Carmen, réinterprétée à la sauce féministe par des crétins

A Florence, au Teatro del maggio, a été donnée une représentation du Carmen de Bizet où il a été décidé, comme ça, sans demander l’avis de l’auteur, que ce n’était pas Don José qui tuerait Carmen, mais l’implacable Carmen qui achèverait Don José. Pour contrer l’image dévaluée de la femme victime, c’est dans le vent. Carmen transformée en Calamity Jane, l’idée aurait certainement amusé Bizet, et plus encore, Mérimée…

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Quelle tartufferie… Qui a commandité ou accepté cette version ? Quel est l’âne bâté qui a osé lui donner corps ? C’est le metteur en scène, Léo Muscato, qui donne la raison profonde de cette idée géniale : « À notre époque, marquée par le fléau des violences faites aux femmes, il est inconcevable qu’on applaudisse le meurtre de l’une d’elles. » Un engagement courageux donc.

Carmen est une femme hautaine, fière, altière, dominatrice. Don José, qu’elle séduit, est son jouet. Non parce qu’elle est cruelle – bien que -, mais parce qu’elle est inflexible. Son éducation, ou son tempérament de gitane somptueuse ne met rien plus haut que sa liberté, et que sa personnalité inaltérable. Parce qu’elle est d’une indépendance féline, irréductible. Une sorte de moderne Athéna. Elle domine. Dès le début, elle le prévient le Don-José : aime moi, mais ne t’attache pas. Et si tu veux que je t’aime, suis-moi. Sans attendre. Ce pauvre naïf n’a rien compris et il a déjà le pied pris au piège de la tragédie. Le rappel est sonné à la caserne. Le pauvre petit soldat doit rentrer, “malgré son amour”. Mais il reviendra, pour sûr. Carmen peut-elle croire cela ?  Carmen ne l’accepte pas en tout cas : « Taratata, c’est le clairon qui sonne. Taratata, je vais être en retard ». Elle se moque, le blesse cruellement.  Il n’est pas libre, donc il est indigne d’elle. Et elle le lui fait savoir crument. Ce pauvre nounours en peluche, qui a abandonné sa Micaella pour cette garce de gitane, qui s’est mis sa hiérarchie sur le dos en la libérant sous l’emprise de sa terrible séduction, qui va faire du cachot pour manquement grave à son devoir va, aussitôt sorti, pleurer dans son giron pendant des heures, un peu comme ces pignoufs qui allument des bougies après les attentats qu’ils ont refusé de voir venir.

Ce qui aiguisera le mépris de la Carmencita à son encontre. Il est perdu. Comme tous les amants transis et trahis, son désespoir le pousse petit-à-petit vers le précipice. « Menace ou prière » ? Rien n’y fait ; Carmen est indestructible, Parce que l’amour pour elle n’a pas le même sens que pour lui. Parce que l’amour « est un oiseau volage ». Point-barre. Qui m’aimera, je l’aimerai. C’est clair ? Et le pauvre Don José, mené du début à la fin par le bout du nez par cette allumeuse sans scrupule, le voilà aujourd’hui condamné par le tribunal international des imbéciles comme un vulgaire obsédé sexuel, un dragueur coupable de harcèlement, un implacable prédateur. Il est pourtant bien difficile de la considérer comme une pauvre victime, la Carmencita… Comme une faible femme. Comme une victime du machisme. Son amant éconduit, qui ne consommera jamais l’amour charnel qu’elle éveille en lui par un jeu de séduction des plus pervers, ce pauvre don José, deviendra son assassin ; Amoureux transi, ridicule ; elle se fait tuer en le  méprisant, avec condescendance. Elle ne cède pas, elle ne s’effraye pas à la vue de l’arme que Don José tient en main ; avec la superbe et la dignité de qui, jusqu’à la mort, sait dire « Non ». Elle méprise cet homme qui a cédé à la passion. Sa mort l’élève à l’absolu de sa condition, la consacre comme figure emblématique de la liberté. D’une manière bien différente certes, mais comme les martyrs chrétiens. Comme les résistants. Comme les soldats qui se jettent au feu sans la moindre hésitation. Elle ne recule jamais. Elle devient une idole. Si la capacité à être libre se lit dans l’aptitude au sacrifice, alors sa mort est indispensable pour rendre explicite toute la dramaturgie. Sa mort, c’est la solution à l’équation posée.

