatestone Institute
6 avril 2016
http://www.meforum.org/5945/blasphemy-convictions-egypt

Traduction : Jenny

(1) Bien que reprise seulement maintenant par les médias de langue anglaise, cette histoire a été traduite ici en avril 2015, peu de temps après qu’aient éclaté les émeutes et les attaques contre les chrétiens lorsque les musulmans ont découvert la vidéo.