Israël : la fin des haricots ?

Game over pour Israël ? La question revient en boucle ces temps-ci dans les chancelleries du monde entier : la « terre promise » aux juifs par la déclaration Balfour, devenue une réalité en 1948, est-elle encore viable ?

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Politiquement, c’est l’impasse totale…

La tentative de Benjamin (“Bibi”) Netanyahu de former un gouvernement pérenne a encore échoué. Pourtant, les dernières élections législatives du 23 mars dernier pour désigner les 120 membres de la Knesset lui avait « quasiment » donné l’assurance de pourvoir former un gouvernement viable. Son parti, le Likoud, engrangeait en effet le plus grand nombre de sièges (30 sièges) et pouvait à priori compter sur le soutien des partis suivants :

  • Shas : un parti séfarade religieux ultra-orthodoxe
  • Judaïsme de la Torah : l’un des deux principaux partis religieux ultra-orthodoxes du pays avec Shas
  • Bleu Blanc : (les couleurs du drapeau israélien), coalition centriste dirigée par Benny Gantz. En pleine déconfiture (Bleu Blanc est passé de 33 sièges à… 8 !), le parti, par la bouche de son président, a annoncé le 23 mars dernier son ralliement à Netanyahou
  • Yamina : une coalition dirigée par Naftali Bennett un ancien ministre de la défense de Netanyahu, réputé d’ « extrême droite » (ce qui en Israël signifie « ultra sioniste »)

Oui, mais ça, c’était la théorie. Dans la pratique, Naftali Bennett a finalement refusé son soutien à Bibi… Après vingt-huit jours de tractations, mardi 4 mai à minuit, Netanyahu reconnaissait son échec à constituer un gouvernement.

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Quatre élections en deux ans : 23 mars 2021, mars 2020, avril 2019, septembre 2019… Est-il raisonnable d’appeler les électeurs une cinquième fois ? A l’évidence non, surtout que les résultats d’une nouvelle consultation aboutiront vraisemblablement à la même impasse.

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Naftali Bennett a donc pris une décision capitale : tenter de former un gouvernement avec le centriste Yaïr Lapid  avant que son mandat n’expire, le 2 juin, soit au lendemain de la publication de ce présent article…

« On peut aller à une cinquième élection, une sixième, une dixième, démanteler les murs de notre pays, brique par brique, jusqu’à ce que la maison nous tombe sur la tête, ou alors on peut arrêter cette folie et prendre nos responsabilités », déclarait solennellement Naftali Bennett dimanche 30 mai.

Bennett et Lapid se sont mis d’accord sur une espèce de « tournante » pour l’exercice du pourvoir : Bennett, chef du gouvernement pendant deux ans, pour laisser ensuite sa place à Lapid et vice-versa…

Parfait mariage de la carpe et du lapin : faire coexister des partis allant d’un extrême à l’autre, des ultralibéraux aux socialistes, des ultrasionistes aux islamistes (eh oui…), des laïcs aux ultrareligieux (en Israël, dès qu’il s’agit de religieux, le préfixe « ultra » est superflu)

Une coalition invraisemblable qui verrait le parti Yamina (dominé par des talmudistes pur sucre) siéger côte à côte avec le parti islamiste Ra’am  qui avait soutenu le Hamas lors des derniers événements…

En Israël, personne ne se fait d’illusion sur la pérennité d’un tel bricolage politique.

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Mais pour la classe politique israélienne, c’est manifestement « TSB » : « Tout sauf Bibi ». « Le pays a besoin de guérir » proclame ainsi Lapid. Sous-entendu, guérir de Netanyahu, dont l’avenir est vraisemblablement derrière les barreaux, compte tenu des nombreux dossiers judiciaires qu’il traîne depuis un certain nombre d’années.

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A l’extérieur, la fragilité d’Israël est également patente.

Après les bombardements sans ménagement sur Gaza, répliquant aux tirs de mortiers et de missiles en quasi-totalité interceptés par le “Dôme de Fer”, des Palestiniens ont saisi la Cour pénale internationale (CPI). De nombreuses plaintes sont sur le bureau de la procureure gambienne de la CPI, Fatou Bensouda, dont celle – la plus médiatisée – déposée par Jawad Mahdi, le propriétaire de l’immeuble abritant les bureaux d’Associated Press et de la chaîne Al-Jazira, détruit par un tir de précision israélien le 15 mai.

Rappelons que la CPI est depuis février 2021, compétente pour enquêter sur les crimes de guerre dans la bande de Gaza. Mme Bensouda, avait annoncé, fin 2019, vouloir mener une enquête complète sur d’éventuels « crimes de guerre » dans les territoires occupés par Israël­ depuis 1967. Elle avait réclamé aux juges de la CPI de se prononcer sur sa « compétence territoriale » à enquêter, demande à laquelle ils ont accédé le 5 février dernier, à la plus grande joie des Palestiniens.

Installée à La Haye, la CPI est compétente pour poursuivre des individus soupçonnés de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis depuis le 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur de son traité fondateur, que n’ont ratifié ni Israël ni les États-Unis. Ce qui devrait bientôt être chose faite sous l’administration Biden. Sur la question de la CPI, Israël se retrouverait donc totalement isolé sur la scène internationale…

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Cerise sur le gâteau, si l’on ose dire pour évoquer ce sujet gravissime : la menace nucléaire que représente l’Iran n’est plus du domaine du putatif. Il faudra bien qu’Israël prenne une initiative majeure avant que Téhéran ne décide d’employer lui-même les grands moyens. Or le temps joue incontestablement contre Israël

Henri Dubost

NB : Certains lecteurs vont encore me reprocher un intérêt – à leurs yeux immodéré – pour Israël. Mon intuition est que la situation qui est actuellement celle de l’Etat hébreu, entouré de pays hostiles, sera bientôt celle de la France à l’intérieur même de ses frontières : certains quartiers de nos villes seront sous le feu de mortiers et de missiles tirés depuis des banlieues ethniques contrôlées par des forces ennemies. J’exagère ? Je prends le pari. En espérant le perdre, bien entendu…

 




Israël : Bibi a-t-il réussi son « coup d’Etat Corona » ?

