L’auteure rend ici un hommage appuyé à cet intellectuel et journaliste assassiné à Alger le 3 décembre 1994. Elle nous présente dans ce livre les entretiens qu’elle a eus avec Saïd Mekbel, un an à peine avant que des lâches assassins ne mettent fin à sa vie.
De nombreux intellectuels, opposés aux intégristes algériens et au régime en place ont été ainsi exécutés, souvent en pleine rue : ils avaient osé écrire, s’exprimer en refusant le règne de la terreur.
Ces hommes et ses femmes, comme Saïd Mekbel ont eu peur pendant des mois, voire même des années en restant lucides et d’un réel courage : « J’insiste : je pense que le grand problème est de se dire que le terrorisme veut terroriser. Si tu lui montres que tu cèdes à la terreur, c’est déjà une victoire… »
Cette attente d’une mort brutale quasi inévitable est présente dans tous ces entretiens.
Comme d’autres qui sont tombés sous des balles « anonymes » ou par arme blanche, le journaliste sait que son avenir est scellé dans le sang.
Il attend tout en continuant de penser en choisissant son « fonctionnement » : « Je m’arrange pour être en règle avec les gens et que, à la fin de la journée, je n’aie de contentieux avec personne, que je n’aie pas de dettes. C’est ça qui est dur. C’est d’accepter cette peau. »!
Opposant au régime algérien depuis le coup d’état du 19 juin 1965, Saïd Mekbel n’a rien écrit jusqu’en 1988, du moins n’a rien publié afin de poursuivre sa recherche, la physique….
De fait il a été interdit d’écrire parce qu’il refusait de mettre son talent au service d’une revue d’armée.
il a repris la plume pour ne pas la quitter…
Refusant toute alliance avec les islamistes, il a combattu le régime .
Les intégristes sont des assassins mais ils ne sont pas les seuls et le journaliste envisage l’avenir de son pays avec une lucidité surprenante : « tous les criminels vont se tendre la main pour signer la paix. »… Il annonce ainsi la loi d’amnistie en cours et la « règle » imposée qui interdit toute recherche de la vérité.
Monika Borgmann refuse cette loi du silence.
Ces entretiens émouvants nous apprennent beaucoup sur la réalité du régime, sur la terreur entretenue .
Aujourd’hui comme hier, il faut briser le mur du silence, combattre à la fois les régimes dictatoriaux et à la fois les intégristes, au pouvoir ou dans l’opposition.
J’espère que Mohamed Sifaoui ne partagera pas demain le même sort que Saïd Mekbel car de nos jours les islamistes n’hésitent pas à abattre leurs ennemis quel que soit le lieu de leur résidence.
L’espérance ne suffit pas, il nous faut nous mobiliser afin que le Ministère de l’intérieur fournisse une protection à Mohamed et que ceux qui le menacent soient dénoncés et poursuivis en justice.
Jean-François Chalot
« Saïd Mekbel :
UNE MORT A LA LETTRE »
Entretiens
de Monika Borgmann
Editions Téraèdre
Janvier 2008
139 pages
15 €