Seule issue réaliste à la crise financière, en finir avec le capitalisme !
On vit depuis plusieurs jours au rythme d’une catastrophe annoncée, une crise financière sans précédent depuis celle du « Jeudi noir » de Wall Street en 1929. Le gouvernement américain a spectaculairement fait savoir qu’il allait injecter 700 milliards de dollars dans le marché financier. “Ces mesures réclament que nous engagions un montant considérable de dollars du contribuable”, a concédé le président américain George W. Bush. Ceci étant, dès l’annonce de cette opération qui va chercher ses fonds dans les poches de ceux qui en ont le moins, toutes les places boursières sont reparties à la hausses, dont la bourse en France qui s’est envolée de 9,27 %, du jamais vue dans l’histoire de ce temple de l’argent-roi.
Une crise prévisible dont les fauteurs ne sont pas les payeurs
« Pleinement conscient de la gravité exceptionnelle de la crise actuelle, le Président américain vient d’annoncer un nouveau plan de préservation du système financier. Concrètement, le gouvernement demande au Congrès d’autoriser la création d’une structure ad hoc, permettant de racheter jusqu’à 700 milliards de dollars de créances douteuses appartenant aux établissements financiers. » Voilà comment on présente les solutions à la crise financière actuelle, sous les traits d’une prise de conscience du Président américain, dont on oublie au passage de rappeler les liens avec les milieux d’affaires du pétrole où il est, entre autres, très directement intéressé… Ce serait Candide découvrant le monde, un scénario de film comique si la situation n’était si grave, surtout pour les familles populaires qui n’ont pas fini d’espérer le bout du tunnel.
Ce week-end, les deux dernières banques d’affaires américaines indépendantes (Goldman Sachs et Morgan Stanley) ont décidé de renoncer à leur statut pour devenir de simples établissements bancaires, en échange de quoi, ces deux établissements pourront bénéficier des facilités offertes par la Réserve fédérale américaine.
Pourquoi reculer à profiter de la manne qui se prépare, on n’a pas d’amour propre dans ce milieu là où on se vendrait au diable pour quelques dollars de plus.
Première question de taille : qui va financer les 700 milliards de dollars prévus par le plan de préservation ? Le montant colossal évoqué, mais relativement abstrait, correspond en réalité au coût d’intervention de l’armée américaine en Irak, rien que ça ! Reste à examiner les détails de cette proposition. Ce que l’on sait, comme l’exprime du bout des lèvres les commentateurs, c’est que « le contribuable devra mettre la main à la poche », selon l’expression consacrée : plus de 3200 euros par américain !
Même le très social Obama est d’accord avec ce plan, comme quoi les illusions investies dans l’accès d’un américain noir à la Maison Blanche ne changeront rien à la logique libérale, les démocrates et les républicains n’ayant nullement pour projet de remettre en cause le système lui-même qui est littéralement pour eux béni des dieux : « God bless America !»
Un retour de l’Etat pour payer, pas pour faire valoir l’intérêt général
Avec cette intervention financière de l’Etat sans précédent aux Etats-Unis, ce dont il s’agit, c’est de nationaliser les pertes des banques américaines, autrement dit, une solution pour les débarrasser des actifs hautement risqués accumulés pendant la “bulle” immobilière et maintenant invendables, et en réalité, une gigantesque arnaque pour le contribuable. Le résultat d’un système qui impose aux familles américaines de vivre sur le crédit et n’hésitant pas, dans la crise des subprimes, à justifier de mettre des milliers et des milliers d’Américains à la rue sans alternative, 303.000 rien que pendant le mois d’août dernier.
Tout ça, parce que les banques font valser les taux du crédit à leur guise pour être à la hauteur des exigences de leurs actionnaires qui ont littéralement droit de vie et de mort sur des millions d’êtres humains, sans compter avec les patrons de celles-ci qui ont au passage et oui, ramassé comme on vient de l’apprendre quelques 95 milliards de dollars.
D’ailleurs, dans le plan du gouvernement américain, rien n’est prévu pour contrôler que les 700 milliards qui, avec ceux déjà injectés, feront 1000 milliards de dollars, ne tombent pas purement et simplement entre les mêmes mains pour le même usage. L’exemple d’Enron, un des autres scandales financier annonciateur de cette crise, n’a servi à rien. Les actionnaires et les patrons sont les « nouveaux dieux » que l’on nous sert au pied desquels il est question de déposer l’offrande, tout droit sortis du côté obscur contre lequel prétend œuvrer l’Amérique qui occupe ici l’axe du mal.
