Sur le sentier de la guerre…

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À l’heure du numérique et des séries télévisées, les jeunes générations n’ont plus les mêmes héros que les ados du baby-boom.

Buffalo Bill, Kit Carson ou Davy Crockett ont cédé la place à Superman, Aquaman ou Wonder Girl. La console de jeux a remplacé les petits illustrés qui nous apportaient chaque semaine leur lot  de rêve et d’aventure, quand crépitaient les Colts et les Winchesters  face aux Sioux, Comanches et autres  Apaches, ces “sauvages” en mal de scalps.

Il y a bien longtemps que dans les cours de récréation on ne joue plus aux cow-boys et aux Indiens. On préfère pianoter inlassablement son écran…

Et Hollywood, grand pourvoyeur de westerns pendant des décennies, a changé de registre. La Guerre des étoiles et le fantastique ont définitivement détrôné la Conquête de l’Ouest, avec ses shérifs justiciers, ses méchants hors-la-loi, ses pionniers téméraires et ses cruels Indiens, sans oublier la cavalerie salvatrice des Tuniques bleues, arrivant toujours au moment le plus désespéré.

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Les quelques westerns qui sortent encore des studios, comme “Danse avec les loups”, réhabilitent  l’image des Indiens, devenus les grandes victimes de la colonisation de l’Amérique par les Européens.

Une image à des années-lumière du portrait qu’en faisait  le général Sheridan : “Le seul bon Indien est un Indien mort”.

La grande époque des guerres indiennes s’étend sur un siècle, depuis la naissance des États-Unis, en 1776, jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Évidemment, avant l’indépendance, les Anglais avaient déjà connu des affrontements avec  les tribus de l’Est, Pequots, Delawares, Cherokees ou Creeks. Ces tribus avaient été repoussées vers l’Ouest, au-delà des Appalaches puis du Mississippi.

Mais c’est avec la Conquête de l’Ouest que les guerres indiennes vont connaître leur apogée, face aux tribus des plaines, Sioux, Comanches, Cheyennes, Kiowas, Crows et autres Nez-percés.

Rappelons que Napoléon, intéressé par la seule “Europe civilisée”,  a vendu la Louisiane aux État-Unis en 1803. Mais la Louisiane de l’époque représente 13 États actuels, au centre du pays.

Vente de la Louisiane — Wikipédia

C’est dans cette vaste contrée que vivent les Indiens des plaines.

Vivant de la chasse, de la pêche et de la cueillette, ces tribus se font la guerre depuis les temps immémoriaux. Ayant découvert le cheval avec les Espagnols au XVIIe siècle, les Indiens sont devenus très mobiles, chassent le bison qui fournit l’essentiel de leurs besoins. Viande, peau, os, tout sert  dans le bison, indispensable à la survie des tribus des plaines.

Mais avec l’arrivée des colons, le choc culturel va être terrible.

De 4 millions en 1790, la population des colons passe à 31 millions en 1860. Pour ces Européens misérables, ce sont toutes les terres à l’Ouest du Mississippi  qui sont à prendre.

Au fil des ans, les Indiens vont à la fois commercer avec les Blancs, échangeant  fourrures contre armes à feu et alcool, et résister à l’invasion.

Le bilan démographique va être catastrophique pour les tribus.

À la fin du XVe siècle, quand Christophe Colomb découvre l’Amérique, on estime qu’il y avait en Amérique du Nord environ 5 millions d’Indiens. Et le recensement de 1890, à la fin des guerres indiennes, donne 250 000 Indiens survivants.

Aujourd’hui, les Indiens représentent  1 % de la population, soit 3 millions d’habitants.

Bien des légendes et des récits épiques vont accompagner la Conquête de l’Ouest et  nourrir l’imaginaire collectif.

Mais entre le “calumet de la paix” et le “sentier de la guerre”, la frontière est souvent très mince. Et pour certains, l’aventure vers l’Ouest se termine “scalpé” ou attaché au “poteau de torture”…

Au mythe de Pocahontas, cette princesse indienne qui sauve un colon anglais de la mort, au début du XVIIe siècle, vont succéder les massacres de part et d’autre, au cours des  deux siècles suivants.

Entre les Blancs et les “hommes rouges”, tout va s’aggraver. Aux promesses de coexistence pacifique, vont répondre les affrontement sanglants.

D’abord chassés de leurs terres à l’Est du Mississippi et déportés vers l’Ouest, les Indiens vont connaître un véritable tsunami migratoire dès la fin de la guerre de sécession en 1865.

Le chemin de fer, que les Indiens appellent le “Cheval de feu”, accélère la poussée vers l’Ouest.

En 1860, les États-Unis comptent 48 000 kilomètres de voies ferrées. En 1900, ils en ont 320 000.

Le gouvernement accorde 64 ha à tout citoyen qui s’installe le long de la voie ferrée dans les grandes plaines. Chercheurs d’or, éleveurs, fermiers, aventuriers, chasseurs de bisons affluent.

