Tunisie : il faut soutenir Jabeur Mejri et Ghazi Béji, deux chevalier La Barre du 21e siècle

Signe que la situation devient encore plus préoccupante en Tunisie, la déclaration faite récemment par Adnene Manser, le porte-parole officiel de Moncef Marzougui président provisoire de la République tunisienne : «Attaquer les symboles sacrés de l’Islam ne peut être considéré comme relevant de la liberté d’expression. Nous sommes un pays musulman, et à cet égard, nous sommes contre ceux qui insultent les religions. Il s’agit d’une forme d’extrémisme, qui provoque des réactions extrêmes que nous devons éviter en cette période délicate» (1).

Le CPR, Congrès pour la république, est le parti tunisien, fondé par le président Marzougui, qui déclare vouloir garantir la liberté d’expression, d’association et de manifestation, ainsi que la stricte séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, le respect des droits de l’homme et l’égalité des genres. Aussi que le porte-parole du président Marzougui se laisse aller à limiter le droit à la liberté d’expression, en fonction d’une soi-disant insulte aux religions, est très inquiétant. Que ce soit par conviction ou pour des raisons stratégiques consistant à calmer les exigences islamistes, le signal donné est désespérant pour les Tunisiens démocrates et ne peut que combler les islamistes.

Aussi dans ce contexte, où de plus le parti islamiste Ennahda dispose de 41 % des sièges à l’Assemblée constituante et où des salafistes sèment la terreur dans des villes tunisiennes (2), n’est-il pas étonnant que la cour d’appel de Monastir ait confirmé en juin la peine de sept ans et demi de prison pour un jeune Tunisien qui avait posté des caricatures de Mahomet sur sa page facebook (3). Comme le dit son avocat, ce jugement n’est pas conforme aux Droits de l’homme.

On observe ainsi une connivence entre les islamistes et les deux partis de centre gauche, le CPR et Ettakatol (Forum démocratique pour le travail et les libertés) membre de l’Internationale socialiste en tant qu’observateur, pour empêcher la liberté d’expression concernant l’islam ; Ettakatol n’a effectivement pas réagi face à cette condamnation. Cette connivence rejoint l’accord de gouvernement d’union nationale (4) effectué entre les islamistes d’Ennahda et les deux partis de centre gauche CPR et Ettakatol, attribuant la présidence de la Tunisie à Moncef Marzouki (CPR), le poste de premier ministre à Hamadi Jebali (Ennahda) et la présidence de l’assemblée constituante à Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol).

Cette connivence contre la liberté d’expression illustre parfaitement ce que Jean-Pierre Lledo décrit à Riposte Laïque (5) : l’existence, dans les pays arabes, de trois unanimismes « qui bloquent l’accès à l’exercice même de la pensée », à savoir l’unanimisme nationaliste (avec ses légendes indépendantistes), l’unanimisme islamique (l’Islam comme sceau des religions, et seule vraie religion), et l’unanimisme anti-juif. Rares sont les intellectuels arabes osant s’opposer simultanément aux trois unanimismes.

Au-delà de ces minables arrangements politiciens sur le dos de la liberté des Tunisiens, le sort d’un homme est désormais très préoccupant. Jabeur Mejri, le jeune homme qui avait posté des caricatures de Mahomet sur sa page facebook, voit sa vie ravagée, étant détenu actuellement à la prison de Mahdia. Il s’y trouve dans l’inquiétude perpétuelle de se faire agresser par des détenus ou des gardiens qui seraient suffisamment simples d’esprit pour endosser le rôle d’un justicier d’Allah.

Heureusement son ami, Ghazi Béji, également posteur de ces caricatures, a pu s’enfuir et vient d’obtenir le statut de réfugié politique en Roumanie (6). Mais il n’en est pas pour autant quitte de la vindicte islamique, puisque les appels au meurtre en public et sur les réseaux sociaux des islamistes radicaux s’amoncellent, sans que la justice tunisienne ne s’y oppose. D’ailleurs Il a malheureusement été récemment hospitalisé en Roumanie, suite à des agressions de la part d’autres demandeurs d’asile ayant appris qu’il était athée (7). Tout cela également dans l’indifférence de nos médias.