Le seul homme qui aura été, en quelque sorte, son alter ego, c’est Escamillo, le Toréador, précisément, on ne peut plus couillu et macho. Superbe mâle dédaigneux, elle est seule à faire fléchir son dédain. Genre de mec que les féministes ne portent pas dans leur cœur. Elle aime visiblement se confronter à la virilité. Lui aussi, d’une autre manière, il affronte la mort, « car avec les soldats, oui, les Toreros, peuvent s’entendre ; Pour plaisirs, pour plaisirs, Ils ont les combats ! ».  Il est digne, arrogant, suffisant. Il est à la hauteur. Pas comme ce minus de Don José, qui ne cesse de se ridiculiser, et qui se tord de douleur de voir que c’est cette horrible bête de torero qui va l’emporter. La jalousie est à son comble. Quand Don José tue Carmen, de fait il se suicide. Par ce superbe sacrifice, elle, consacre sa personne, son irrévocable liberté, elle s’affirme de manière définitive. Elle est splendide dans la mort, il est un homme écrasé par sa propre faiblesse.

Voilà en substance le contenu de l’œuvre

Revenons à la version hautement révolutionnaire exposée par Léo Muscato. Carmen qui tue Don José ? Elle ne l’aurait jamais fait. Pas à la hauteur, le Don José. Il n’en est pas digne. Elle ne se serait jamais abaissée à cela. Elle le méprise trop pour attenter à sa vie. Cette inversion est d’une incommensurable bêtise. Elle fait de Carmen une mégère sordide, une salope de bas étage qui martyrise et qui, après s’être tapé le toréador, va flinguer celui qui fut son souffre douleur pendant des mois. Il devient un christ, elle un démon. Quelle bassesse, quelle nullité. Le niveau monte dans le domaine des arts ! Le féminisme le plus ringard a de beaux jours devant lui avec ce ramassis d’imbéciles.

Le haut courant de pensée humaniste qui affiche le vagin de la reine bien en vue dans le parc du palais de Versailles, un “plug anal” dégueulasse en place de la colonne Vendôme, où un artiste créateur expose ses merdes (ce n’est pas une métaphore) dans une exposition à Londres, où l’on vend des centaines de millions de dollars une cuvette de chiottes en or, où un vieillard malade conchie une effigie du Christ en pleine Cour des Papes dans le cadre d’un prestigieux festival de théâtre, mais où l’on demande la censure d’un tableau de ce pédophile de Balthus,  où l’on fait disparaître les croix sur les photographies d’édifices religieux, où l’on trafique les photos de Sartre, de Camus, de Gainsbourg pour que n’apparaisse plus leur mythique cigarette, où de grandes œuvres classiques sont stigmatisées pour un rien qui déplaît, où le moindre mot “déplacé” au sein d’une œuvre littéraire ou dans un commentaire public condamne l’auteur à passer au tribunal… « Le poids du droit est devenu tel qu’un nouveau phénomène rend les anciennes pratiques de censure obsolètes : l’autocensure. De peur d’être accusé de porter atteinte à telle ou telle communauté, les médias, les artistes et toutes personnes ou institutions disposant d’un espace de parole public, contrôlent leurs paroles à l’excès. Les idées controversées, les polémiques et les joutes verbales disparaissent derrière les menaces de sanctions légales. L’inflation de lois sur le sujet prouve que le droit est devenu le substitut du débat : plus besoin de contester ou de débattre d’une idée lorsqu’il est possible de simplement interdire son évocation sur la place publique. L’omniprésence du droit explique désormais la frilosité des polémistes : une parole trop libre mène parfois son auteur à la situation inverse. Mais de l’impossibilité du débat découle l’atrophie de la pensée : il n’y a plus de contradictions possibles lorsque seules les opinions aseptisées restent légales ».
(http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/n-y-a-t-il-vraiment-plus-de-censure-en-France).