Les dernières élections législatives israéliennes ont eu lieu le 23 mars 2021 pour désigner les 120 membres de la Knesset, le parlement monocaméral de l’Etat hébreu. C’est la quatrième fois en deux ans que les Israéliens sont appelés aux urnes pour y élire leurs représentants.

La dernière élection datait d’un peu plus d’un an, le 2 mars 2020, et les deux précédentes se sont déroulées en avril puis en septembre 2019, soit à moins de six mois d’intervalle…

Raison de cette instabilité : les voix israéliennes se dispersent sur environ 13 partis, dont aucun n’arrive à la majorité absolue, ce qui conduit à d’éphémères coalitions.

C’est ainsi que la Knesset tel qu’elle est sortie des élections du 2 mars 2020 a été dans l’incapacité de voter le budget de l’Etat hébreu, lequel s’est contenté de reconduire, sans examen des députés, le budget de 2019…

Une situation qui n’est pas sans rappeler le fameux « régime des partis » qu’a été en France la 4e République de l’après-guerre, un « régime des partis » auquel le général de Gaulle a mis fin grâce à la constitution de 1958.

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Après les élections du 23 mars dernier, le Likoud du Premier ministre Benyamin (« Bibi ») Netanyahou recule, mais demeure la première force à la Knesset, avec le quart des sièges.

Le Likoud s’inspire largement de Vladimir (Zeev) Jabotinsky, l’un des principaux instigateurs de l’Irgoun, puis du Hérout, créé en 1948 par Menahem Begin. L’Irgoun et le Hérout ont été considérés à l’époque comme des mouvements terroristes, tant par la Grande-Bretagne que par l’Agence juive elle-même.

Le Likoud, qualifié de « parti de droite » par la pudique presse française, est en fait situé largement à droite de ce qu’aurait pu être un gouvernement Front national en France du temps où Jean-Marie Le Pen dirigeait le mouvement patriote…

Le Likoud (30 sièges) peut compter sur le soutien fidèle des partis suivants :

  • Shas : 9 sièges, un parti séfarade religieux ultra-orthodoxe
  • Judaïsme de la Torah : 7 sièges, fondé en 1992. C’est l’un des deux principaux partis religieux ultra-orthodoxes du pays avec Shas
  • Yamina : 6 sièges, une coalition de droite – forte, voire extrême – essentiellement formé du Parti sioniste religieux
  • Bleu Blanc : (les couleurs du drapeau israélien), coalition centriste dirigée par Benny Gantz. En pleine déconfiture (Bleu Blanc est passé de 33 sièges à… 8 !), le parti, par la bouche de son président, a annoncé le 23 mars dernier son ralliement à Netanyahou

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Pour Bibi, le compte est donc bon, si l’on ajoute à cette coalition « sûre » quelques députés occasionnels d’Israël Beitenou (littéralement « Israël, notre maison »), 7 sièges, fondé par Avigdor Liberman (un ancien du Likoud), constitué à l’origine pour représenter les Israéliens d’origine russe. Israël Beitenou, tout comme le Likoud, se réclame clairement de la pensée et de l’action et de Vladimir Jabotinsky.

Pomme de discorde importante avec le Likoud : le parti soutient une solution à deux États, qui comprendrait la création d’un État palestinien.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : Liberman n’est malgré tout pas du genre bisounours avec les Arabes :

C’est ainsi que le 10 mars 2015, au cours d’un meeting électoral dans la ville d’Herzliya, il a déclaré que les Arabes israéliens qui ne sont pas fidèles à Israël « doivent être décapités à la hache » et il a estimé en outre que tous ceux qui dénoncent la politique anti-palestinienne d’Israël « méritent d’être condamnés à mort ». À la suite de ces déclarations, l’Autorité palestinienne a demandé à la Cour pénale internationale d’émettre un mandat d’arrêt contre Liberman

Le 13 janvier 2009, Lieberman déclara à l’université Bar-IIan de Tel Aviv : « Nous devons continuer à combattre le Hamas exactement comme les États-Unis ont combattu le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale [sous-entendu : en utilisant la bombe atomique]. Ainsi, l’occupation du pays n’a pas été nécessaire », ajoutant que les Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes devraient « être transportés en autocar et noyés dans la mer Morte ». On imagine le tollé en France si un homme politique de premier plan s’amusait à ce genre de « dérapage »…

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L’opposition a accusé Netanyahou de s’être servi de la pandémie de Covid19 comme arme électorale. Certains ont même parlé de « Coup d’Etat Corona ».

Bibi a en effet fait le pari que la vaccination, ça allait marcher et il n’y est donc pas allé de main morte en la matière, faisant d’Israël la championne du monde du coup de seringue anti-covid.

Sur le front de la maladie, il semble – du moins à court terme – que la bataille soit gagnée

Avant-hier, 19 avril, le pays a en effet levé l’obligation du port du masque dans les rues. Une bonne nouvelle doublée du retour, le même jour, de tous les enfants à l’école. Et Bibi, triomphant, vient d’annoncer la réouverture complète de l’économie israélienne et la fin des allocations chômage d’ici juin.

Quant aux effets des vaccins sur le long terme, ce n’est pas le problème de Bibi qui aura sans doute quitté le pouvoir si d’aventure les choses se compliquent…

Henri Dubost