Cette vieille locution nous vient des Romains. Elle raconte les malheurs de nombre de navigateurs qui, pour aller de la pointe de la botte italienne à la Sicile, y ont perdu la vie. Dans les forts courants qui transitent dans ce détroit, éviter le rocher, c’est le tourbillon qui vous attend. Ce que nous vivons depuis la seconde guerre mondiale tient de cette locution : nous nous sommes débarrassés du nazisme pour nous fracasser plus tard sur le monétarisme. C’est avec une discrétion de sioux que le monétarisme s’est mis en place, et c’est seulement maintenant que nous réalisons ce qui nous arrive. Les historiens, de l’Europe plus particulièrement, pourront écrire sur ce sujet. Une chronologie rétroactive se dessine avec de plus en plus de précision.
1789
C’est bien loin, mais elle reste une date phare. Dans la nuit du 4 Août, le Tiers-état obtient la séparation du pouvoir politique et du pouvoir économique, avec Primauté au pouvoir politique ; jusque là, ces deux pouvoirs étaient rassemblés dans les mains du Roi. Rappelons pour une meilleure compréhension, que le pouvoir économique, c’était la possession de la terre, et rappelons aussi l’architecture des classes sociales de notre pays à cette époque : l’Aristocratie, le Clergé, et le Tiers-état, c’est à dire pour cette dernière : la Bourgeoisie et le Peuple. La Bourgeoisie savait que pour l’emporter, il lui fallait l’alliance du Peuple, au moins pour faire nombre. Et de plus, ce peuple était exaspéré par cette féodalité ultra-égoïste. La victoire du Tiers-état a permis de créer l’Assemblée Constituante. C’était le début de la Démocratie.
1929
En 130 années, l’évolution des techniques avait profondément modifié le paysage économique. L’Artisanat, en s’organisant pour produire davantage allait créer l’industrialisation, et l’industrialisation nécessitait des capitaux de plus en plus importants. Le Tiers–état éclatait : d’une part la grande bourgeoisie des affaires, puis la bourgeoisie commerçante, ensuite la petite bourgeoisie des artisans, et enfin le petit peuple laborieux, ouvriers d’usine et paysans. La grande bourgeoisie reprit à son compte la liberté d’entreprendre de feue l’aristocratie et de mener la finance à son seul profit. Cela aboutit à un crack boursier et à un crash social de grande envergure. Des millions d’ouvriers se retrouvèrent sans ressources pour vivre.
1930/38
Tandis que l’Allemagne résolvait ce problème en se jetant dans les bras du nazisme, le reste des pays occidentaux profita de l’embarras des financiers pour amender le système économique. Si l’industriel Ford y met du bon sens en disant que pour vendre ses voitures, il doit distribuer du pouvoir d’achat, c’est Keynes le véritable réformateur, en prenant en main une certaine régulation de la finance par le budget. Nous assistons à un début de civilisation du système économique. C’est ce système économique amendé qui nous donna le mode de vie occidental que le monde nous envie encore.
1938
L’Allemagne s’était forgée l’armée la plus puissante du monde pour imposer sa domination aryenne. Elle commença par reconquérir les territoires perdus au Sud lors de la Guerre de 14/18. Puis, grâce à une alliance momentanée avec l’URSS, c’est le dépeçage de la Pologne.
1939
En Septembre, l’Allemagne se tourne vers l’Ouest. Elle repousse la tentative de correction que la France tente de lui infliger, puis campe sur ses positions pour laisser passer l’hiver ; c’est ce qu’on a appelé « la drôle de guerre ». N’oublions pas que l’Italie et l’Espagne sont aux mains de dictateurs favorables à Hitler.
1940
En Mai, les « Panzers divisionens » déferlent sur la France, et le 22 Juin, le Maréchal Pétain signe un armistice. Seule, l’Angleterre résiste sur son île. Les Allemands ne parviendront pas à envahir l’Angleterre.
1941
L’Allemagne envahit l’URSS.
