Ce qui va suivre, j’ai longtemps hésité à le révéler, par crainte de provoquer du grabuge, de contrarier la comédie des révoltés boutonneux en faisant tomber leur idole négative, à ces jeunes gauchistes révolutionnaires, pratiquant la révolution seulement les jours ouvrables et hors vacances d’hiver et d’été, où un certain nombre d’entre eux va porter la bonne parole anarcho-wokiste sur les pistes de ski et les plages de la Méditerranée.
Toutefois, je me suis dit que ce serait dommage de passer sous silence une pareille histoire, qui ne se déroule pas en Provence au milieu des moutons – pour ceux qui connaissent la triste chanson d’Hugues Aufray, « Le Petit Âne gris » –, mais à Paris, au milieu d’autres moutons accomplissant une transhumance syndicale de la place de la République à celle de la Nation.
Un jour de manif que, derrière la vitre d’un troquet parisien en fin de vie et tenu par des Auvergnats pékinois, j’étais en train d’observer avec une acuité particulière les mouvements environnants – c’est-à-dire que je glandais devant une binouze en attendant les copains –, vint à moi un homme portant de belles bacantes et sapé comme le commissaire Valentin dans Les Brigades du Tigre, inoubliable série de Victor Vicas. Sauf qu’il n’avait pas du tout l’allure du regretté Jean-Claude Bouillon interprétant le rôle dudit commissaire…
L’étrange bonhomme s’installa à deux tables de la mienne et ne cessa plus, dès lors, de me zyeuter. À force, je finis par m’interroger : « Un pervers qui me veut des choses pas convenables ? À mon âge et avec ma tronche de bagnard évadé de Toulon ? Ce s’rait plutôt flatteur, même si je confesse une nette préférence pour le sexe qu’on n’a plus ni le droit de dire faible ou beau. Bientôt, vous verrez, le porte-jarretelles sera interdit, comme les pamphlets de Céline ou un jambon-beurre à la mosquée de Paris ! »
Sortant de mes rêveries solitaires, alors que je ne me promenais même pas, je décidai d’interpeller l’importun :
– Dites-moi, j’ai un chtar sur le pif ou alors je vous rappelle votre grand-mère ?
– Pas du tout, même si j’aime beaucoup Pif mon bon monsieur, qu’il me répond comme ça, avec une voix mielleuse qu’on l’aurait cru sortie d’une ruche. C’est juste que je ne veux pas être reconnu. Alors je scrute furtivement. Parce que je suis quelqu’un, moi, voyez-vous. Pas un rien qu’on rencontre dans les gares. Pas besoin de traverser la rue pour turbiner. J’ai un emploi de choix, moi !
– Si vous ne voulez pas être reconnu, pourquoi que vous êtes déguisé comme ça ? Pourquoi que vous causez aussi fort que Jackie Sardou ? La discrétion ça commence par fermer sa cavité buccale, dis-je à l’intéressé.
– Voyez, très estimable monsieur, je veux me rendre compte jusqu’à quel point on me déteste. Je peux même vous l’avouer à vous qui me semblez un honnête homme, ça m’amuse beaucoup, tous ces gens qui veulent ma peau, à tel point qu’un jour je leur ai dit de venir me chercher s’ils l’osaient. Et vous savez quoi : ils ont osé, pendant que je m’enfuyais à l’autre bout du monde. Parce que je suis un lâche de la pire espèce, une blatte effrayée au moindre insecticide ! Cependant, et pour vous dire la vérité nue, de venir ici incognito ça m’excite l’entendement et le reste, moi qui n’ai pas souvent l’occasion de frétiller avec maman. Surtout depuis qu’elle m’a interdit d’aller chatouiller l’épiderme d’ébène des jeunes éphèbes des îles.
– Mais z’êtes qui, vous ?
– Qui suis-je ? Tout dépend de quel point de vue on se place, mon succulent monsieur. Pour Aurore, Prisca, Yaël et mes autres groupies, je suis un roi tartiné à l’huile de Reims, comme Clovis. Pour mes mécènes-marionnettistes, je suis un Pinocchio docile qui ment conformément à leurs lubies mondialistes. Pour d’autres, je suis une vilaine coquine. Mais pour la plupart je suis, paraît-il, une « tête de con ». Mieux, on me qualifie d’ordure. Ce qui est drôle, puisque c’est moi qui traite comme des ordures jetables ceux que j’appelle les foules haineuses !
– Et la plupart ce sont celles zé ceux que l’on voit en ce moment déambuler dans la rue, je me trompe ?
– Exactement, mon tendre monsieur. Vous en faites sûrement partie, n’est-ce pas ?
– Possible, tout en vous confessant à mon tour que je considère ce troupeau comme un cheptel de crétins bipolaires. V’là une bande de zèbres qui s’en va hurler contre un type qu’elle a élu en toute connaissance de cause. Un type qui laissera, comme d’habitude, sa milice secrète d’ultragauche tout casser aujourd’hui, en toute impunité, tandis qu’il a ordonné de crever les yeux de mes semblables pour moins que ça. Un type, encore, qui ouvre en grand les vannes de l’immigration pour inonder à présent les coins de France qui échappaient jusqu’alors à cette pandémie civilisationnelle qu’il faudrait, pour le coup, confiner ! Un type, pour finir, que si je le tenais entre mes pognes, je lui ferais des choses très grossières et très inavouables !
Constatant mon exaltation soudaine, l’inconnu aux bacantes se mit à soupirer comme un sanglier en plein coït. Il bavait, le bougre, me suppliant de poursuivre mes invectives, ce qui me coupa la chique tout net. Je me tins silencieux quelques longues minutes. Puis, mû par une intuition étrange, j’entrepris de ferrer mon lascar pour savoir s’il mordrait :
– « Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau !
