Soutenir la Russie mais ne pas s’y soumettre
Imaginez que la terre où reposent vos aïeux soit aux mains d’un pays étranger, dont les chars d’assaut pavanent avec à leur bord des soldats aux bottes boueuses, braillant des chansons de mauvais goût et empestant l’eau de vie. Puis, imaginez que vous devez malgré tout soutenir cette puissance étrangère car elle est la moins pire de toutes les alternatives… Cornélien n’est-ce pas?
Je me flatte d’être Français, de parler la langue des poètes et des conquérants. Les origines de ma famille se perdent dans les montagnes du Caucase, dans un petit pays nommé Géorgie, là où débarqua Jason avec ses Argonautes… Ce petit pays, longtemps aux mains des tsars russes, puis de leurs héritiers soviétiques, eut beaucoup à souffrir de ses occupants. Pensant recouvrer son indépendance en 1990, il n’était pas au bout de ses peines, le grand frère du nord ne voulant lâcher sa proie. C’est ainsi que la petite contrée dut affronter à maintes reprises ce géant glacial: la guerre de 2008 en est un exemple tragique. Lors de cette guerre – stoppée grâce aux efforts de Nicolas Sarkozy, ce que je lui tiens pour un des rares mérites – la Géorgie perdit des pans entiers de son territoire déjà minuscule.
Malgré cela, j’ai toujours soutenu la Russie (sauf lors de cette maudite guerre d’août 2008, évidemment). Car, quelle autre alternative s’offre à nous? L’impérialisme islamique de Daesh et des pétromonarchies, l’impérialisme américain et son délire consumériste, le progressisme et son sombre cortège de féministes dénudées et d’hommes châtrés… Entre l’épée du moujahid et la barbe de Conchita, le froid sibérien me parait être le moins pire des choix.
Il y a deux visions de la Russie: d’un coté le pays des catins et des ivrognes, gangréné par la corruption et le banditisme, une dictature sanguinaire où les faits et gestes du peuple sont épiés “jusque dans les chiottes”… De l’autre coté, l’image d’un pays traditionnel, fier de ses racines et sûr de son avenir, un pays de grandeur et de foi, une terre où la discipline et l’esprit de communauté prévalent…
Ces deux images se confortent et s’annulent mutuellement. Oui, la mafia russe est présente jusque dans les instances gouvernementales; oui, certaines filles s’adonnent à la prostitution pour nourrir leurs enfants; oui, des paysans désœuvrés, nostalgiques de l’URSS, noient leur chagrin dans la vodka. Mais, la Russie n’en demeure pas moins un pays à la culture foisonnante, à l’esprit fébrile. Le peuple russe est profondément patriote, et – contrairement à nous – ne se laisserait pas soumettre. L’amour de sa terre et le respect de sa tradition sont inculqués dès le berceau à l’enfant russe, qui les concrétise ensuite en priant à l’église, en apprenant l’histoire à l’école, puis en servant dans l’armée, fût-ce dans le cadre de guerres annexionnistes.
En comparant cela à la haine de soi que véhicule l’Occident décadent, et à la barbarie prêchée par les islamistes, on ne peut s’empêcher de souhaiter longue vie à la Russie et à ceux qui la dirigent. Il n’est pas question d’oublier l’impérialisme des Russes, et de troquer l’américanisation pour la russification. La France ne doit être ni aux ordres de l’oncle Sam, ni à ceux de l’oncle Vladimir. La France n’a pas vocation à être un pays de seconde zone, mais à être le porte-étendard d’un juste équilibre entre les peuples, surtout face à des empires aussi ambitieux et bellicistes que la Russie et les USA.
Nicolas Kirkitadze