Mercredi dernier, le journal Libération publiait un article d’un certain Régis Jauffret. Consacré à Marine Le Pen et intitulé « La fille du Bédouin », il commence d’emblée par cette grossière et insultante provocation :
Elle entre dans l’hôtel Saint-Aygulf (Var). Jeans, bottes à talons, plus sexy que son père. Si je n’étais pas féministe et partisan de la parité au Parlement, je me serais dit que c’est exactement le genre de fille qu’on a envie de sauter entre deux portes en espérant qu’elle vous demande de lui donner des baffes avant de jouir pour pouvoir se mettre un instant dans la peau d’un sans-papiers macho et irascible.
C’est l’occasion de nous interroger sur le profil de prestataires médiatiques qui, tel Régis Jauffret, se croyant forts d’une immunité journalistique ou artistique et au nom d’une union sacrée élitaire, se croient autorisés à jeter publiquement des monceaux d’ordures sur qui bon leur semble, dès lors où ils peuvent contribuer à salir Marine Le Pen, ses sympathisants et ses électeurs.
Régis Jauffret fait partie de ces écrivains de troisième catégorie qui se sont fait une petite place sur le marché éditorial au rayon libertaire. Comme la plupart de ses semblables, il croit dur comme fer à sa posture d’écrivain rebelle, à laquelle il confère le pouvoir de colmater sa paresse intellectuelle et d’authentifier son talent littéraire.
« Je ne respecte ni vivants, ni morts, ni la morale, surtout pas la morale… la littérature doit être voyou, hors la loi », déclame t-il devant les micros et caméras, comme s’il vivait en marge des pouvoirs et défiait courageusement leur censure. La posture est avantageuse mais en réalité grotesque et hypocrite. Car ça fait belle lurette que l’eau bénite et la morale à Papa sont passées sous les ponts. C’est en quoi le « libertaire » n’est plus cet anarcho-idéaliste prêt à en découdre, quoiqu’il lui en coûte, avec les pouvoirs et les conformistes. Les « libertaires » de l’espèce de Régis Jauffret sont des conformistes et des conservateurs du système, des courtisans de ses « gouvernances » ultra-libérales dont ils partagent les valeurs, celles sonnantes et trébuchantes du marché, de la finance mondialisée et de leurs relais médiatiques.
C’est en quoi le « libertaire » contemporain se garde bien de cracher sur les autorités en place (ou s’il le fait, c’est par excès d’arrogance et maladresse). Ce serait cracher dans la soupe et la gamelle d’or, à laquelle il tient tant, où il contemple son reflet. Surtout quand c’est une bande de copains et cousins qui la remplissent. La liste est longue en effet de ces pseudos-rebelles convertis à la pantoufle d’hermine : en politique, en pub, dans tous les directoires, les parlements, les tribunes et plateaux médiatiques. Dans les directoires éditoriaux, bien sûr… C’est là que s’alimente notre « libertaire » de service. Il a rudement besogné à tisser les copinages pour disposer du rond de serviette et de la gamelle dorée des abonnés du système. Ne vous moquez pas ! C’est un investissement à plein temps et au long cours de copiner avec les plumitifs du premier cercle, celui qui côtoie et tutoie les instances du pouvoir… C’est ainsi que Régis Jauffret peut aujourd’hui compter sur l’appui de BHL, le grand filousophe qui tutoie Sarkozy et lui dicte sa politique guerrière, sur le soutien de Philippe Sollers, éditeur chez Gallimard, expert sadien et contempteur de la « France moisie » (concept dont il est l’auteur) et sur celui de Virginie Despentes, Christine Angot, Philippe Djian, Frédéric Beigbeder, Michel Houellebecq, Yann Moix, autant de plumettes promues en tête de gondole grâce au reflet qu’elles offrent de l’air du temps, c’est-à-dire de la « sensibilité élitaire » contemporaine.
Toutes plumettes siégeant confortablement sur l’Olympe auprès des maîtres qui les nourrissent. C’est pourquoi les unes et les autres se mettent à trembler très fort quand surgit l’anachronique : une représentante politique d’un peuple voué à disparaître… au point qu’on le considérait déjà mort. Un peuple dont le réveil annonce les ennuis que redoutent toutes les aristocraties arrivées en fin de parcours, c’est-à-dire prises au rets de la réplétion et de la corruption : la perte de leurs privilèges, la menace d’un retour de bâton.
C’est l’occasion que saisit notre libertaire de service pour se mettre en valeur. Considérant être encore assuré de camper du côté du manche et donc de se produire en héros à peu de frais, il se lâche, se déboutonne, étale grossièrement ses fantasmes qu’il adresse comme un hommage servile à ses maîtres et un clin d’œil obscène à ses pairs. Mais corseté par l’obligation de la « belle-âme humanitaire », son désir ne réussit à s’exprimer que par le truchement d’un scénario, un jeu de miroir utilisé communément par la pornographie pour remédier à l’impuissance, c’est-à-dire à la panne du désir. Ce scénario consiste à déléguer à un autre la mise en œuvre du fantasme. Celui de Régis Jauffret révèle sa fascination pour le machisme archaïque importé par les sociétés traditionnelles, pour la domination masculine et la violence qui va de pair, c’est-à-dire la tentation de la barbarie. Triste aboutissement de l’épopée libertaire que cette pitoyable capitulation et criminelle régression…
Quoi d’étonnant à ce que nombre de « libertaires » soutiennent si complaisamment les revendications de l’islam sur notre territoire, telle cette pétition pour empêcher le débat sur l’islam et la laïcité où la signature de libertaires notoires – dont Régis Jauffret – s’associent à celle d’offensifs prosélytes de l’islam, notamment Tariq Ramadan…
Victor Hallidée