On entend ainsi faire intervenir l’Etat comme le pompier dans l’incendie, mais s’il ne s’agit que d’injecter des milliards dans un circuit sans en modifier les règles, cela ne peut qu’encourager à continuer ce système vicieux qui veut que ce soient toujours les mêmes qui « ramassent » et toujours les mêmes qui paient ». L’Etat américain n’entend ici en aucun cas montrer l’exemple en faisant valoir l’intérêt général à donner du cadre à tout cela. Ce sont bien les peuples auxquels on présentera la note, à ne pas en douter, comme en Argentine il y a peu, où l’addition d’une autre crise financière fut payée par les classes moyennes qui tiraient l’économie de leur pays, et qui se trouvèrent soudain ruinées, parce que le choix avait été fait de les immoler sur l’autel du libéralisme triomphant, pour préserver de vrais riches derrières leurs comptes en banque sécurisés et leurs villas inviolables.
Plus de pauvreté et de faim au Sud et plus de culpabilité au Nord
Un nouveau cri d’alarme a été lancé par la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation : la faim dans le monde s’aggrave. La faute à la hausse des prix de l’alimentaire. Selon les chiffres de la FAO, le nombre des personnes sous-alimentées a augmenté de 75 millions en 2007, au total 925 millions d’habitants de la planète ne mangent pas à leur faim. Il est un fait que les denrées alimentaires de première nécessité ont été livrées à la spéculation sans réserve, dans ce contexte libéral décomplexé, niant les besoins élémentaires des populations. Le pire, comme l’a souligné le directeur de la FAO Jacques Diouf, c’est qu’il suffirait, entre guillemets, de 30 milliards de dollars par an pour doubler la production alimentaire et éliminer le problème de la faim. Sans actions collectives de grande ampleur, il n’y a rien à attendre malheureusement de ce côté là.
Dans le traitement médiatique qui est fait de l’événement, on veut nous faire partager en direct la crise américaine pour mieux nous préparer à en payer les frais, car nous n’en serons évidemment pas, nous, européens, épargnés. On détourne l’attention autour de la question de savoir « ce que risque votre banque et donc vos économies », pour recentrer le problème sur une dimension individualiste qui renvoie chacun à une sorte de responsabilité personnelle dans cette situation, à être du côté des « pays riches ».
On a fait contraster les images de rangées d’écrans pleins de chiffres et de traders affolés avec celle d’une petite fille d’Afrique ou d’Haïti tenant une ardoise avec à la craie d’écrit : « nous voulons manger ». On détourne encore ici les images comme on sait le faire, télévision en tête, pour nuire à toute idée de rencontre entre les peuples se découvrant des intérêts communs, par cette culpabilisation orchestrée à coup d’idéologie pendant que courent les responsables anonymes de la situation, des affairistes pourtant bien connus. Il faudrait un jour rendre publique la liste des principaux actionnaires de ces banques et de leurs dirigeants afin que de cette notoriété ils se sentent freinés, parce qu’en risque de devoir un jour rendre individuellement compte de leurs actes à ceux de la rue.
L’occasion de porter des coups au modèle social français
La France vivrait au-dessus de ses moyens selon les propos tenus au 20 h de France 2 ce 22 septembre, ou comment on se sert de la crise financière pour commencer à justifier de s’en prendre à notre système de protection sociale, nos retraites, l’école, qui coûteraient trop cher. La dette française gonflerait de façon incontrôlable et il faudrait faire des économies dans une situation où on fait apparaître comme un privilège la protection sociale à travers l’Assurance maladie, système de soins pour tous, qui concerne 55 millions de personnes en France. Le meilleur système de protection au monde et le plus moderne pourtant pour l’OMS (L’organisation Mondiale pour la Santé).
Ce que l’on oublie encore et toujours de préciser, c’est que depuis le dernier budget de l’Etat en équilibre, celui de Raymond Barre sous VGE, on n’a cessé de multiplier les aides aux entreprises sous toutes les formes sans contrôle ou presque, en tout cas sans aucun contrôle des citoyens, en développant un déficit de l’Etat à coup de milliards, à la mesure des exonérations et des crédits d’impôts tombant dans un véritable tonneau des Danaïdes.
La Banque centrale européenne (BCE) vient d’injecter 70 milliards d’Euros dans le circuit financier mondial pour sauver l’économie américaine et pérenniser le système, mais on n’y a pas trouvé un euro en faveur du pouvoir d’achat des familles en France et en Europe.
Nicolas Sarkozy n’a pas de mot assez fort pour soutenir cette nationalisation, au moins partiel du système bancaire américain.
Pourtant, l’Etat, selon la thèse libérale, doit rester en dehors de toute intervention de régulation du marché, l’idée de nationalisation étant honnie par ceux qui nous gouvernent sauf quand elle sert à sauver les riches de devoir partager avec les autres en mutualisant leurs dettes. Une nationalisation temporaire qui ne durera que le temps que ces établissements bancaires redeviennent fructueux pour les affaires, le moment sera alors venu de les brader à nouveau au privé, comme on le fait en France depuis plusieurs décennies avec nos services publics, telle la poste en ce moment même.