1942
C’est l’année du tournant mondial. Les USA sortent de leur isolationnisme. A leur tour, ils sont mordus par une sorte d’impérialisme : « Nous sommes la puissance économique la plus performante du monde, nous devons imposer au monde notre mode économique : la Liberté d’Entreprendre ». En peu de temps, ils créent à leur tour l’armée la plus puissante et partent à la conquête du monde. D’abord, libérer l’Europe de l’emprise d’Hitler ! C’est un prétexte très plausible, presque humanitaire. De plus, l’Europe est encore une locomotive du monde ; si nous réussissons à lui imposer notre doctrine, c’est le monde entier qui suivra.
1944
Les alliés débarquent en Normandie. Bien qu’affaiblie par sa guerre en URSS, l’Allemagne résiste. Le débarquement faillit tourner au désastre par suite d’une tempête. Les alliés tinrent bon et réussirent à prendre pied sur le sol français. Paris était libéré trois mois plus tard. Puis, les Alliés envahissent l’Allemagne pendant que l’URSS poursuit les forces allemandes en déroute, avec pour objectif : Berlin.
1945
Hitler se suicide et l’Allemagne capitule le 8 Mai. Elle est partagée en quatre zones d’occupation par les Alliés et l’URSS, et c’est le même partage pour la capitale Berlin, bien qu’enclavée dans le zone de l’URSS. Entre temps, le monde s’était embrasé jusqu’à l’Extrème-Orient. Les USA provoqués par le Japon, répondent militairement et finiront par imposer une paix.
1946
Maintenant, une autre bataille s’engage : mettre en place l’idéologie de la Liberté d’Entreprendre. C’est le bras de fer sur l’Europe, entre deux impérialismes : le collectivisme soviétique et le libéralisme ussanien, deux systèmes économiques diamétralement opposés. Le 5 Mars, le discours de Churchill à Fulton (USA), en accord avec le Président Truman, est à considérer désormais, comme le commencement de la « guerre froide ».
1947
En Juin, pour contrer la propagande soviétique, les USA mettent en place le « Plan Marshall ». Il aidera les pays occidentaux à consolider leurs économies encore bien vacillantes, et cela dans l’esprit de la Liberté d’Entreprendre.
En Juillet, c’est l’apparition de la doctrine du containement, c’est à dire l’endiguement de l’expansion de l’URSS. Cette dernière répond en renforçant son emprise sur les pays de l’Est, et en mettant en place le blocus de Berlin, ville gérée par les 3 alliés et l’URSS. Les USA répondent par un pont aérien, que l’URSS n’ose attaquer.
1948
Pour partager l’aide du Plan Marshall, est créée l’Organisation Européenne de coopération économique (OECE) le 16 Avril 1948. Les USA ne souhaitaient pas que la notion d’Europe aille au delà de cette coopération économique ; des Etats-Unis d’Europe pourraient devenir un concurrent dangereux. Le ton était fixé : l’Europe sera une entité économique dans l’esprit où l’entendent les USA, ou ne sera pas ! Pour nous, l’idée d’Europe nous était apparue comme le meilleur moyen de nous reconstruire et d’assurer entre nous des relations pacifiques ; il est impératif de le signaler, car c’est un bémol à la doctrine de nos bailleurs de fonds.
1949
Le pacte de Bruxelles, signé le 17 Mars 1948 pour créer l’Union Occidentale, a été rendu crédible par la signature, à Washington, le 4 Avril 1949, de l’Alliance Atlantique, qui lie plus étroitement l’Europe de l’Ouest à l’Amérique du Nord. Le 5 Mai de cette même année, est créé par les 5 du Pacte de Bruxelles, rejoints par le Danemark, l’Irlande, l’Italie, la Norvège et la Suède, le Conseil de l’Europe. Celui-ci demeurera une organisation de stricte coopération intergouvernementale.
1950/60
C’est la décennie de la naissance des Communautés : Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) en 1951, la tentative de création de la Communauté Européenne de Défense (CED) en 1952. Les USA voyaient d’un mauvais œil cette dernière communauté. L’Angleterre s’y opposa, et de plus, le traité devint caduc lorsque la France refusa de le ratifier. Le réarmement allemand s’opéra dans l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Enfin, en 1957, fut créée la Communauté Economique Européenne (CEE). A cette occasion, fut créée aussi l’EURATOM. L’Europe se construira donc par l’économie, telle que le voulaient nos libérateurs.