Nos “carménistes” florentins font mieux : comme de plus en plus “d’artistes engagés”, ils prennent servilement les devants, lèchent le c… par avance, anticipent la demande, s’inclinent comme des laquais devant les rois de la bêtise. Des fois que ça leur assure un succès qu’ils sont incapables de trouver autrement. La procédure devient constante. Cette époque apparaîtra un jour, je l’espère, au regard de l’histoire, pour ce qu’elle est, envahie et dominée par une multitude de dégénérés moribonds incapables de comprendre le monde et d’une tristesse désespérante. Une époque au regard de laquelle l’Angleterre victorienne semblera un gigantesque lupanar…

Ce militantisme de crétins se développe dans un climat général qui résulte d’une instrumentalisation politique de tout et de rien, amplifiée et consacrée par une mafia médiatique qui fait feu de tout bois. Mais quand on monte une telle pièce dans un théâtre de la prestigieuse Florence, on fait nécessairement l’effort de lire le texte et de l’analyser, non ?

C’était quoi, ton argument, Muscato ? La version initiale est superbement féministe, avec panache, c’est le moins qu’on puisse dire. La version “corrigée” se révèle épouvantablement misogyne.

Retourne à l’école, Muscato. Analyse de texte et compréhension : 0,1/20.

Parce qu’on ne met jamais, par humanité, zéro à qui n’a pas eu l’audace de rendre copie blanche. C’eut été pourtant préférable.

Yves Queyroux

Musicien




Caramba ! Carmen devait tuer don José… mais le pistolet s’enraye !

Leo Muscato, l’homme qui a changé le scénario de Carmen, reviendra-t-il aux fondamentaux, après ce coup du sort, et laissera-t-il Don José tuer Carmen ? 

 

Euterpe et Melpomène, courroucées par l’outrage, ont décidé de jouer les deae ex-machina.

La représentation de Carmen revisitée au Teatro Maggio de Florence ne s’est pas bien passée. Du moins à la fin.

On se souvient sans doute qu’à la demande du directeur de théâtre, le metteur en scène Leo Muscato avait changé le final de Carmen. En ces temps de #balancetonporc, applaudir au meurtre d’une femme est insupportable, estimait celui-là. C’est oublier sans aucun doute que le public n’applaudit en aucun un meurtre et que Carmen est tout sauf une figure de victime.

Pas question de toucher à la musique ni au livret. Comment faire ?

Voici comment Leo Muscato se sort de cette passe délicate : Don José tente de poignarder Carmen, celle-ci esquive, s’empare de l’arme de service de José transformé en policier d’une brigade anti-émeute, et tue son amant.

Oui mais voilà, il y a ce que l’on appelle une justice immanente ou l’ironie du sort, comme nous l’enseignaient nos anciens, les Grecs, qui en connaissaient un rayon en matière de destin et de tragédie.

“Caramba”aurait pu s’écrier Don josé avant de tomber, blessé à mort.

Mais non. Rien de tel.

Le coup passa si près que son chapeau tomba

et que le cheval fit un écart en arrière.

Pas davantage.

Le scénario ne s’est pas passé comme prévu, ni même comme dans le poème de Victor Hugo.

Sur la scène du théâtre de Florence, Carmen s’empare, comme prévu,  du revolver de Don José et tire. Clic ! et non pan !, comme on s’y serait attendu.

Le revolver ne marche pas.

Deuxième tentative. Clac ! Toujours rien.

Que faire ? Le chef d’orchestre, Ryan McAdams ne peut faire autrement que de continuer à diriger chœurs et musiciens, tous excellents soit dit en passant, selon la partition de Bizet. Il ne peut décemment pas ralentir le rythme au point de jeter le spectacle tout entier dans la catastrophe, ou pire, le ridicule.

On ne lutte pas contre les dieux ou les muses ou tout simplement contre la malice de l’accessoiriste qui risque d’en entendre parler. A moins que les féministes ne crient au complot.

Comme dans les meilleurs moments des représentations de nos patronages d’antan, Don José s’effondre donc puisqu’il faut bien en finir, se laissant juste le temps de s’écrier, conformément au livret de Meilhac et Halévy :

Vous pouvez m’arrêter, c’est moi qui l’ai tuée.

Il faut être sacrément bon comédien pour arriver à chanter une telle réplique sans fausse note dans de telles circonstances. Il faut être un non moins sacrément bon public pour faire semblant d’y croire.

Ça n’a pas été le cas. Sifflets et huées ont ponctué, non les artistes ni la transposition de l’action dans un camp de Roms aujourd’hui, mais le final. Tout laisse à croire que sifflets et huées se seraient également fait entendre même sans cet incident guignolesque.

Comme le titre La Stampa : E alla fine don Jose mori d’infarto (et à la fin Don José mourut d’un infarctus).

La tragédie a tourné à la farce.

Florence Labbé