Depuis le tournant de la rigueur de 1983-84, où un certain François Mitterrand s’était illustré en faisant faire marche arrière-toute du côté des nationalisations et du pouvoir d’achat après avoir promis d’en finir avec le capitalisme à la veille de sa victoire en 1981, la politique économique n’a variée en rien, de droite en gauche et de gauche en droite.
Ce sont bien les Services publics en France, avec l’Etat social et laïque qu’affirme une République issue, entre autres, du Front populaire et des acquis de mai 68, qui empêchent les déséquilibres que d’autres nations connaissent, jusqu’au point du géant américain prêt à rompre à être livré aux seuls intérêts financiers sans autre contrepartie. Là où il n’existe aucune limite au droit de faire de l’argent avec pour seule règle d’en gagner, on laisse les intérêts particuliers miner l’égalité et la liberté, la fraternité en sort ruinée.
Du retour de Marx à la laïcité économique en République
Lors d’une conférence de presse, le ministre américain M. Paulson a expliqué, à propos des 700 milliards en cause, qu’”Il faut que cela soit suffisamment gros pour faire une vraie différence et aller au coeur du problème”. En fait de cœur du problème, il n’est pas difficile de voir que l’essentiel est ailleurs. C’est bien de la privatisation des moyens de production et d’échange dont découle indéniablement cette situation d’exploitation inouïe qui débouche sur cette crise colossale, comme la pensée de Marx nous invite à l’analyser. La contradiction entre cette accumulation de capital à un bout de la société et l’expropriation des peuples de l’économie de leurs nations de l’autre, crée toutes les conditions d’une catastrophe humaine planétaire comparable aux effets d’une guerre mondiale.
Les richesses appropriées par quelques-uns sont détournées de leur fonction de développement de la société à quoi devrait être investie toute plus-value. L’accumulation privée des richesses est tournée contre la société en pesant sur elle afin de faire monter les prix de tout ce qui s’achète et s’échange, la note finale de cette spéculation étant présentée au citoyen lambda qui paie ses impôts et n’a aucune idée d’un quelconque bouclier fiscal.
On voit combien ici, la seule laïcité politique et sociale qui constitue l’épine dorsale de notre République ne suffit pas, car, tant que le système économique échappera à un minimum de règles contraignantes correspondants aux conditions d’assurer la sauvegarde des garanties collectives, il n’y aura point de salut. Comme le sociologue Emile Durkheim le démontrait, il n’y a pas de liberté sans contraintes, c’est-à-dire que la liberté de chacun est une part d’un bien commun dont tout le corps civique a la responsabilité.
La liberté passe aujourd’hui par un changement radical dans l’économie, le fait qu’elle adopte un point de vue qui est celui de l’intérêt général porté au-dessus des intérêts particuliers. De la mondialisation à la construction européenne qui en est la fille légitime, tout est fait pour éteindre l’expression des peuples qui devraient être les seuls à pouvoir décider du destin de l’économie qui est déposé entre les mains d’un système et d’individus égoïstes et immoraux qui n’a rien à voir avec le potentiel de l’homme, son intelligence, sa générosité, ses possibles !
Les appels à Dieu de Nicolas Sarkozy pour porter l’espérance révèlent toute leur supercherie à travers ce qui éclate ici au grand jour, la religion comme opium des peuples, un leurre pour étouffer leur colère en la détournant de la révolte. Si l’échec du communisme en ex-URSS s’est fait sous l’effet d’une implosion propre à une faillite économique qui avait oublié l’individu et la démocratie, le libéralisme risque de connaître les mêmes affres mais en retirant de plus en plus la possibilité pour les peuples de faire entendre leur voix : ils devraient payer et se taire ! Si l’ordre injuste ne cède jamais sans révolution, faut-il encore qu’une alternative puisse se faire jour. Elle réside sans doute dans cette pensée de l’économiste Jaques Gouverneur (Découvrir l’économie, Jaques Gouverneur, Editions Sociales, 1998) paraphrasant la pensée de Marx : « La séparation continuelle entre les travailleurs et les moyens de production assure une reproduction spontanée du salariat et du capitalisme. (…) Encore faut-il que cette inégalité fondamentale ne soit pas remise en cause par les travailleurs. »
Le principe de laïcité devrait être en tout domaine respecté, portant l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers, le droit du nombre prévalant sur la minorité des plus forts parce que riches. Le grand projet politique de ce début de troisième millénaire se trouve sans doute dans l’extension des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité de notre République à l’économie, entre répartition et maîtrise démocratiques des richesses.
Guylain Chevrier
Historien