1958/59
Un date bien discrète qui mérite d’être signalée à part. C’est la parution des ouvrages de l’Ussanien Milton Friedman, de l’Ecole Economique de Chicago. Il dopait la « Liberté d’Entreprendre » avec une doctrine parfaitement formulée : le Monétarisme.
1960/80
C’est l’euro scepticisme, sorte de blocage congénital de la construction européenne. De Gaulle, revenu au pouvoir, y joua un rôle certain, qui laissa longtemps son empreinte. A partir des années 70, un nouveau venu idéologique fit son apparition « La Pensée-Unique », accompagné d’un slogan « Modernité et bonheur pour tous ». Avec un tel nom et accompagné d’un tel slogan, ce pur produit du marketing ussanien allait faire un ravage. Qu’y avait-il dans le bel emballage ? Ne cherchez pas, contentez-vous de la beauté du produit et de sa garantie.
1981/93
La Gauche Française gagne les élections et arrive au pouvoir avec Mitterrand. Cette Gauche ne voit que par ses vieilles recettes de gouvernement. Une crise financière, organisée sans doute, les cueille à froid. Le parti Socialiste, infiltré par Jacques Delors et par nombre d’énarques et autres formatés « ad hoc », fait en Mars 1983 « son virage à 180° ». La Pensée-Unique qui n’est rien d’autre que « la Liberté d’Entreprendre dopée au Monétarisme », c’est à dire un ultra-libéralisme, a maintenant une majorité écrasante : la droite traditionnelle et une grosse partie de la gauche.
Mitterrand, malgré les promesses faites à l’Allemagne, impose Jacques Delors à la Présidence de la Commission Européenne, avec rang de Chef d’Etat. En 1993, Jacques Delors fait signer le Traité de Maastricht, qui stipule : « Toute restriction aux mouvements de capitaux et aux paiements, à la fois entre les Etats membres et entre les états membres et les tiers, est interdite (art. 56, ex art. 73B et suivants) ». Pouvait-on trouver une phrase plus explicite pour donner la Primauté à la Finance ? Ironie du sort ! C’est le parti qui a inscrit dans ses valeurs la « Primauté du Politique », qui a bradé cette Primauté, en faveur de la Finance. C’est la restauration de la féodalité. De terrienne qu’elle était, elle est devenue financière.
De plus, de par sa rédaction, ce traité a un impact mondial ; Les « tiers » dont il est question dans le texte du traité, c’est bien le reste du monde, en dehors de l’Europe. Désormais, la Pensée-Unique, alias le Monétarisme, a juridiquement les pleins pouvoirs. Bruxelles était le bunker discret de la Liberté d’Entreprendre, et mission accomplie, Jacques Delors peut se retirer sur son Aventin.
2005
Nouvelle phase de la Construction Européenne. Elle n’est toujours qu’une communauté économique : Il faudrait lui donner une Constitution politique pour en faire les Etats-Unis d’Europe. Du fait du Traité de Maastricht, ce projet de Constitution doit inclure le système économique monétariste dans son texte. La Constitution sera donc Monétariste, tout comme jadis la Constitution de l’URSS fut, diamétralement opposée, Collectiviste. Français et Néerlandais, consultés par voie référendaire, ont refusé ce texte. Le marketing ussanien perd de son emprise ; le OUI l’emportait largement en début d’année. C’est le NON qui a gagné avec 56% des voix, en France. Ce sera pour une autre fois, dit-on à Bruxelles.
2007
Oui, mais sans consulter les citoyens ! Il y a une cassure grave entre le corps électoral et les élus ; notre démocratie est malade, ne serait-elle pas malade de son système économique ? Disons pour être plus précis, que d’une part, notre démocratie est falsifiée et que d’autre part des soupçons s’élèvent sur Bruxelles. Sans savoir exactement pourquoi, le corps électoral refuse ce projet. N’y aurait-il pas aussi une inculture politique globale savamment organisée. Qui sait qu’il existe un système économique ? Dans aucun média, dans aucune conversation, il n’entre en ligne de compte. On ne fait que de la politique politicienne. Le débat politique est tronqué de son élément qui a le plus de pouvoir.
Cette étude a été faite avec l’aide de l’Encyclopédia Universalis.
Pierre Bellenger
Pierre.Bellenger@wanadoo.fr