On fait cracher les Colts pour régler les différends. La loi ? C’est celle du plus fort, car shérifs et marshals sont encore en nombre insuffisant, alors que les “outlaws” pullulent.

L’Ouest, ce jardin d’Éden vanté par les brochures publicitaires, n’a rien d’un paradis. La violence est partout.

Et la menace des Indiens qui refusent la soumission est omniprésente.

Abandonnant arcs et flèches, ils ont acquis des carabines grâce aux marchands d’armes venus de l’Est, rendant les attaques plus meurtrières.

Si les tribus continuent de s’entretuer, elles s’allient parfois contre les Blancs. Car les traités de paix sont régulièrement violés, tant la convoitise des colons sur les terres fertiles et les mines d’or et d’argent n’a plus de limite. Les Indiens, expulsés de leurs réserves, ne croient plus ces “visages pâles à la langue fourchue”.

De plus, le massacre des bisons, animal vital pour les tribus des plaines, devient un sport favori. On les tire depuis la fenêtre des wagons de train. Il y en a des millions. Des chasseurs de bisons, comme le célèbre Buffalo Bill, en massacrent à profusion pour alimenter les personnels des chemins de fer et en faire le commerce des peaux.

Mais pour l’armée, priver les Indiens de leur ressource vitale est aussi un objectif essentiel.

On estime qu’entre l’arrivée des colons et la fin des guerres indiennes, en 1890, la population des bisons est passée de 70 millions de têtes à 1 million !

buffalo hunters | Buffalo bones gathered from the Prairies. BAC ...

L’armée, peu nombreuse, ne peut assurer partout la sécurité des colons. Aux attaques de convois de pionniers succèdent les représailles de l’armée. Les colons isolés et leurs famille sont massacrés. Durant toute la conquête, les carnages vont succéder aux massacres.

De grands chefs indiens entreront dans l’Histoire, comme Sitting Bull, Red Cloud, Crazy Horse, Geronimo, Cochise, tous des héros de la résistance à l’envahisseur.

Les batailles entre Indiens et Tuniques bleues vont se succéder : Birch Coulee (1862) – Apache Pass (1862) – Sand Creek (1864) – Adobe Falls (1864) – Fetterman (1866) – Wagon Box (1867) – Beecher’s  Island (1868 ) – Washita River (1868) – Little Big Horn (1876) – Rosebud (1876) – Big Hole (1877) – Bear Paw (1877) – Wounded Knee (1890).

La plus grande victoire indienne fut celle de “Little Big Horn” en 1876, quand le chef sioux Sitting Bull parvint à rassembler les tribus rivales face au 7e régiment  de cavalerie du général Custer. Il n’y eut aucun survivant parmi les Tuniques bleues.

Mais la lutte est inégale et l’armée toujours plus puissante et mieux armée, notamment avec les terribles mitrailleuses Gatling.

L’ultime défaite indienne sera celle des Lakotas à Wounded Knee en 1890.

La fabuleuse épopée de la Conquête de l’Ouest s’achève avec la fin des guerres indiennes.

Tribus et bisons sont décimés. Maladies, sous-alimentation et alcool ravagent les réserves.

Au cours de cette page d’Histoire qui fait la fierté du peuple américain, les Indiens ont totalement disparu. La plus grande démocratie du monde s’est construite sur un génocide, lequel n’a jamais ému les foules.

Et des valeureux guerriers à cheval, chassant le bison à l’arc ou affrontant les Tuniques bleues, il ne reste que les images que nous offre la magie du cinéma.

Le bilan

Si la guerre de Sécession a fait 630 000 morts dans les rangs américains, les guerres indiennes ont été relativement peu coûteuses en vies humaines.

On estime qu’au cours  de la quarantaine de guerres livrées entre 1783 et 1890, 30 000 Indiens sont morts, pour environ 1 000 Tuniques bleues tués.

Les Indiens ont davantage été décimés par les maladies, les famines et l’alcool que par les combats.

Quant aux 3 millions d’Indiens qui survivent dans les réserves, leur situation n’a rien d’enviable. Ils forment la minorité la plus démunie du pays.

Alcoolisme, délinquance, drogue et chômage font des ravages et l’assistanat est souvent la seule issue.

Mais certaines réserves s’en sortent mieux que d’autres, avec l’exploitation de ressources minières ou de casinos, largement interdits aux États-Unis ailleurs qu’à Las Vegas.

Chaque tribu transmet son histoire orale et cultive ses traditions. Et le regard que porte le peuple américain sur ces premier habitants du continent a changé.

De plus en plus d’Américains ont compris que les nations indiennes font partie intégrante de leur patrimoine culturel et que leurs racines ne sont pas uniquement européennes.

Mais quels que soient les remords ou la soif de repentance, on ne refait pas l’Histoire…

( sources : Le Figaro Histoire août-septembre 2020 )

Jacques Guillemain