Savez-vous ce qu'est vraiment le salafisme ?

Quand vous vous promenez dans les supermarchés de France, ou dans nos villes, vous avez certainement rencontré un homme barbu portant un calot blanc, une chemise longue (kamis)  (raccourcie de 10 à 15 cm, en signe d’humilité) et des savates, devançant une niqabée enceinte avec deux ou trois enfants accrochés à une poussette qui véhicule un tout petit … Oui, ça pourrait correspondre à une famille de « salaf ». Le salafisme cependant ne se résume pas à cette image caricaturale.

Le mot salaf est dérivé de la racine slf  سلف  qui signifie devancer. Les sullâf sont les prédécesseurs, les anciens. Le salaf (singulier collectif), les aslaf, les sullâf d’un individu sont ses ancêtres. Le salafisme est plus précisément une doctrine qui veut suivre la voie des « quatre califes bien guidés », des compagnons du prophète et des  premiers musulmans du 7e siècle, et qui prend modèle sur  leur parcours pour la vie quotidienne et pour toujours. Par la suite, ces modèles ont été étendus à ceux qui « ont brillé » dans la même trajectoire que les premiers compagnons, même si leur vie s’est déroulée au 12e, 13e ou 17e siècle … 

Si un musulman se dit salafiste, il faut comprendre qu’il se refuse à renier les Quatre Imams des écoles juridiques (1) mais qu’il suit en priorité l’école hanbalîte (l’école la plus rigoriste), qu’il n’est pas un déviant, qu’il n’est pas soufi, qu’il ne vénère pas les tombes. Sa vie doit être calquée sur celle des bons et pieux salaf  (al-salaf al-sâleh).

Des salafistes en assemblée en Égypte

Les salafistes suivent donc des voies idéologiques et juridiques définies tardivement : ils sont devenus les passeurs des interprétations littérales du Coran forgées au temps des Mamelouks (1250-1517) par Ibn Taymiyya (2) et son disciple ibn al-Kiyam al-Jawziyya  et plus tard par  Muhammad ibn abd al-Wahhâb (3), rénovateur de l’école hanbalîte. Pour les islamologues puristes, les salafistes sont  des khalaf (les suiveurs des successeurs) mais la réelle dénomination du salafisme est le wahhâbisme (du nom d’ibn abd al-Wahhâb). 

Les salafistes ne voient que par les yeux d’ibn abd al-Wahhâb et ses chantres. Ils se font remarquer par des actions violentes : ils brûlent des églises en Égypte, pénètrent dans les maisons pour rechercher les débauchés, agressent les non-voilées ou les violent en Occident (4), harcèlent et attaquent ceux qui ne respectent pas le jeune du ramadan…  C’est une copie conforme de la police des mœurs en Arabie Saoudite. 

Il n’est donc pas étonnant de voir le drapeau vert  de l’Arabie Saoudite brandi lors des manifestations et des rassemblements ou décorant des T-shirts de manifestants salafistes. L’argent saoudien est déversé sur ces groupes salafistes en Égypte, Tunisie, Libye, Syrie et même en Occident. 

L’école d’interprétation du salafisme a dépassé toutes les autres écoles en déclarant posséder la vérité absolue. Pour comprendre ce phénomène du salafisme et le comportement de ses adeptes, il faut revenir sur les lieux de son émergence. Ses racines géographiques sont bédouines et se situent entre Harran (sud-est de la Turquie) (5), lieu de naissance du père spirituel réel, ibn Taymiyya, et le  Najd (Arabie centrale) (6) pour ibn abd al-Wahhâb, le responsable de la mission. C’est cette nature désertique, sa sécheresse, la course constante aux points d’eau et aux pâturages,  l’éloignement de toute vie citadine qui ont rendu les habitants pleins de rudesse et d’acrimonie. Leur pensée, naïve et primitive, a exacerbé leur fougue religieuse. Tout ce qu’ils connaissent et acceptent est la vérité. Tout ce qu’ils ignorent est faux et doit disparaître par la force du glaive. Mais le glaive pour appliquer la charia ne connait pas le dialogue. A tel point que leur propre vision de l’islam qui comporte le maximum d’obscurantisme et d’étroitesse d’esprit les a conduits à considérer les autres musulmans comme des associants (7) et des renégats. Ils se considèrent comme les seuls garants de l’unicité divine.

Des salafistes pacifiques mais déterminés …

C’est ce type d’islam bédouin qui se propage dans les pays arabes et islamiques et gagne aussi l’Occident. C’est un style nouveau de colonialisme politique, idéologique et économique et là où ils se trouvent, les princes du pétrole diffusent la dépravation, le despotisme et la tyrannie alors que les « savants » en religion, qui tirent leur part de la manne pétrolière, répandent la haine, jettent l’anathème sur tous et approfondissent le fossé entre toutes les communautés. Tant que le pétrole coule dans les pipelines,  l’institution religieuse wahhâbite en tire bénéfice pour attiser le Jihad, à travers l’endoctrinement dans les écoles coraniques et même les universités par des dons généreux aux étudiants. La force de persuasion des canaux satellitaires et des sites internet participent à cet engouement. En 10 ans, les sites du jihad sont passés de 12 en 1998, à 2.630 en 2003 et à 6.940 en 2009 (8).