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois », lui récitai-je avec inspiration.
Là, sans crier gare, l’inconnu se leva d’un bond et, arrachant sa moustache postiche, ôtant sa perruque, son chapeau et ses lunettes en fausse écaille de tortue, il apparut dans toute sa splendeur dégoûtante, sa magnificence crasseuse et cria, d’une voix de fausset si reconnaissable, les propos suivants :
– Eh bien oui, je suis le Phénix ! Et mieux que ça encore : Isis et Osiris ; Antoine et Cléopâtre ; Napoléon et Joséphine ; Tristan et Iseult, Roméo et Juliette ; César et Rosalie ; Laurel et Hardy ; Tintin et Milou ; Astérix et Obélix ; Mitterrand et Rocard ; Chirac et Juppé ; le bon roi Dagobert et sa culotte à l’envers, le fromage et le dessert !
Il écumait comme les vagues à la pointe du Raz ou un teckel enragé, ce qui est très rare. Il suintait, par tous les pores de sa peau visqueuse, une odeur pestilentielle de banquier avarié. Enfin, dans un élan d’extase, il sauta sur une table et entonna cette chanson fameuse de Dalida :
– « Laissez-moi danser laissez-moi
Laissez-moi danser chanter en liberté tout l’été
Laissez-moi danser laissez-moi
Aller jusqu’au bout du rêve ! », qu’il braillait, lui aussi très inspiré.
C’était Emmanuel Macron. Si, si, j’vous jure !
Une fois sa prestation achevée, sa garde prétorienne, appelée à la rescousse car on n’arrivait plus à le gérer, l’a ramené, tout fébrile, à la maison où, un jour prochain, nous irons le chercher…
JOYEUX POISSON D’AVRIL !
Charles Demassieux
Attends, atteeends-là … ! Étaient ce des bacantes du basque espagnol “bacare” (être libre, vacant), ou de Bacchus qui visiblement vous inspira ??? … Les 2 versions sont-elles contradictoires … ? … ?
Un régal comme on voudrait en déguster tous les jours ! Merci pour ce moment de franche hilarité, monsieur Demassieux !
J’ai adoré le “pervers qui me veut des choses pas convenables”, vous avez une plume qui m’a rappelé le regretté Frédéric Dard dans ses hilarants San Antonio !
Bravo Charles pour ce magnifique poisson d’avril.
Tu as su garder le mystère jusqu’au bout car rien dans ta description ne pouvait nous éclairer su l’identité du personnage…
Le plus jouissif étant la démoniaque habileté avec laquelle tu l’as habillé pour plusieurs hivers… sans en avoir l’air. Les délateurs ont du être fortement contrariés de ne pas trouver de quoi poursuivre. Et nous les patriotes bon teint, on a bien rigolé.
Un couple de sados-masos à l’Elysée. Lui : fouette -moi. Elle , non. Lui : ah, c’est bon, continue.
Bravo d’avoir enjolivé ce fatidique 1er avril avec un si joli poison
Traduit en bon Français, ça donne quoi ?
La nouvelle vient de tomber ce matin 11 heures, terrible : Emmanuel Macron vient de démissionner. Hommages à ce grand président, ce brave homme qui aimait tant son peuple, qui a tant fait pour ramener la paix sociale, qui a élevé le niveau de vie de ses compatriotes, qui a relevé notre pays. Gloire a lui! Nous garderons en mémoire l’image de ce grand homme, le meilleur président que la France ait eu jusqu’à ce jour. Merci, monsieur le Président, vous avez été notre boussole, notre lumière dans le noir, soyez bénis, vous et votre dame, une si gentille femme, une vraie sainte, belle comme une madone et si bonne. Adieu donc, mes sanglots vous accompagnent.
Ce soir je reprendrai deux fois des nouilles….
Merci Charles pour ce poisson d’avril.
Mais on a bien compris que le sieur Manu ne viendra jamais se mélanger à la plèbe crasseuse.
J’ai adoré!
Merci d’avoir illuminé cette journée pluvieuse par ce si joli et humoristique pamphlet
Brillantissime, exquis poisson d’avril très bien amené 🙂
Merci à tous pour vos messages. Et merci aussi à Louis-Ferdinand Céline et ses fabuleux “Entretiens avec le professeur Y”, qui m’ont bien inspiré pour ce petit poisson… 😉
Excellent monsieur Demassieux , comme d’hab !
Merci Charles pour ce moment vous avez réussi à me faire bien rire, moi qui comme beaucoup en ce moment à le moral en berne,
autre merci pour ce poisson d’avril (très important de garder nos traditions)
Merci, Charle, pour ce sympathique “poisson d’avril”, même si, dans la réalité, c’est un POISON, et pas seulement 1 jour d’année !!
Merci Charles pour vos mots et tournures d’esprit ,j’ai souvent espéré ,supposé pour le moins pouvoir vous croiser lors des manifs’ presque devenues quotidiennes dans notre Paris mourant mais j’ai depuis lors et bien avant en faite toujours eu un vrai goût de vous lire ..Puissiez continuer à nous décrire si joliment ,des choses réelles et des histoires d’Avril.
Magnifique,,,,
Ah y’a pas à dire, Charles, vous avez une bien jolie plume ! N’y voyez malice, je fais bien allusion à votre talent littéraire. L’on découvre ici que le lucide chroniqueur de son temps sait aussi taquiner le sarcasme drôlatique et jongler avec la coquecigrue maîtrisée ainsi que la balle l’est par le jongleur. Bravo jeune homme, cela m’a grand plu !
🙂 À moi aussi ! San Antonio mâtiné de Ronsard…