Réforme des retraites ou retrait de la réforme ? 

Les hommes grands ne sont pas forcément de grands hommes. Édouard Philippe, transfuge des Républicains promu Premier ministre, essaie d’exister, du moins dans le pré carré que lui laisse Jupiter. On vient de le voir avec la réforme des retraites où on lui a refilé la patate chaude, à charge d’expliquer aux Français le bien-fondé de la retraite selon Macron qui, pendant ce temps, jouait avec Poutine et le Président ukrainien, l’arbitre de l’ordre mondial.

Discours interminable ce jeudi 11 décembre, appliqué, verbeux, se noyant dans les détails, promettant tout à tout le monde (enseignants, personnel hospitalier, paysans, artisans, policiers, pompiers, militaires, femmes, étudiants…) sans expliquer de quelle façon pareilles promesses peuvent être financées. Un discours bien loin des problèmes économiques vécus par les Français moyens qui, douchés par les promesses successives, se montrent de plus en plus méfiants. D’autant que, pour Philippe, les mesures seraient irrévocables.

Jean-Paul Delevoye, ancien chiraquien convaincu, passé à la macronie, a été nommé haut-commissaire à la réforme des retraites. Depuis septembre, il a beaucoup échangé avec les partenaires sociaux : réunions, consultations citoyennes, contributions, débats, ateliers… le tout sans résultat. « Tout ça pour ça ! », déplore Frédéric Sève de la CFDT. Par contre, le Medef s’est félicité de l’initiative.

Encore une fois, la macronie gagne du temps mais c’est un calcul à court terme qui débouche sur une crise sociale et des grèves qui paralysent le pays et menacent son économie. Il ne lui reste plus maintenant qu’à jouer le pourrissement, en misant sur la lassitude des usagers pour achever de dresser une France contre l’autre. Pourtant l’exemple de Juppé (aujourd’hui macroniste, « le meilleur d’entre nous », disait Chirac) pourrait les inquiéter. Le fier-à-bras qui, en 1995, se vantait d’être « droit dans ses bottes », n’a-il-pas, face au blocage du pays, capitulé sans conditions ? Édouard Philippe ira-t-il, à son tour, à Canossa ?

Mais voilà que, tout à coup, le grand Delevoye est épinglé : en acceptant le poste de haut-commissaire, il avait tout bonnement « oublié » de déclarer qu’il était parallèlement administrateur à l’Ifpass (Institut de formation de la profession de l’assurance). Fâcheuse mémoire mais, à sa décharge, avançait-il, le poste était bénévole. Aux dernières nouvelles, il semblerait que ce bénévolat était rétribué. Et voilà qu’au fil des jours, on découvre que ce multicarte occupait d’autres postes d’administrateur dans divers secteurs, tous, bien entendu, bénévoles : 13 et non 3 comme annoncé initialement. Quel appétit pour le bénévolat alors que l’on pensait que les politiques ramonent rarement pour la suie. Mais le ministre, blanchi sous le harnais, honnête et compétent, disent ses pairs, obscurcit un peu plus le tableau quand il déclare qu’administrateur de l’Ifpass, il n’y allait « quasiment jamais ». Et, selon ses dires, il y faisait la promotion « de l’éducation par la culture, l’art et l’humanisme ». Le haut-commissaire n’aurait-il pas mieux fait de s’interroger sur de potentiels conflits d’intérêt entre la réforme qu’il pilotait et l’institut qu’il administrait, les assurances s’intéressant beaucoup aux retraites. Cela fait désordre…

Va-t-il démissionner, comme le bruit court, alors qu’Édouard Philippe l’a assuré de son entière confiance ? Il le devrait, ne serait-ce que pour obéir à la loi sur la moralisation que l’intègre Macron a fait voter après son élection. Le choix de monsieur Delevoye par le tandem Philippe-Macron est vraiment un coup de maître, tout comme celui de la période de Noël pour annoncer pareille mesure ! Mais cette « réforme historique », pour citer son géniteur, devait intervenir avant les élections municipales, E. Macron tenant à honorer ses promesses de campagne de 2017, pour convaincre l’électorat de sa fermeté ? Même s’il s’engageait alors à ne pas toucher à l’âge de la retraite, aujourd’hui reporté à 64 ans.

