La légende du Golem nous parle de la France sans Dieu soumise et Islamisée

Élie Wiesel nous parle de la légende du Golem. Le Golem est, selon la légende, un des êtres qui n’existent que pour autrui, qui vouent le moindre souffle, le moindre battement de paupières, la plus infime parcelle de leur existence à une vocation unique et sacrée : celle de protéger la vie, le sommeil et l’avenir de la communauté !  On le disait sot. On le disait stupide, attardé, demeuré.

Tel n’est pas mon avis. C’était un saint. Ce que je vous dis n’est que pure vérité. En tant que membre de la Sainte Confrérie du dernier devoir, j’ai conscience de la précarité de la vie et du pouvoir de la mort. Je sais combien ténu est le fil qui les relie. N’en est-il du reste pas de même du vrai et du faux ? On ne ment pas aux fossoyeurs. On ne les fait pas mentir.

Aussi, écoutez-moi : je déclare sous la foi du serment que “Yossel le muet” ou le “Golem d’argile” que le grand et célèbre rabbin Yehoudah Levaï de Prague, plus connu sous le nom de Maharal de mémoire bénie, créa en l’an 1580, mérite d’être remémoré jusqu’à la fin des temps par notre peuple, ce peuple persécuté, assassiné et pourtant immortel.

Nous lui devons d’évoquer son destin avec amour et gratitude. Si je vous dis que le Golem, eu égard à sa vocation et à ses exploits, était une créature accomplie, c’est parce qu’il nous manque.

Plus que jamais sa présence, et peut-être même son mystère, nous sont nécessaires.

Comme de coutume, l’année s’annonce sous le signe du châtiment ! Je le pressens à travers chacun de mes os. J’ai vécu trop d’épreuves pour ne pas savoir prédire ce que l’avenir nous réserve.

Oh bien sûr, j’ai foi en Dieu : je ne serais pas juif si j’évoluais dans le vide.

Mais je ne serais pas juif non plus si je n’avais pas peur. Que vous dire ? Je distingue des signes et je sais les interpréter. Il faut dire que j’en ai l’expérience. Sur le visage du mort, étendu sur la table de purification, où les membres de la Sainte Confrérie préparent le défunt à être enseveli, je ne lis pas seulement le passé mais aussi l’avenir. Je sais que certains entrent dans la mort, car ils ont choisi d’échapper à cet univers maudit qui nous abrite pour mieux nous dévorer.

Ah ! si seulement le Golem était parmi nous… Mon sommeil serait plus paisible.

Pourquoi le Maharal a-t-il cru bon de le soustraire à nous ? Croyait-il que la souffrance et l’injustice étaient révolues ? Que nous n’aurions désormais plus besoin de protecteur, de bouclier ?

Dites-moi, je vous prie : notre Maharal qui savait tout, ne savait-il pas qu’après lui l’exil deviendrait encore plus éprouvant et plus cruel ? Que son fardeau serait plus lourd, plus sanglant ?

Il aurait pu nous laisser le Golem, il aurait dû. De quoi avait-il peur ? Que surgisse un mouvement de masse qui ferait du Golem une idole ? Notre “Yossel le muet” était réellement muet.

L’idée de nous détourner de la voie qui mène à Dieu ne l’aurait jamais effleuré.

Bien au contraire… Alors pourquoi devait-il retourner à la poussière ? Tous les hommes sont mortels, mais le Golem était différent. Si vous m’en croyez, le “Golem d’argile” était immortel, comme est immortelle la haine qu’il avait pour tâche de combattre. Aujourd’hui comme par le passé, quelqu’un va devoir s’interposer entre la haine et nous. Le “Golem d’argile” pourrait-il ressusciter ?

Lui seul empêcherait le sang de couler, lui seul parviendrait à désarmer les assassins et à vaincre le mal. C’était un sauveur. Je me souviens : j’avais dix ou onze ans, peut-être un peu plus. Nous habitions la ruelle la plus étroite du quartier juif de Prague. Nous étions pauvres, mais je n’en avais pas conscience. Le Shabbat, nous avions toujours de rutilantes bougies, des Halloth, du poisson. Mon père semblait heureux et ma mère plus encore. Heureux, mon père l’était toujours, c’est l’impression qu’il donnait. La nuit, il chantait en travaillant à la boulangerie en chantonnant, la journée, lissant continuellement sa barbe, il étudiait le Talmud, les yeux habités d’un regard lointain.

J’aimais énormément mon père. Un jour, c’était au début du printemps, je décelai sur son visage une tristesse inhabituelle, sans que je sache l’interpréter. Nous nous apprêtions à célébrer la joyeuse fête de Pessah. “Pourquoi parais-tu si triste ?”, lui demandai-je. Il sembla ne pas m’entendre. Je répétai ma question. Alors il sourit et dit gentiment : “Tu ne peux pas encore comprendre”.