Quant à la pensée islamique, elle subit une détérioration et une atrophie depuis que la production salafo-wahhabite a envahi le marché du livre, des revues et des médias.  Les auteurs n’écrivent que sur la façon de tailler la barbe, la couleur et la forme des sandales etc… afin d’imiter les pieux salaf. Toutes les librairies exposent des livres du genre : Les horreurs du jour de la résurrection, Le tourment de la tombe, Les magiciens et les djinns, Dialogue avec un djinn musulman, Les bienfaits du cure-dent, Les modalités du raccourcissement de la tunique, Les modalités de la coupe des moustaches etc… Il n’est donc pas étonnant que, lors du dernier Salon du Livre à Alger (9), 150 ouvrages de cette nature ont été interdits. Mais ces ouvrages sont largement diffusés à Paris dans les librairies de Belleville, à des prix dérisoires. Leur attrait, ce sont les couleurs chatoyantes de la reliure  qui décorent bien les étagères …

Si le giron du salafisme est l’Arabie Saoudite, la famille régnante n’a pas de lien avec l’idéologie salafiste, ni sur la forme ni sur le fond, mais elle l’exploite au maximum car, pour elle, c’est un moyen pour pérenniser sa domination sur le royaume et les « lieux saints » de l’islam (qui sont aussi une manne financière). 

Les fatwas des « savants wahhabites » font florès en Arabie Saoudite, dans les États du Golfe, au Kuweit et en Égypte, jetant l’anathème sur tel ou tel savant religieux dont les vues ne cadrent pas avec leur idéologie. Les salafistes ont assassiné plusieurs personnalités en Égypte et tenté d’assassiner le prix Nobel Naguib Mahfouz. Ils ont perpétré des attaques contre des églises coptes et détruit des édifices publics. Un de leurs g
roupes, Fath al-Islam,  a provoqué un désastre au Liban plus meurtrier que des années de conflit israélo-palestinien. 

Centrons aussi notre attention sur trois châtiments prônés  par l’islam et que les wahhâbo-salafistes sont les premiers à appliquer. La lapidation pour la femme adultère est un châtiment (hadd) qui est au centre de la charia et son application est une des nécessités de la foi chez les musulmans. Elle est acceptée par 80% des égyptiens (10). L’amputation des mains pour le voleur est approuvée partout en pays d’islam par 70 à 80 % des fidèles. Enfin, en cas d’apostasie, le sang de l’apostat  est licite et c’est un devoir pour tout musulman de passer à l’acte sans avis juridique préalable (fatwa). Ce châtiment recueille 60 à 90 % d’approbation (11)

Main d’un voleur, après un jugement bien tranchant

En Occident et tout particulièrement en France, les salafistes se présentent comme les seuls à pratiquer l’islam, le vrai. Ils veillent au grain aidés par des mosquées et des imams qui cherchent par tous les moyens à « wahhâbiser » l’islam des banlieues qui ne sont plus les « banlieues de la République » (l’ont-elles jamais été ?) mais les banlieues de la Mecque. La frontière entre l’islam des salafistes,  l’islam des Frères Musulmans en costard cravate, au rigorisme proche des salafistes, et celui des fondamentalistes-jihadistes d’Al-Qaeda est tellement ténue que le point de bascule est vite franchi. Tout est question de timing pour faire régner la gouvernance d’Allah sur tous les peuples de la terre à travers l’Oumma et la charia.

Bernard Dick

(1) Les quatre écoles juridiques sont les écoles hanafite (Abou Hanîfa m.767), mâlikite (Mâlik ibn Anas m. 795), chafi’îte (Muhammad al-Chafi’î m. 820), hanbalîte (Ahmad Ibn Hanbal m. 855).

(2) Imam de l’école juridique hanbalîte, grand instigateur du jihad et de l’islam politique (1263-1328) (3) Muhammad ibn abd al-Wahhâb (1703-1782), surnommé al-Mudjaddid (le rénovateur) du hanbalisme est l’auteur du livre Kitâb al-Tawhîd (le Livre de l’Unicité). Son alliance avec Mohammad Ibn Saoud scella les fondements de l’Arabie Saoudite.

(4) http://ripostelaique.com/viols-commis-par-des -musulmans-silence-des-feministes.html

(5) Harran ou Carrhes, ville ancienne de Mésopotamie, au sud-est de la Turquie, proche de la frontière syrienne. Elle fut conquise et islamisée en 639.

(6) Najd : région du centre de l’Arabie Saoudite conquise sur les Ottomans, elle devient d’abord un émirat puis en 1932 une province du Royaume Saoudien

(7) Les associants sont eux qui adorent d’autres dieux qu’Allah. Les chrétiens, en raison de la Trinité, sont catalogués comme associants.

(8) http://www.politico.com/news/stories/1011/66401

(9) http://www.ahlalhdeeth.com/vb/showthread.php?t=188636 site arabe

(10) http://ripostelaique.com/a-lintention-du-musulman-pieux-le-chatiment-de-ladultere.html

(11) http://pewresearch.org/databank/dailynumber/?NumberID=1184