Au-delà de ces gesticulations, de nombreuses concertations avec les partenaires sociaux sans qu’ait été retenue, disent-ils, aucune de leurs propositions, le flou et l’amateurisme ont fini par inquiéter tout le monde. Sans doute le pouvoir a cru astucieux de mêler la réforme des régimes particuliers (à laquelle les Français sont favorables), aux autres mesures : système à points dont rien ne dit qu’il sera garanti, allongement de la durée du travail sans vraie consultation, calcul des retraites non plus sur les derniers mois d’activité mais sur une plus longue période.

Les Français craignent aussi que, derrière les beaux discours, on aille vers une capitalisation des retraites pour les plus riches et un appauvrissement pour les plus pauvres. Et qu’à terme, la fin des régimes spéciaux en engendrent de nouveaux, car il y aura toujours des métiers plus épuisants, plus dangereux, plus exposés que d’autres. Enfin les caisses privées, dont les réserves ne sont pas négligeables, ont flairé une manœuvre pour récupérer leur magot.

Pourquoi, d’ailleurs, ce gouvernement mondialiste s’insurgerait-il tout à coup contre l’inégalité des retraites en prônant un régime universel ? Tous les pouvoirs qui se sont succédé depuis des décennies ont dit œuvrer dans ce sens, mais ont vite jeté l’éponge.

Une stratégie qui a braqué la CFDT pourtant acquise à une partie de la réforme, et permis à la CGT de se refaire une santé et d’apparaître comme le fer de lance de la contestation, alors qu’elle défend surtout ses privilèges. La contestation est autrement plus large et concerne bien d’autres travailleurs pour la plupart non encartés, à l’image des Gilets jaunes qui se méfient des partis et des syndicats prêts à les récupérer. Avec peut-être l’idée que le blocage du pays par les syndicats de la SNCF et de la RATP entraînerait la lassitude de la population qui, jusqu’à présent, soutient le mouvement de contestation, plus d’ailleurs dans les secteurs hospitaliers, enseignants, pompiers, policiers… que dans les transports. Cette tactique du pourrissement a déjà été utilisée avec les Gilets jaunes.

Mais déjà, derrière sa mâle assurance, Philippe annonce que la suppression des régimes spéciaux n’opérera que dans un avenir lointain, les nouveaux entrants dans la profession étant seuls impactés. Martinez et ses séides, revenus sur les plateaux de télévision, clament à cor et à cri que la grève qu’ils mènent se fait dans l’intérêt général alors que ce sont les travailleurs qu’elle pénalise. La grève préventive de la CGT rail et de la RATP à donc réussi à repousser le couperet menaçant leurs privilèges. Mais pourquoi l’activité d’un conducteur de TGV, qui part à la retraite à 52 ans, est-elle plus épuisante que celle d’un camionneur ou d’un paysan qui travaille du matin au soir  et  touche une retraite misérable ? Il est d’ailleurs significatif que si les grévistes de la SNCF représentent 15 % des cheminots, ils sont 70 % chez les conducteurs, principaux bénéficiaires du système. Quant à Martinez, aujourd’hui ennemi de la Macronie, il devrait se souvenir qu’il a appelé à voter Macron au 2e tour des présidentielles, soi-disant pour sauver la République du « danger populiste »…

Prudentissime, Bayrou l’inoxydable sphinx de carton-pâte s’était dérobé. Sans doute valait-il mieux car le voilà à son tour rattrapé par l’affaire des emplois fictifs qui a décapité les fringantes Marielle de Sarnez et Sylvie Collard. Mais le Béarnais balaie l’affaire d’un revers de manche : « Tout le monde est mis en examen ou à peu près dans la vie politique » ! Comment s’étonner si, cornaquée par d’aussi vertueux élus, la France s’enfonce dans le ressentiment ?

Cerise sur le gâteau, Delevoye annonce que, pour rajeunir les populations du vieux continent et compenser le déficit démographique, l’Europe devrait accueillir 50 millions de migrants ?… Voudrait-il nous faire croire que, pour légitimer l’ouverture des frontières, ces nouveaux arrivants serviraient à payer la retraite de nos peuples vieillissants ?

Max Chaleil