Sales Blancs ?
Personne nâest ni tout blanc ni tout noir, et la notion de race, nous dit-on, nâa pas de validité scientifique. Cela nâempêche pas la plupart des gens de considérer quâil y a des Blancs et des Noirs, en dépit de la diversité de couleurs et de types chez les uns comme chez les autres. Or, ces derniers temps, les Blancs sont plutôt mal vus, ravalés au rang de rebut de la Terre et de véritables vermines. Peut-être faudrait-il nuancer légèrement le propos.
Parlons des Blancs européens, ou dâorigine européenne comme les Américains â on le précise car les Arabes, par exemple, sont aussi des Blancs, bien quâils donnent parfois lâimpression de ne pas être au courant⦠Dans lâhistoire du monde, on conviendra que les Blancs ont joué un rôle dans les domaines de la pensée et des arts. Le premier rôle ? On ne se prononcera pas, certains feront valoir à juste titre les contributions de la Chine, de lâInde, de la Perse, et avant cela de lâÃgypte antique et de Sumer. Passons sur Platon, Pascal, Spinoza, Vermeer et J.-B. Bach, arrêtons-nous sur lâhistoire des réflexions concernant lâhomme et la conduite des hommes, câest-à -dire la politique.
La notion même de « personne », liée à celle de lââme individuelle, dâorigine judéo-chrétienne, a joué un rôle fondamental en Europe dans lâémancipation des hommes (et aussi des femmes, quoi quâon dise). Les idées de liberté, de justice sociale sinon dâégalité, et de solidarité en ont résulté. Et câest bien lâEurope qui a aboli lâesclavage, plaie universelle remontant à lâaube des temps.
La contribution la plus éclatante des Blancs européens à la condition humaine se situe toutefois dans les domaines des sciences et techniques et du savoir médical. Quelques inventions capitales pour aller vite : la machine à vapeur, le train, lâélectricité, la photo, le cinéma, lâaviation, la vaccination, la merveilleuse pénicilline – qui a notamment sauvé des dizaines de millions de tuberculeux â et les antibiotiques, la radio, la télévision, lâinformatique, la carte à puce, Internet⦠Quelques noms pour aller chercher dans lâhistoire le souvenir de héros du genre humain : Michael Faraday, Edward Jenner, Pasteur, Alexander Fleming, Thomas Edison, Alan Turing⦠Et deux ou trois Français bien placés dans cette course vers la lumière : Denis Papin (machine à vapeur), Niepce et Daguerre (photo), Pasteur, les frères Lumière, Clément Ader (aviation), Roland Moreno (carte à puce)â¦
Convenons sans acrimonie que les méchants Blancs européens ont quand même accompli quelques bonnes actions. Quelques mauvaises aussi, naturellement, la colonisation étant le reproche majeur qui leur est fait. Notons que les Arabes et les Turcs les ont précédés dans ce forfait, plus efficacement dâailleurs, car eux occupent toujours une bonne part des territoires conquis.
Il aurait mieux valu, peut-être, que la colonisation nâeût pas lieu, mais elle était sans doute inévitable pour deux raisons : la différence de puissance économique et militaire entre lâAfrique et lâEurope, et le besoin dâexpansion dâune Europe qui connaissait un développement prodigieux. Mais comme le rappelait récemment un auteur africain, la colonisation – 80 ans â nâest quâune parenthèse dans lâhistoire de lâAfrique.
Certes, des intérêts particuliers ont prospéré de manière outrancière voire criminelle dans les colonies, mais la France, par exemple, ne doit pas sa prospérité au pillage de lâAfrique, comme certains le disent. La France, comme les autres pays dâEurope, a dû sa prospérité â dâailleurs déclinante – à des siècles de labeur. Rappelons le sort des paysans, dont beaucoup, pendant des siècles, étaient des esclaves (des « serfs »), propriétés de leur seigneur.
Le « privilège blanc », qui leur est aujourdâhui reproché, fut aussi celui de se faire tuer par millions pendant deux guerres mondiales. Nâoublions pas non plus le sort terrible des ouvriers européens au XIXe siècle et dans la première moitié du suivant. Un sort qui, dans bien des cas, nâétait alors guère plus enviable que celui des peuples colonisées.
La colonisation, câest fini depuis soixante ans. Elle a laissé sur place des réalisations utiles, dont certaines fonctionnent encore. Elle a amélioré durablement lâétat sanitaire des populations et jeté les bases dâun système de santé, ainsi que dâun système dâenseignement. Mais on peut se demander si sa conséquence la plus importante nâest pas lâimmigration considérable et visiblement excessive que connaît lâEurope depuis bientôt un demi-siècle.
Je pense pour ma part, en conclusion, que la couleur de peau nâest pas si importante. Dâabord, je suis un être humain, ensuite jâai une appartenance culturelle et géographique, je suis un Français, un Malien ou un Polonais. Enfin, oui, je suis noir ou blanc, ce nâest pas sans importance, sans doute, mais câest quand même secondaire. Je me souviens de ce Français dâorigine africaine déclarant paisiblement : « Ãtre noir nâest pas une cause. »
Et être simplement « un être humain » ? Câest plutôt un devoir, je crois, et il y a du boulot.
Didier Blonay