Envahi par l’inquiétude, j’insistai. Il se déroba encore à ma question. “Tu es trop jeune” répondit-il, tentant de me rassurer. “En grandissant, tu comprendras”. Mais je finis par découvrir ce qui l’attristait. Une semaine avant Pessah, notre communauté fut plongée dans l’angoisse : nous nous attendions à tout moment à un massacre. Pour quelle raison ? Question saugrenue.

Depuis quand nos ennemis doivent-ils justifier leur soif de sang juif ? Cette fois-ci tout était fin prêt : ils avaient caché la dépouille d’un enfant chrétien dans la cave de Shmouel le marchand.

En conséquence, nous fûmes accusés d’avoir perpétré un crime rituel. On raconta que du sang chrétien était nécessaire pour la fabrication des pains azymes. Les idiots !

Leur perversité n’a d’égale que leur ignorance. Notre Écriture le dit, nos Sages le répètent et nos Maîtres ont prouvé que depuis que les juifs furent juifs, ils ne se sont jamais rendus coupables de tels méfaits. Notre tradition exclut tout crime rituel. Abraham lui-même n’acheva pas son acte et son fils survécut à l’épreuve du père. Il y a des années, tous les livres juifs de Prague ont été saisis et emmenés à Vienne pour y être examinés en vue d’y déceler la trace d’un tel rite. Pas un seul ouvrage ne fut épargné et le chantre de la synagogue dut officier par cœur. Les livres ne furent rendus que deux ans après. Pour nous, toute vie est sacrée.

Le grand Maharal parvint à en convaincre le cardinal Sylvestre en personne qui était à la tête de l’Église de Prague. Et même le roi Rodolphe, qui était notre souverain.

Aucun être doué de bon sens et de discernement n’accorderait le moindre crédit à ces sordides racontars. Il en est pourtant qui continuent à répandre sournoisement ces mensonges et dans un seul but : attiser la haine, susciter la violence et verser le sang juif. Nous nous tournâmes vers le Maharal : n’était-il pas notre guide, notre Maître spirituel, un exemple de sagesse et de courage ? Il s’employa à expliquer aux autorités que Shmouel le marchand était un homme droit et charitable. Il se porta garant de son innocence. Rien n’y fit. Le marchand et sa famille furent mis aux arrêts. Le plus jeune de ses fils, Yehoshoua, mon camarade de classe, fut lui aussi incarcéré.

Je me souviens de son visage ou plutôt de la terreur qui s’y peignait. “N’ayez pas peur” leur dit le Maharal d’une voix ferme et sereine. “Dieu sait que vous n’avez rien à vous reprocher et ce que Dieu sait, d’autres finiront par l’apprendre“. Nous accompagnâmes les captifs tout au long du chemin qui conduisait au quartier chrétien, où une meute humaine houleuse massée au pied d’une muraille surmontée d’un beffroi hurlait menaces et obscénités. À travers le tumulte, je pouvais percevoir le cliquettement des chaînes mais, ne pouvant plus apercevoir mon ami Yehoshoua, j’eus le sentiment de l’avoir quelque peu trahi. Le marchand et sa famille disparurent au fond d’une cour et je me demandai si je les reverrais jamais. La question me taraudait tant que j’avais peine à respirer.

C’est alors que le Maharal nous dit : “Rendons-nous tous à la synagogue où nous joindrons nos prières à celles de nos malheureux frères. Dieu nous entendra, je vous le promets“. Lentement, hommes et femmes, parmi lesquels mon père et ma mère, se mirent en marche en direction de la synagogue qui dominait la petite place de notre quartier et moi, l’un des plus jeunes, je courus en tête du cortège. J’aimais et aimerai toujours intensément cette synagogue à nulle autre pareille. On l’appelle “Altneue shul”, l’ancienne-nouvelle synagogue, mais le nom peut être aussi vocalisé en hébreu “Altnaï”, “à condition” (qu’elle soit un jour rendue à Jérusalem). Nos ancêtres édifièrent cette synagogue il y a 2000 ans, après la dispersion de la Judée et la destruction de Jérusalem.

On raconte que des anges célestes emportèrent des pierres du Temple et les insérèrent dans ce magnifique édifice qui demeure la fierté de notre communauté. La vieille synagogue avait survécu à maintes calamités. Lorsque le père de mon père était enfant, un violent incendie se déclara dans le quartier juif. Seule la synagogue ne fut pas touchée. Sur son fronton se tenaient deux mystérieuses colombes blanches qui y demeurèrent tant que les flammes faisaient rage dans le ghetto. Ni les flammes ni la fumée suffocante ne purent les déloger.

Après que tout danger fut écarté, les deux colombes disparurent.

La nuit nous évitions de nous rendre aux abords de la synagogue. La rumeur courait que les morts s’y retrouvaient pour prier et étudier et pour se souvenir à leur façon.

Seul le Maharal s’y rendait la nuit comme le jour. Rien ne lui faisait peur… (© Élie Wiesel).

La légende du Golem nous parle de la France sans Dieu soumise et Islamisée !

Thierry Michaud-Nérard