Jabeur Mejri (à gauche) et Ghazi Béji

Un sort révoltant qui nous renvoie à l’époque du chevalier de La Barre, condamné pour blasphème. Pourtant la révolte ne s’exprime pas en France. Tout juste si les journaux français ont relayé la brève dépêche de l’AFP. Et depuis aucune personnalité ne s’est emparé du dossier pour alerter l’opinion publique. Quid des BHL et organisations de défense des Droits de l’Homme ? Rien, silence total.

La mise en pâture publique de Jabeur Mejri a été accompagnée d’un discrédit ajouté à sa personnalité, puisque son avocat pour les besoins de sa défense a cru bon d’expliquer son acte par des troubles du comportement, des pertes de repères et une frustration dont il ferait preuve (3). On se croirait revenu là aussi à l’époque de feu l’URSS, où tout opposant au communisme était accusé de vouloir s’opposer au bonheur du peuple, et par là donc se révélait comme un être asocial, ennemi du peuple. Ne pas vouloir le bonheur du peuple était alors perçu comme le symptôme de troubles mentaux qui justifiait l’internement en hôpital psychiatrique.

Caricaturer l’islam serait donc le symptôme d’un dérangement psychique, tel est le nouvel avatar de ce type de raisonnement liberticide. Habituellement le discours islamique consiste à voir derrière toute critique de l’islam, une intervention démoniaque. Apprécions donc ironiquement et amèrement  l’évolution.

En mai 1968, l’interdiction de séjour en France d’un Allemand, Daniel Cohn-Bendit, avait indigné la jeunesse contestataire de France, y voyant là une limitation de la liberté d’expression. Quelques jours auparavant, le dirigeant communiste Georges Marchais avait dénoncé son anarchisme visant “ces groupuscules dirigés par l’anarchiste allemand Cohn-Bendit”. En réaction solidaire, les soixante-huitards, y voyant là une expression d’une phobie anti allemande scanderont  le célèbre slogan « nous sommes tous des juifs allemands ».

Si, en 1968 et dans les décennies suivantes, cette formule a bien symbolisé, au-delà des soixante-huitards, pour tous les progressistes, le désir d’universalisme de la condition humaine, aujourd’hui tous les citoyens du monde, épris de la liberté universaliste, devraient proclamer en solidarité avec ceux qui luttent pour la liberté d’expression dans les pays musulmans : « Nous sommes tous des Tunisiens frustrés et troublés mentalement. »

Soyons nombreux à apporter notre soutien à ceux qui défendent la juste cause de Jabeur Mejri et Ghazi Béji en envoyant des messages de soutien aux sites suivants :

[email protected]

http://nl-nl.facebook.com/soutien.athees.mahdia/timeline?filter=1

http://www.facebook.com/freemejribeji

Signez également les pétitions en faveur de l’arrêt des poursuites et de la libération de Jabeur Mejri, et faites-les circuler :

http://www.petitions24.net/pour_une_revision_du_proces_de_jabbeur_mejri_condamne_a_7ans

http://www.causes.com/causes/610864-un-million-de-signatures-pour-la-liberte-de-conscience-au-maroc/actions/1639997

Jean Pavée

un Tunisien frustré et troublé mentalement

(1)    http://www.tunisiefocus.com/politique/le-proce-en-appel-de-jaber-mejri-reporte-au-25-juin-10793/

(2)    http://ripostelaique.com/les-salafistes-imposent-la-charia-en-tunisie-par-le-gourdin.html

(3)    http://www.liberation.fr/monde/2012/06/25/tunisie-sept-ans-et-demi-de-prison-pour-des-caricatures-de-mahomet_828918

(4)    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/11/21/97001-20111121FILWWW00637-tunisie-l-accord-entre-partis-formalise.php

(5)    http://ripostelaique.com/jean-pierre-lledo-je-ne-vois-pas-de-democratie-possible-dans-les-pays-arabo-musulmans-avant-trois-siecles.html

Jean-Pierre Lledo : « Révolution démocratique dans le monde arabe. Ah ! si c’était vrai », éditions Armand Colin

(6)    http://nawaat.org/portail/2012/07/17/ghazi-beji-premier-refugie-politique-en-exil-en-roumanie-apres-le-14-janvier/

(7)    http://www.newsoftunisia.com/generalites/societe/l-athee-de-mehdia-reste-en-prison/

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